En 1983, le jeune astrophysicien Stephen Scheider et ses collaborateurs ont fait une découverte fortuite dans la constellation du Lion avec le radiotélescope d'Arecibo : un énorme nuage d'hydrogène froid 6 fois plus grand que la Voie Lactée, qui fut ensuite appelé l'"anneau du Lion" de par sa forme. Après 38 ans d'observations multiples à la recherche de l'origine de ce nuage étonnant, une équipe utilisant l'instrument MUSE du VLT vient de donner une réponse définitive sur l'origine de l'anneau du Lion. Une étude publiée dans The Astrophysical Journal Letters.
Depuis plusieurs décennies, les astrophysiciens avaient mollement convergé vers la présence de très vieilles étoiles dans les galaxies du groupe qui apparaît au centre du nuage et qui auraient pu constituer l'anneau du Lion. Mais le grand mystère est qu'aucune étoile n'apparaissait dans le nuage, en dehors des galaxies. Par ailleurs, un nuage de gaz de cette taille, le plus vaste nuage de gaz neutre connu, devrait s'effondrer sous sa propre gravité pour devenir une ou plusieurs galaxies avec de nombreuses étoiles. Les spécialistes spéculaient, il pouvait s'agir soit de gaz résiduel de l'époque où de nombreuses galaxies se formaient ou bien ce pouvait être du gaz qui faisait partie de galaxies mais qui en aurait été éjecté d'une façon ou d'une autre. Mais dans ce dernier cas, on devrait voir des étoiles dans ce nuage, qu'elles aient été éjectées elles aussi des galaxies ou bien qu'elles se soient formées in situ dans le processus un peu violent de l'expansion de matière.
Après près de 40 ans de questionnements au sujet de l'Anneau du Lion, Edvige Corbelli (Institut National d'Astrophysique italien, INAF) et ses collaborateurs ont enfin trouvé le smoking gun. Les étoiles sont la clé de l'énigme, or le principe d'une étoile c'est de fusionner des noyaux d'atomes légers pour en former des plus lourds. En cherchant à mesurer l'abondance en éléments lourds, on peut déterminer s'il y a eu des étoiles à cet endroit même si on ne les voit pas ou si on les voit plus. La seule présence d'éléments lourds dispersés dans l'hydrogène est un signe clair que le nuage de gaz n'est pas un nuage primordial. Si c'est un nuage de gaz primordial, on ne doit y trouver que de l'hydrogène, de l'hélium et des traces infimes de lithium, les seuls éléments qui ont été produits lors de la nucléosynthèse primordiale et qui se retrouvent comme la matière première des premières galaxies.
Corbelli et ses collaborateurs ont eu l'idée d'utiliser le puissant instrument MUSE (Multi Unit Spectroscopic Explorer) monté sur le VLT (Very Large Telescope, ESO) pour tenter de dénicher des étoiles jeunes suffisamment massives pour produire une ionisation du milieu environnant et laisser des traces évidentes des éléments lourds qui seraient présents dans leur entourage. Et c'est ce qu'ils ont réussi à faire. les astronomes ont détecté pour la première fois dans l'anneau du Lion trois bulles de gaz ionisé autour de très jeunes étoiles de 30 à 40 masses solaires et qui surtout permettent de mesurer l'abondance en éléments lourds par les raies d'émission caractéristiques qu'ils produisent : les raies de l'oxygène, de l'azote et du soufre ionisés O III, N II, et S II.
L'abondance en éléments lourds qu'ils trouvent (similaire ou un un peu supérieure à l'abondance solaire) fait dire à Corbelli et ses collaborateurs que le nombre d'étoiles devait être bien plus important que les quelques unes qui leur ont permis de voir les raies d'émission. Et pour expliquer le fait que nous avons là un nuage de gaz ensemencé d'éléments lourds mais sans présence de nombreuses étoiles, les chercheurs estiment qu'il a dû être enrichi là où se trouvaient des vieilles étoiles, c'est à dire dans le disque d'une galaxie âgée. Comment tout ce gaz a-t-il pu se retrouver là où il est, loin de toute galaxie alors ? Corbelli et son équipe évoquent le scénario d'une collision entre galaxies qui aurait pu avoir pour effet d'expulser de grandes quantités de gaz. Et d'ailleurs la forme en anneau est un signe caractéristique d'un tel phénomène de collision frontale. Une étude de 2010 avait déjà suggéré à partir de simulations que les galaxies M96 et NGC 3384 que l'on voit dans le champ de l'anneau du Lion auraient pu être les deux combattantes.
Tout semble donc converger vers une solution pour expliquer le mystère de l'anneau du Lion, la collision de deux galaxies il y a plusieurs milliards d'années. Mais il reste cependant une question à laquelle les astrophysiciens n'ont pas encore répondu : pourquoi ce vaste nuage de gaz n'a pas réussi à produire de nouvelles étoiles en grand nombre depuis tout ce temps ?
Rendez-vous dans quelques dizaines d'années pour la réponse...
Source
Heavy Elements Unveil the Non-primordial Origin of the Giant H I Ring in Leo
Edvige Corbelli et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 908, Number 2 (22 february 2021)
https://doi.org/10.3847/2041-8213/abdf64
Illustration
Le contour de l'anneau du Lion déterminé avec la radiotelescope Arecibo (en bleu) dans le groupe de galaxies de M96. Les carrés blancs sont les zones exploitées par Corbelli et son équipe. (ESO/E. Corbelli, Sloan Digital Sky Survey, Arecibo/VLA/Schneider)
1 commentaire :
Bonjour
Je serai curieux de savoir si on dispose d'autres exemples de grands nuages de gaz formés "tardivement", ie bien après la structuration de l'univers en galaxies, et qui présenteraient la même anomalie, ie l'absence ou la faiblesse de la formation d'étoiles en dépit de leur densité et température.
Enregistrer un commentaire