mercredi 18 novembre 2020

Mystère résolu pour la Nébuleuse de l'Anneau Bleu


La Nébuleuse de l'Anneau Bleu a été découverte en 2004, et depuis 16 ans, elle fait s'arracher les cheveux des astrophysiciens qui ne comprennent pas comment elle a pu se former. Non seulement sa forme est très atypique mais elle montre également des émissions UV et infra-rouge incompréhensibles. Mais ça c'était avant... avant cette étude qui vient de paraître dans Nature aujourd'hui... Une équipe d'astrophysiciens vient enfin de comprendre l'origine de cette nébuleuse, qui nous donne une vue unique sur un phénomène qui doit pourtant être courant...


La Nébuleuse de l'Anneau Bleu n'est pas vraiment bleue, elle est surtout visible en ultra-violet et c'est avec un télescope spécialisé en UV, GALEX (Galaxy Evolution Explorer), que des astrophysiciens américains l'ont découverte. Les images de GALEX représentaient l'UV proche en jaune et l'UV lointain en bleu, et la nébuleuse apparaissait toute bleue...
Elle semble composée d'un gros bulbe de gaz et de deux cercles qui se chevauchent partiellement et qui entourent une étoile située exactement au centre de la structure. Les mesures spectroscopiques indiquaient qu'il y avait là deux bulbes bipolaires qui s'éloignaient l'un de l'autre à la même vitesse de 400 km/s, l'un pointant à peu près dans notre direction et l'autre vers l'arrière.
Keri Hoadley et ses collaborateurs décrivent les observations qu'ils ont pu faire durant plusieurs années avec différents télescopes dont le télescope Keck de 10 m et le télescope de l'Observatoire McDonald (Arizona), ainsi que les télescopes spatiaux Spitzer et WISE en infra-rouge, qui leur permettent de mieux comprendre ce qu'ils voient autour de l'étoile TYC 2597-735-1 qui trône au milieu de la Nébuleuse de l'Anneau Bleu. Son émission accentuée dans l'UV, son excès dans l'infra-rouge, ces variations de vitesse radiale et sa raie spectrale caractéristique Hα font dire aux astrophysiciens qu'il y a là un disque circumstellaire de poussière, associé à une activité de l'étoile et un processus d'accrétion. Ils observent également des signes d'ondes de choc suggérant que le gaz composant la nébuleuse aurait dû être expulsé par un événement violent s'étant passé autour de l'étoile.
Par ailleurs, comme elle est située à proximité immédiate du plan galactique, cela suggère qu'elle est plutôt vieille mais elle montre une gravité de surface anormale.


Avec tous ces indices concordants, et après avoir développé des modèles d'évolution stellaire, les chercheurs parviennent finalement à recoller les morceaux, entre les caractéristiques étranges de TYC 2597-735-1 et la présence de cette nébuleuse aux formes pour le moins particulières et au spectre qui ne correspond ni à un résidu de supernova ni à une nébuleuse planétaire même si elle est de taille comparable. Les chercheurs proposent le scénario suivant : il y a quelques milliers d'années se trouvaient là non pas une mais deux étoiles qui vivaient en couple : une étoile du type du Soleil mais dans un stade avancé de sa vie, c'est à dire qui aurait commencé à gonfler après avoir fusionné tout son hydrogène disponible, et une petite compagne moins massive. Et la petite étoile (un dixième de masse solaire) aurait commencé à accréter une partie de l'enveloppe de la plus grosse, tout en se rapprochant inéluctablement d'elle. Les deux étoiles auraient fini par se rencontrer, la petite spiralant vers le coeur de la grosse. Keri Hoadley et ses collaborateurs expliquent comment, en perdant de l'énergie orbitale, l'étoile compagne a pu éjecter une grande quantité de matière à grande vitesse, à travers les débris d'enveloppe gazeuse qui se trouvaient là, sous la forme de deux cônes de directions opposées. Le bulbe qui est visible en UV lointain (bleu) correspond à la zone de chevauchement des deux cônes de gaz, les cercles sont les ondes de choc qui apparaissent à la bordure des deux cônes lors de leur progression des dans le milieu interstellaire. La faible émission UV est produite lorsque les molécules d'hydrogène des cônes interagissent avec le gaz du milieu interstellaire.


