Une équipe d’astronomes nippo-australienne a réussi pour la première fois à quantifier la fraction des composantes hadroniques (protons) et leptoniques (électrons) des rayons cosmiques dans un résidu de supernova. Ils élucident ainsi la très ancienne question de l’origine des rayons cosmiques primaires. L’étude est publiée dans The Astrophysical Journal. Il était temps pour nous de parler à nouveau d’astroparticules…
Ce qu’on appelle les « rayons cosmiques » depuis leur découverte par Victor Hess en 1912, ce sont des particules énergétiques, qui peuvent être de différente nature. Les rayons cosmiques qui parviennent au niveau du sol sont des particules dites « secondaires », qui sont produites dans la haute atmosphère par les interactions des rayons cosmiques « primaires », les véritables rayons cosmiques, des particules chargées qui proviennent de loin, de notre galaxie ou d’autres galaxies, et qui sont très énergétiques.
On pense aujourd’hui que ces rayons cosmiques acquièrent leur très grande énergie par une accélération qui a lieu au sein de résidus de supernova ou à proximité de trous noirs supermassifs.
Les progrès récents dans l'observation des rayons gamma ont révélé que de nombreux résidus de supernova émettent des rayons gamma à des énergies de l'ordre du téraélectronvolt (TeV). Or, de tels rayons gamma peuvent être générés par des particules chargées accélérées : protons ou électrons, mais par des mécanismes très différents. La production de photons gamma par des électrons pouvant se faire ailleurs que dans des résidus de supernova.
Il est donc crucial de pouvoir réussir à distinguer si les rayons gamma énergétiques observés ont pour origine des protons accélérés ou bien des électrons accélérés. C’est ce que se sont parvenus à faire Yasuo Fukui (université de Nagoya) et ses collaborateurs.
Les protons produisent des photons gamma de manière indirecte : c’est via des collisions avec d’autres protons (présents dans des nuages d’hydrogène par exemple), qu’ils vont produire des réactions nucléaires menant à la production de mésons neutres π0. Ces pions neutrons se désintègrent ensuite très rapidement (en 8,4 x 10−17 s) en deux photons gamma (dans 98,89% des cas, et en 1 photon gamma et une paire électron-positron dans 1,2% des cas).
Dans le cas des électrons accélérés, le processus de production de photons gamma est direct : les électrons vont simplement entrer en collision avec des photons de la lumière environnante, ou même les photons ambiants du fond diffus cosmologique (micro-onde). Par effet Compton inverse, l’électron transfère une grande partie de son énergie cinétique au photon sur lequel il diffuse, le faisant passer de photon micro-onde (ou infra-rouge, ou visible…) à un photon gamma qui peut atteindre une énergie de l’ordre du GeV ou du TeV.
Fukui et ses collaborateurs savaient que d’un côté l'intensité du rayonnement gamma provenant des protons est proportionnelle à la densité du gaz interstellaire et que celle provenant des électrons est proportionnelle à l’intensité des rayons X non thermiques de l’autre côte (des rayons X qui sont produits par le même effet Compton inverse par les électrons énergétiques). Ils ont donc eu l’idée de comparer le signal gamma qui est observé sur le résidu RX J1713 avec en même temps la densité du gaz interstellaire entourant ce résidu et le signal de rayons X qui y a été enregistré.
Les chercheurs ont exprimé l’intensité des rayons gamma (mesurée par l’observatoire H.E.S.S) comme une combinaison linéaire des deux paramètres : densité du gaz mesurée avec le radiotélescope australien ATCA et intensité des rayons X mesurée par le télescope spatial XMM-Newton, ce qui leur permet finalement de décorréler la fraction de photons gamma provenant des protons de celle provenant des électrons.
Cette méthode est appliquée ici pour la première fois. Et elle s’avère très efficace. Les chercheurs japonais et australiens montrent que l’origine des photons gamma provenant du résidu de supernova RX J1713 est constituée à 67% de protons et à 33% d’électrons (avec une incertitude de +-8). Cette quantification de la répartition des rayons cosmiques primaires n’avait encore jamais été obtenue auparavant.
Ces résultats montrent que les rayons gamma provenant des protons sont dominants dans les régions riches en gaz interstellaire, alors que les rayons gamma provenant des électrons sont renforcés, eux, dans la région pauvre en gaz. Ils confirment que le processus n’est pas binaire en tout ou rien : les deux mécanismes fonctionnent ensemble et c’est la composante hadronique (interactions protons-protons-pions) qui domine largement, surtout lorsque le milieu interstellaire associé au résidu de supernova est massif. Ici, dans RX J1713, sa masse est d’environ 10 000 masses solaires, ce qui fait pas mal de protons cibles.
Yasuo Fukui et ses collaborateurs pensent maintenant affiner les fractions qu'ils ont déterminées, avec de nouvelles observations plus précises encore, notamment sur la détermination de la densité du gaz par des observations en radio. Et ils proposent bien sûr d’appliquer leur méthode sur d’autres résidus de supernovas…
Source
Pursuing the Origin of the Gamma Rays in RX J1713.7-3946 Quantifying the Hadronic and Leptonic Components
Yasuo Fukui et al.
The Astrophysical Journal, Volume 915, Number 2 (9 july 2021)
Illustrations
1. Cartographie de l'intensité gamma, de la densité de gaz et de l'intensité de rayons X (Laboratoire d'astrophysique Université de Nagoya)
2. Processus de production de photons gamma par les voies hadronique et leptonique (Université de Nagoya)
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