Deux astrophysiciens se sont posé très sérieusement la question : que se passerait-il si un trou noir ou bien une étoile à neutrons traversaient le système solaire ? Quel serait leur impact sur les planètes ? La réponse troublante de cette étude est publiée dans Astronomy&Astrophysics.
Václav Pavlík (Université de l'Indiana) et Steven Shore (Université de Pise/INFN) se sont intéressés aux conséquences du passage d'un objet compact massif au sein d'un système stellaire en prenant l'exemple de celui qu'on connaît le mieux, le système solaire. C'est la première fois qu'une telle étude est effectuée en considérant la rencontre d'un objet compact massif (trou noir ou étoile à neutrons). Par le passé, des études du même type avaient été effectuées, mais avec des étoiles "normales".
Ils ont considéré deux types d'objets compact : un trou noir de 10 masses solaires et une étoile à neutrons de 2 masses solaires. Puis ils ont modélisé leur passage proche en faisant varier divers paramètres comme la distance minimale d'approche du Soleil (le paramètre d'impact) ou encore l'angle d'inclinaison avec lequel le trou noir (ou l'étoile à neutrons) arrive par rapport au plan de l'écliptique, ainsi que la vitesse de l'objet compact perturbateur. Ils ont implémenté un algorithme de calcul à N corps avec Python et ont produit une série de 2000 simulations en prenant comme référence le système solaire actuel avec ses 8 planètes et le Soleil, les autres petits corps étant négligés.
Les vitesses d'étoiles à neutrons peuvent être assez élevées, issues de kicks (mouvement de recul) lors d'explosions de supernovas. Les deux chercheurs ont évalué les effets induits par des passages à quelques dizaines de km/s.
Les calculs de cinématique et de dynamique de Pavlik et Shore leur permettent de déterminer les situations possibles à l'issue d'une telle rencontre : le système peut être perturbé mais rester intact (lié gravitationnellement), ou bien à l'extrême il peut se retrouver totalement disloqué, les planètes toutes éjectées ou capturées. Mais une situation intermédiaire peut aussi exister avec seulement une partie des planètes éjectées. Il se peut aussi qu'une ou plusieurs planètes du système soient capturées par le trou noir ou par l'étoile à neutrons d'après les calculs. Il se crée alors un nouveau système stellaire avec des planètes en orbite d'un astre moribond. Les chercheurs arrivent par exemple à la conclusion que dans 45% des cas impliquant le passage d'une étoile à neutrons, l'étoile à neutrons capture au moins une planète!
Pavlik et Shore montrent qu'il existe une grosse différence entre une rencontre prograde (dans le sens de rotation des planètes) et rétrograde (dans le sens inverse) : avec une étoile neutrons, les cas rétrogrades sont tous plus destructifs pour la stabilité du système planétaire, même si une étoile à neutrons à faible vitesse ne montre pas de préférence entre les deux orientations pour ce qui est de capturer des planètes. Avec une étoile à neutrons ayant une vitesse de 10 km/s de direction rétrograde et un paramètre d'impact (la distance minimale de l'intrus par rapport au Soleil) de 2 unités astronomiques, le système solaire ne survit pas dans 60% des cas (les 8 planètes sont soient éjectées ou soit capturées), et dans les 40% restants, le Soleil ne se retrouve plus qu'avec une seule planète tellurique...
Avec un trou noir de faible vitesse en revanche, c'est la direction prograde qui est la plus efficace pour disloquer le système solaire et pour capturer des planètes, et avec le même paramètre d'impact que précédemment (2 unités astronomiques), le Soleil parvient à conserver au mieux 3 planètes.
Le seul cas qui permet au Soleil de conserver ses 8 planètes quel que soit l'angle d'arrivée de l'intrus massif, même si leurs orbites sont finalement fortement perturbées en excentricité et en inclinaison, c'est le cas d'un paramètre d'impact à 200 unités astronomiques...
