Avec la lumière solaire qu'elle reçoit, la haute atmosphère de Jupiter devrait avoir une température moyenne de 200 K (-73°C), mais au lieu de ça, elle est de 700 K (427°C)! Cette forte anomalie thermique qui interroge les planétologues depuis très longtemps vient de trouver une réponse : ce seraient les aurores polaires qui produiraient un échauffement de toute l'atmosphère de Jupiter. L'étude est parue dans Nature.
James O’Donoghue (JAXA et NASA Goddard Space Flight Center) et ses collaborateurs américains, britanniques et japonais ont exploité le télescope Keck associé à la sonde Juno et au satellite japonais Hisaki pour étudier les transports de chaleur dans la haute atmosphère de la planète géante en lien avec les nombreuses aurores polaires qu'elle subit.
Les aurores se produisent lorsque des particules chargées électriquement sont piégées dans le champ magnétique d'une planète. Ces particules (principalement des protons, des électrons et des ions légers) se déplacent en spirale le long de lignes de champ magnétique vers les pôles magnétiques de la planète, frappant ensuite les atomes et les molécules de l'atmosphère pour libérer de la lumière et de l'énergie.
Sur Jupiter, les aurores les plus intenses sont induites par les particules qui sont émises par les éruptions de son satellite Io.
Les chercheurs ont établi des cartes de température à haute résolution grâce au spectrographe infra-rouge NIRSPEC (Near-InfraRed Spectrometer) monté sur le télescope Keck II de 10 m. Ils ont mesuré l'émission des ions H3+ de l'ionosphère de Jupiter, entre 600 et 1000 km au-dessus de la surface de pression de 1 bar, à partir de laquelle on peut déterminer la température d'équilibre, la densité et la radiance de la haute atmosphère.
Combinées aux données sur le champ magnétique fournies par les sondes Hisaki et Juno, les données ont permis à O’Donoghue et ses collaborateurs d'observer une aurore au moment où elle envoie ce qui ressemble à une impulsion de chaleur depuis le pôle vers l'équateur de Jupiter. Les planétologues ont créé cinq cartes de la température atmosphérique à différentes résolutions spatiales, la carte à la plus haute résolution montrant une mesure moyenne de la température pour des carrés de deux degrés de longitude par deux degrés de latitude.
Ils ont scanné en tout plus de 10 000 points de données, ne cartographiant que les points dont l'incertitude était inférieure à 5 %.
Les modèles de l'atmosphère des géantes gazeuses suggèrent que l'énergie thermique est aspirée de l'équateur vers le pôle et déposée dans la basse atmosphère dans ces régions polaires. Mais ces nouveaux résultats vont à l'encontre de ce modèle car ils suggèrent que les aurores boréales à évolution rapide peuvent entraîner des vagues d'énergie dans l'autre sens, des pôles vers l'équateur. Les observations ont également montré une région de chauffage localisée dans la région sub-aurorale qui pourrait être interprétée comme une vague de chaleur délimitée qui se propage vers l'équateur, une preuve du processus conduisant le transfert de chaleur. Les données du champ magnétique de Juno ont quant à elles fourni des informations sur l'emplacement exact de l'aurore.
La température de la haute atmosphère jovienne qui est mesurée varie de 1000 K au niveau des pôles à 600 K au niveau de l'équateur.
Ces données confirment l'idée que la chaleur générée dans l'atmosphère aurorale est transportée loin des pôles par les vents méridiens. Le couplage magnétosphère-atmosphère est donc à l'origine des événements de réchauffement global sur Jupiter selon les astronomes. Il est à noter qu'un gradient de température négatif similaire a également été récemment observé sur Saturne (transfert de chaleur des pôles vers l'équateur). Par ailleurs, les observations avaient été scindées en deux campagnes, la première en avril 2016 et la seconde en janvier 2017 et des différences entre les deux campagnes d'observation apparaissent. Les densités H3+ de l'ovale auroral principal et les températures H3+ globales étaient beaucoup plus faibles le 14 avril que le 25 janvier, ce qui pourrait concorder selon O’Donoghue avec les projections d'un modèle d'interaction magnétique proposé en 2005 par l'un de ses coauteurs selon lesquelles la pression dynamique du vent solaire sur la magnétosphère jovienne était plus élevée à cette dernière date, augmentant les taux de précipitation des particules aurorales et donc in fine le réchauffement global de Jupiter.
Les chercheurs vont maintenant continuer à analyser des données infra-rouge de Jupiter et produire d'autres cartes thermiques avec pour objectif d'observer en direct une aurore en train de générer un autre point chaud, en l'observant cette fois-ci sur une période de 2 à 3 jours consécutifs afin de pouvoir suivre le transport d'énergie autour de la planète...
Source
Global upper-atmospheric heating on Jupiter by the polar aurorae
J. O'Donoghue et al.
Nature 596 (4 august 2021)
Illustration
Jupiter imagée en infra-rouge révélant son émission thermique (Gemini Observatory/AURA/NSF/UC Berkeley)
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire