lundi 30 novembre 2020

La "nova" de 1670 était 25 fois plus lumineuse qu'une nova


Le 20 juin 1670, l'astronome Anthelme Voituret découvrait ce qui allait rester comme la première nova documentée de l'époque moderne : Nova Vulpeculae 1670 (CK Vulpeculae) dans la constellation du Petit Renard. Alors que l'on a longtemps pensé qu'il s'agissait d'une nova relativement classique, des nouvelles observations indiquent que CK Vulpeculae se trouverait 5 fois plus loin que les premières estimations, ce qui signifie que l'éruption de 1670 devait être 25 fois plus brillante qu'une simple nova... L'étude est parue dans The Astrophysical Journal Letters.


CK Vulpecula avait été redécouverte en 1982, par l'observation d'une faible nébulosité à la position historique de la nova de 1670, alors qu'elle avait été observée pour la dernière fois en 1679... L'étoile "nouvelle" avait été visible à l'oeil nu (avec au maximum une magnitude 3), entre juin 1670 et mars 1672 où Hévélius la reporta à une magnitude comprise entre 5,5 et 6. Les archives des astronomes du XVIIème siècle ont permis de reconstruire l'évolution de la luminosité de CK Vulpeculae durant plusieurs années, et d'en déduire qu'il devait s'agir d'une nova (qui rappelons-le est un phénomène de fusion thermonucléaire de surface sur une étoile).
Depuis 2015, les astrophysiciens se penchent de près sur le cas de CK Vul en se demandant si l'événement de 1670 ne pourrait pas avoir été produit par la fusion de deux étoiles. Une étude du gaz entourant l'étoile indiquait en effet une composition très anormale avec beaucoup d'éléments lourds, qui pourrait être la signature d'une fusion de deux étoiles de la séquence principale. Des observations antérieures avaient également montré la présence de poussière, incompatible avec un cataclysme stellaire de type nova. 

En 2018 ont été publiées deux études antagonistes au sujet de CK Vul, la première trouvait un isotope rare de l'aluminium (26Al) qui doit être produit lors de la fusion de deux étoiles mais la seconde trouvait dans la nébuleuse entourant l'étoile des molécules qui n'auraient pas pu survivre à une fusion stellaire telle qu'envisagée, mais ce serait possible avec une collision entre une naine blanche et une naine brune... C'est donc pour tenter de départager les deux hypothèses que Dipankar Banerjee (Physical Research Laboratory, Inde) et ses collaborateurs ont décidé d'observer la totalité de la nébuleuse de CK Vulpeculae avec le spectrographe infra-rouge du télescope hawaïen Gemini North.
Cette nébuleuse est une structure qui montre deux lobes qui s'écartent d'une faible source radio située au centre (l'étoile résiduelle ou ce qu'il en reste). Les astrophysiciens observent des raies spectrales caractéristiques du fer sur les bords des lobes et ils peuvent ainsi mesurer précisément la vitesse du mouvement de cette matière en expansion, grâce au décalage spectral de l'effet Doppler. Et là, surprise! La vitesse que Banerjee et ses collaborateurs mesurent est beaucoup plus élevée que ce à quoi on s'attendait ! Projetée sur le ciel, la vitesse d'expansion des lobes de CK Vul atteint 900 km.s-1, mais comme la structure de symétrie cylindrique est inclinée de 65° par rapport à la ligne de visée, la vitesse réelle vaut la bagatelle de 2130 km.s-1 ... 
Mais si la vitesse de la nébuleuse est beaucoup plus élevée que ce que l'on croyait, cela implique que l'objet en lui-même doit être plus étendu que ce qu'on pensait. Et si il est plus étendu en réalité, cela veut dire que pour faire la dimension angulaire qui est observée, CK Vulpeculae doit être plus éloignée de nous, beaucoup plus éloignée. Les chercheurs ont observé soigneusement l'évolution de l'étendue de la nébuleuse sur une période de 10 ans...
La distance qui était communément admise pour CK Vul était de 1630 années-lumière, mais Dipankar Banerjee et ses collaborateurs déduisent à partir de leurs mesures une distance d'environ 10430 années-lumière. Elle serait donc environ 5 fois plus loin que ce que l'on pensait. Comme la luminosité observée varie comme l'inverse de la distance au carré, ce facteur 5 sur la distance se transforme en facteur 25 sur la luminosité intrinsèque de la nova de 1670, et donc un facteur 25 sur l'énergie libérée par ce cataclysme stellaire.
Pour les astrophysiciens, avec une telle énergie, cela ne pouvait pas être une nova. L'énergie libérée par CK Vul la positionne en fait à mi-chemin entre nova et supernova. 
Quelques cas de ce type ont déjà été observés dans notre galaxie mais la cause de ces phénomènes reste amplement inconnue. On les appelle des ILOTs (Intermediate Luminosity Optical Transients) à défaut d'un nom plus sympathique. Banerjee et son équipe ne s'aventurent pas à proposer quelle pourrait être l'origine d'un tel événement forcément violent. Ils préfèrent passer la patate chaude aux théoriciens, qui n'attendaient que ça pour se mettre au travail...

Lire aussi 


Source

Near-infrared Spectroscopy of CK Vulpeculae: Revealing a Remarkably Powerful Blast from the Past
Dipankar Banerjee et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 904, Number 2 (27 november 2020)


Illustration

1) CK Vulpecula imagée par ALMA (ESO/NAOJ/NRAO)/S. P. S. Eyres

2) Aluminium radioactif de CK Vulpecula imagé par ALMA (ESO/NAOJ/NRAO), T. Kamiński; Gemini, NOAO/AURA/NSF; NRAO/AUI/NSF, B. Saxton 

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