29/04/21

Découverte de deux nouvelles galaxies à éruptions X quasi périodiques


Deux nouvelles galaxies produisant des éruptions de rayons X quasi périodiques provenant de leur trou noir central viennent d'être identifiées avec le télescope spatial SRG/eROSITA. On en connaît donc maintenant quatre, et on cherche toujours ardemment l'origine de ces éruptions singulières. Une étude parue dans Nature.

Les quasars, ou noyaux actifs de galaxies qui sont énergisés par l'accrétion de matière autour d'un trou noir supermassif, peuvent montrer des variations de luminosité mais celles-ci sont aléatoires et sont liées au processus d'accrétion de matière. Mais en 2019 et en 2020, deux phénomènes éruptifs en rayons X avec une récurrence quasi-périodiques ont été découverts par hasard au coeur de galaxies à noyau actif mais habituellement assez  calmes, respectivement GSN 069 avec une période de 9h et J1301.9+2747 avec une période proche de 4h (toutes les deux détectées avec le télescope européen XMM-Newton). Riccardo Arcodia (Max-Planck-Institut für Extraterrestrische Physik, Garching) et ses collaborateurs allemands, américains et polonais ont exploré le relevé des sources de rayons X produit par SRG/eROSITA qui a été effectué sur tout le ciel sur une longue période, ce qui permet d'identifier des sources intermittentes et/ou périodiques. 
Il faut dire que eROSITA avec son balayage en continu de tout le ciel dans la gamme des rayons X de faible énergie est un instrument de choix pour tenter de trouver d'autres sources du même type au coeur de galaxies qui ne montrent pas d'activité particulière la plupart du temps. Arcodia et ses collaborateurs se sont lancés dans cette recherche à l'aveugle, et ça a rapidement payé, car ils ont trouvé deux nouveaux spécimens, doublant donc le nombre de QPE comme les astrophysiciens les appellent (Quasi Periodic Eruptions). 

Les deux nouvelles sources découvertes avec eROSITA ont montré une variabilité de rayons X de très grande amplitude en quelques heures seulement, qui a ensuite été très vite confirmée par des observations additionnelles avec XMM-Newton et NICER. Contrairement aux deux QPE découvertes auparavant, les nouvelles sources découvertes par Arcodia et son équipe avec eROSITA ne sont pas produites par des galaxies à noyau actif mais par des galaxies tout à fait calmes. Elles sont nommées  2MASS J02314-1020 et 2MASX J0234-4419 et se trouvent  respectivement à 685 millions et 243 millions d'années-lumière. Sans ces soudaines éruptions périodiques répétées durant quelques heures qu'ils ont dénommées eRO-QPE1 et eRO-QPE2, ces deux galaxies de faible masse, insignifiantes, seraient passées complètement inaperçues. La première a montré des éruptions X quasi périodiques de période d'environ 18,5h et la seconde avec une période d'environ 2,4h. Ces éruptions de rayons X de moins de 2 keV ressemblent beaucoup aux deux premières QPE qui avaient été observées ces deux dernières années.
Des émissions quasi-périodiques de ce type sont généralement associées à des systèmes binaires. Si ces éruptions sont effectivement déclenchées par la présence d'un objet en orbite du trou noir supermassif, les chercheurs ont calculé que sa masse doit être beaucoup plus faible que celle du trou noir, de l'ordre de celle d'une étoile. Il pourrait par exemple s'agir d'une naine blanche qui serait partiellement perturbée par les énormes forces de marée à proximité du trou noir à chaque passage, une idée proposée en 2020.
Mais ce n'est qu'une hypothèse parce qu'à vrai dire, les astrophysiciens ne savent pas quelle est la cause de ces fortes éruptions qui montrent un spectre qui est compatible avec une émission thermique de corps noir.
Cette nouvelle découverte de QPE dans des galaxies très calmes indiquent qu'il n'est pas nécessaire d'avoir le trou noir supermassif entouré d'un disque d'accrétion produisant une forte activité. Mais le spectre X de ces QPE est très similaire à celui de l'émission typique d'un disque d'accrétion... Etrange...
Arcodia et ses collaborateurs essayent de tester l'hypothèse de l'étoile en orbite du trou noir massif comme origine de ces QPE. Les astrophysiciens précisent que s'il s'agit bien d'un objet en orbite très rapprochée, ils pourraient alors déterminer une information sur les trous noirs massifs qui sont en jeu : leur masse. A partir de la période du signal (considérée comme la période orbitale du couple), du rapport cyclique et de l'amplitude de la luminosité X des éruptions, ils peuvent déterminer la masse du trou noir associé à un paramètre de viscosité (α). Mais pour atteindre des masses semblables à celles des trous noirs des deux premières QPE détectées en 2019 et 2020 (3 à 4 millions de masses solaires), dans les deux cas de eRO-QPE1 (la galaxie 2MASS J02314-1020) et eRO-QPE1 (2MASX J0234-4419), on devrait avoir un paramètre de viscosité qui devrait atteindre α = 5 et α = 3 respectivement, mais ce sont des valeurs impossibles, non physiques... On devrait plutôt trouver α ≈ 0,1 ou 0,01 (mais ces valeurs induiraient une masse de quelques milliers ou quelques dizaines de masses solaires seulement...).
Arcodia et ses collaborateurs ont donc attaqué le problème par une autre voie : ils ont considéré que le trou noir massif a une masse comprise entre 10 000 et 10 millions de masses solaires et que l'objet secondaire est beaucoup moins massif (typiquement une naine blanche de 1 masse solaire), puis ils ont calculé quelle devait être la décroissance de la période orbitale qui serait provoquée par l'émission d'ondes gravitationnelles au sein du couple. Mais malheureusement, les calculs ne permettent que de déterminer des limites supérieures de masses pour l'étoile et ces limites supérieures sont (très) élevées, donc peu pertinentes... Les chercheurs trouvent m < 10 000 masses solaires pour eRO-QPE1 (dans le cas d'une excentricité orbitale de 0,9) et m < 10 masses solaires pour eRO-QPE2 (avec la même excentricité de 0,9).
Les explications potentielles des éruptions quasi périodiques sont donc encore assez pauvres pour ne pas dire très peu contraintes. Il faudra certainement des observations en rayons X étalées sur des très longues périodes, des mois ou des années, pour pouvoir mieux cerner l'origine des QPE et vérifier le premier scénario proposé ou bien en élaborer d'autres.  Les quatre spécimens désormais connus semblent toutefois avoir un point commun qui un trou noir massif relativement petit, de moins de 10 millions de masses solaires. Il sera intéressant de voir avec les prochaines QPE si c'était une coïncidence ou bien un lien de cause à effet.
Ces types de couples très asymétriques en masse, si il s'agit de tels couples, pourraient également être observables avec des signaux d'ondes gravitationnelles avec le futur interféromètre spatial LISA...

Source

X-ray quasi-periodic eruptions from two previously quiescent galaxies
R. Arcodia et al.
Nature volume 592 (29 april 2021)


Illustration

Images de 2MASS J02314-1020 et 2MASX J0234-4419 avec la représentation de leurs éruptions périodiques (MPE; optical image: DESI Legacy Imaging Surveys/D. Lang (Perimeter Institute))

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