Selon Pavlik et Shore, si elle n'est pas tout simplement éjectée ou capturée, la Terre peut se retrouver dans le pire des cas à une distance de 8 unités astronomiques (entre Jupiter et Saturne!) et avec une inclinaison de 150° par rapport au plan de l'écliptique et sur une orbite très elliptique... Dans d'autres configurations, la Terre peut être très peu affectée ou bien dans l'autre sens se retrouver environ deux fois plus près du Soleil...
Les calculs de Pavlik et Shore montrent que la plus grande différence qui apparaît entre l'effet d'un trou noir et d'une étoile à neutrons se voit dans les modifications des inclinaisons orbitales qu'ils produisent sur les planètes quand elles restent liées au Soleil : le trou noir est plus enclin à complètement retourner les orbites, y compris celles des planètes géantes. Globalement, parmi toutes les configurations simulées, il y a capture d'au moins une planète dans 45% des cas, et fortes perturbations des orbites dans presque tous les cas sauf ceux avec le paramètre d'impact le plus grand.
Les deux astrophysiciens s'intéressent ensuite au nouveau système stellaire formé par capture par l'étoile à neutrons ou le trou noir (ils s'intéressent particulièrement au cas de l'étoile à neutrons, car on a déjà observé deux pulsars qui possèderaient des planètes : PSR 1257+12 (observé dès 1992 (avant la découverte "officielle" de la première exoplanète trois ans plus tard) et PSR B1620–26 en 1996). Pavlik et Shore calculent quelle serait la stabilité d'un tel système planétaire dans le temps, dans le cas où auraient été capturées Jupiter et trois planètes telluriques.
Dans leurs cas de figure, les planètes sont capturées par l'objet compact avec une forte excentricité. Ils trouvent par leurs calculs que l'orbite de Jupiter reste stationnaire, alors que celle des petites planètes ont un comportement très complexe , avec des oscillations des inclinaisons sur le long terme. On peut voir qu'avec l'étoile à neutrons, les orbites sont un peu plus régulières en terme de demi-grand axe et l'excentricité de certaines orbites peut changer énormément à l'image de celle de Mercure qui peut devenir circulaire. Avec un trou noir en revanche les calculs montrent que les orbites restent avec une excentricité minimum de l'ordre de 0,5 et surtout que les planètes telluriques voient leur distance au trou noir qui est très instable, celle-ci peut sauter brutalement de 0,3 unités astronomiques pour ce qui est de la Terre par exemple en seulement quelques milliers d'années. En simulant le comportement des orbites sur 1,5 millions d'années, Pavlik et Shore ne parviennent pas à voir des orbites stabilisées autour du trou noir., ce qui leur fait dire qu'elles doivent avoir une évolution chaotique sur le long terme.
Grâce à ces estimations, les deux chercheurs offrent une nouvelle voie d'explication pour l'existence de planètes autour des pulsars PSR 1257+12 et PSR B1620–26. Ils auraient tout simplement pu capturer des planètes lors de leur passage au sein d'un système stellaire. Pour s'en convaincre d'avantage, les astronomes font le calcul du taux d'occurrence de telles rencontres par exemple dans un amas d'étoiles assez densément peuplé de systèmes stellaires. Ils arrivent au nombre de 0,03 captures de planètes par million d'années, or la durée de vie active d'un pulsar est de l'ordre de 100 millions d'années, il est donc tout à fait possible selon Pavlik et Shore de voir des pulsars avec des planètes qui auraient été simplement capturées après la naissance de l'étoile à neutrons...
Source
Close encounters with the Death Star: Interactions between collapsed bodies and the Solar System
Václav Pavlík et Steven N. Shore
Illustration
Vue d'artiste d'un trou noir (Zdeněk Bardon / ESO)
2 commentaires :
Bonjour
J'ai deux questions qui me viennent à l'esprit à la lecture de cet article. Quel est l'ordre de grandeur du temps d'évolution des orbites des planètes lorsqu'elles sont modifiées mais restent quand même dans le système solaire? Et ma deuxième question est: Est ce qu'il a été étudié l'influence du passage de tels objets ultra denses sur le soleil ?
Merci et merci de vos articles.
Martial
L'ordre de grandeur c'est 10 millions d'années. L'influence sur le Soleil n'est pas étudiée ici. Mais on peut penser qu'il subit une modification de trajectoire.
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