samedi 3 avril 2021

Des marées sur les trous noirs


Les astrophysiciens Alexandre Le Tiec (Observatoire de Paris) et Marc Casals (Brazilian Center for Research in Physics) ont trouvé le titre parfait pour leur nouvelle publication : Spinning Black Holes fall in Love. Tout un programme... Ils y parlent de la déformabilité des trous noirs par effets de marée gravitationnelle, une déformabilité qui est caractérisée par ce qu'on appelle le nombre de Love, du nom du mathématicien britannique Augustus Love... Une étude parue dans Physical Review Letters.

La question que se posent les astrophysiciens est de savoir si les trous noirs peuvent avoir eux-mêmes des marées. On sait qu'ils peuvent produire de tels effets sur des corps a priori beaucoup moins rigides comme des étoiles ou des petits corps. La Terre est déformée en permanence par l'effet conjoint de la Lune et su Soleil, une déformation bien visible sur les masses d'eau qui couvrent notre planète. Cette déformabilité est caractérisée par des nombres qu'on appelle les 'nombres de Love de marée' (tidal Love numbers en anglais, TLN), ou encore 'tenseurs de Love'.  Les TLN sont l'analogue gravitationnel du paramètre de susceptibilité électrique en électrodynamique. Les TLN ont été introduits par Augustus Love en 1909 dans le cadre de la gravitation newtonienne pour expliquer les marées océaniques produites par l'influence de la Lune. Dans le cas d'objets astronomiques, les nombres (ou tenseurs) de Love sont très importants car ils contiennent une information sur la structure interne du corps en question, sa composition ou son équation d'état. 

Il existe différents TLN qui décrivent différents modes de déformation des effets de marée. Pour la Terre, le TLN quadrupolaire a une valeur de 0,3 par exemple. Le même nombre de Love pour une étoile à neutrons qui est un astre beaucoup plus rigide, vaut 0,1. Des études théoriques ont montré dans le passé que dans le cas idéal d'un trou noir sans rotation situé dans un champ gravitationnel statique lui aussi, son TLN quadrupolaire est égal à 0.

Mais la situation est différente quand le champ gravitationnel évolue dans le temps ou quand le trou noir est en rotation dans un champ gravitationnel asymétrique. Le Tiec et Casals montrent que dans le cas d'un trou noir en rotation (trou noir de Kerr), si celui-ci se retrouve dans un champ gravitationnel externe qui n'est pas symétrique axialement (axisymétrique), alors il doit se développer un renflement maréal sur le trou noir : il se déforme. Avant d'arriver à cette conclusion, les chercheurs prouvent qu'avec la solution de Kerr, lorsqu'on la pousse à la limite d'une rotation extrêmement faible, similaire à un trou noir sans rotation dans un champ gravitationnel symétrique, le tenseur de Love qui est calculé vaut bien 0. Ils montrent la même chose en appliquant un champ gravitationnel axisymétrique. 

Mais dès que la rotation du trou noir est non nulle et que le champ gravitationnel n'est plus symétrique, les tenseurs de Love ne s'annulent plus. Pour un exemple type de trou noir en rotation, Le Tiec et Casals prennent un trou noir qui a une rotation de 0,1 (10% de la rotation maximale que peut atteindre un trou noir de masse donnée). Dans un champ gravitationnel asymétrique, ils calculent que son TLN quadrupolaire doit être égal à 0,002.  Une valeur certes petite mais non négligeable car elle peut affecter la dynamique d'un couple de trous noirs dans la phase ultime de leur coalescence lorsqu'ils spiralent l'un vers l'autre après être tombés amoureux...

Les chercheurs montrent en effet que cette déformation du trou noir n'est pas sans effet car elle doit affecter sa rotation, et donc finalement l'émission d'ondes gravitationnelles associée à la coalescence des deux trous noirs. L'effet doit être plus important lorsque la différence de masse entre les deux trous noirs est importante. Le Tiec et Casals concluent leur article en indiquant que l'effet de cette déformabilité pourrait être observé dans le signal d'ondes gravitationnelles (la phase des ondes) par le futur détecteur interférométrique spatial LISA. Ce serait notamment le cas d'un trou noir ayant une rotation de 0,1 avec un ratio de masse du couple de l'ordre de 107. De tels systèmes de trous noirs coalescents (stellaire/supermassif) sont justement l'une des cibles privilégiées de LISA. 

Source

Spinning Black Holes Fall in Love
Alexandre Le Tiec et Marc Casals
Phys. Rev. Lett. 126  (30 March 2021)

Illustration

Vue d'artiste de la déformation d'un trou noir par effet de marée (Caltech/R. Hurt (IPAC))

1 commentaire :

Xavier Seynave a dit…

Cela peut-il remettre en question la nature de la singularité ou ne s'applique-t-il seulement qu'à la dynamique du corps, quelle qu'elle soit?