jeudi 10 décembre 2020

Découverte de très vastes bulles d'émission de rayons X de part et d'autre de la Galaxie


On connaissait les bulles de Fermi (on en parle ici depuis 2012), ces vastes étendues de plasma émettant des rayons gamma de part et d'autre du plan galactique, et bien il faudra compter désormais sur les bulles de eROSITA, des lobes encore plus étendus, englobant les bulles de Fermi et sans doute ayant la même origine au centre de notre Galaxie. L'étude est publiée dans Nature.

C'est dans le domaine des rayons X "mous", c'est à dire de faible énergie, que travaille le télescope X eROSITA à bord du satellite Spektr RG. L'instrument à cartographié tout le ciel entre décembre 2019 et juin 2020) aux énergies comprises entre 0,2 et 8 keV, et c'est en analysant finement les pourtours de la Voie Lactée, au dessus et en dessous du plan galactique que les chercheurs Peter Predehl du Max-Planck-Institut für Extraterrestrische Physik et ses collaborateurs ont réussi à montrer la présence de deux gigantesques bulles tout à fait symétriques de part et d'autre du plan galactique et s'étendant sur 14 kpc (45 000 années-lumière), aussi bien en hauteur qu'en largeur. Les bulles de Fermi, pour comparaison, sont plus petites avec 9 kpc de hauteur et seulement 6 kpc de large. Elles se trouvent donc complètement incluses dans ces nouvelles bulles de plasma rayonnant en rayons X. 
On connaissait en fait déjà depuis des années une région singulière fortement émettrice de rayons X dans l'hémisphère nord galactique, qui avait été nommée le North Polar Spur. Mais ce que révèlent ces nouvelles observations de eRosita, c'est que cette structure n'est que le bord de la bulle nord et que la même structure apparaît dans l'hémisphère sud, quoique légèrement moins intense. Predehl et ses collaborateurs peuvent affirmer que ces émissions de rayons X ne sont pas induites par des supernovas locales car les bords des bulles sont trop abruptes et tracent des chocs caractéristiques avec le milieu et qui apparaissent très corrélés avec les bulles de rayons gamma observées par le télescope Fermi. 


A partir de ce qu'on voit, aussi bien dans les bulles de Fermi que dans ces bulles de eROSITA, les chercheurs arrivent à calculer la quantité d'énergie qui est requise pour les former : 1056 erg. Cette énergie est suffisante pour perturber la structure, le contenu énergétique ainsi que l'enrichissement chimique du milieu circumgalactique (le halo galactique).
Plus intéressant encore, les astrophysiciens peuvent donner un âge à ces structures gigantesques, les deux bulles seraient âgées d'environ 20 millions d'années (seulement). Quant à leur origine, le seule chose qui est sûre c'est qu'elle se situe au centre de notre galaxie, mais on ne peut pas incriminer immédiatement Sgr A*. Il est possible qu'une activité anormale du trou noir ne soit pas la cause première de ces mouvements de matière. 

La seconde hypothèse serait une grosse activité de formation d'étoiles dans la région centrale de notre galaxie. Ce qui est sûr, c'est que l'injection d'énergie nécessaire pour gonfler ces bulles de la sorte est de l'ordre de 1041 erg.s-1 durant 10 millions d'années dans le cas d'une injection par des étoiles jeunes ou bien de 1043 erg.s-1 durant 1 million d'années dans le cas d'une activité soutenue du trou noir central qui aurait fait de notre galaxie une galaxie à noyau actif (une galaxie de Seyfert). La longue durée de refroidissement du plasma est tout à fait cohérente avec cette hypothèse du trou noir actif. Ces structures en bulles sont il est vrai très similaires à ce qui peut être vu sur des galaxies à noyau actif (des AGN), qui possèdent un trou noir en train d'accréter de la matière. Ce phénomène peut injecter une grosse quantité d'énergie mécanique dans le milieu ambiant et peut produire des effets marqués sur l'évolution des galaxies à l'image de ce qui est observé sur des galaxies comme Centaurus A ou A426. 
Dans le cas de l'hypothèse d'une formation d'étoiles massives qui explosent rapidement en supernova, cela produit une injection d'énergie de l'ordre de 1051 erg par supernova. Il faudrait donc 100 000 supernova pour gonfler ces bulles. La galaxie M82 est le meilleur exemple de ce type de processus.  Les données actuelles de eROSITA associées aux données antérieures de Fermi ne permettent pas d'exclure l'un ou l'autre scénario.
Les très esthétiques résultats de l'équipe de Predehl corroborent la notion que les galaxies spirales inactives comme la Voie Lactée possèdent dans leur halo du plasma chaud qui peut être très perturbé par l'activité de leur disque. Ils démontrent aussi la présence de mécanismes de feedback dans des galaxies qui sont en apparence très calmes.  

Source
Detection of large-scale X-ray bubbles in the Milky Way halo
P. Predehl et al.
Nature volume 588 (9 december 2020)


Illustrations

1) Cartographie en rayons X mous de eROSITA montrant les bulles galactiques (Predehl et al./MPE)

2) Cartographie de tout le ciel par eROSITA (Predehl et al./MPE)

3) Schéma des dimensions des bulles de eROSITA et des bulles de Fermi (Predehl et al.) 

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