C'est ainsi la première fois que l'on peut observer le résultat d'une telle fusion stellaire juste quelques milliers d'années après qu'elle a eu lieu, dans un moment où l'étoile résultante n'est plus obscurcie par les débris de poussière et de gaz qui ont résulté de la fusion entre les deux étoiles et où l'éjecta bipolaire n'est pas encore dissipé (ce qui doit prendre au moins 100 000 ans).
Des reliques de tels événement de fusions d'étoiles binaires ont déjà été observés dans le passé mais elles étaient toutes enfouies sous d'épais nuages de gaz et de poussière, ne laissant pas apparaître l'étoile résiduelle. La Nébuleuse de l'Anneau Bleu permet enfin d'y voir clair et de mieux comprendre le phénomène de fusion stellaire.
On estime que les fusions d'étoiles de ce genre doivent arriver une fois tous les 10 ans en moyenne dans notre galaxie. Sachant que la moitié des étoiles de notre galaxie vivent en fait en couple, on peut raisonnablement penser qu'une bonne partie des étoiles seules aujourd'hui vivaient accompagnées dans un passé plus ou moins lointain et sont le résultat d'une fusion.
Un mystère vieux de 16 ans est enfin résolu, et maintenant que l'on sait à quoi peut ressembler un jeune résidu de fusion d'étoiles, nul doute que d'autres seront identifiés très bientôt.

Source

A blue ring nebula from a stellar merger several thousand years ago
Keri Hoadley et al.
Nature volume 587 (18 november 2020)


Illustrations

1) La Nébuleuse de l'Anneau Bleu (NASA/JPL-CALTECH; M. SEIBERT/CARNEGIE INSTITUTION FOR SCIENCE; K. HOADLEY/CALTECH/GALEX TEAM)

2) Schéma de la suite des processus ayant eu lieu lors la formation de la Nébuleuse de l'Anneau Bleu (Keri Hoadley et al.)

3) Reconstruction en 3D de la Nébuleuse de l'Anneau Bleu (Keri Hoadley et al.)

3 commentaires :

L6 Atmo a dit…

Bonjour,

2 questions :

- "on peut raisonnablement penser qu'une bonne partie des étoiles seules aujourd'hui vivaient accompagnées dans un passé plus ou moins lointain et sont le résultat d'une fusion." Le soleil étant seul au centre du système solaire, a-t-on un indice qu'il ait pu subir une telle fusion?

- Que se passe-t-il pour les coeurs de ces 2 étoiles quand elles fusionnent? Sachant que la grosse des 2 était déjà à un stade avancée de sa vie, il n'était donc plus constitué (majoritairement) d'hydrogène, cela a-t-il un impact sur les atomes/particules du coeur ? augmentation soudaine d'éléments lourds ou bouffée de neutrinos par exemple

Merci.

Dr Eric Simon a dit…

Non aucun signe d'u tel passé pour le Soleil. Le resultat de l'incorporation de la petite étoile dans la grosse est un apport de matière fraiche (hydrogène), ce qui peut ressembler à un rajeunissement de l'étoile la plus vieille.

Pascal a dit…

A rapprocher des blue stragglers, mais celles-ci sont sur la SP, et sont censées être le résultat soit de la fusion de 2 étoiles de la SP, soit de l'accrétion par la moins massive de l'enveloppe de sa compagne parvenue au stade de géante rouge (et c'est donc la petite qui "rajeunit"). Dans le cas présent comme l'étoile principale était déjà engagée semble-t-il vers la branche des géantes, quelle sera son évolution future ?