25/01/22

Découverte d'un trou noir de 91000 masses solaires dans la galaxie d'Andromède


Une équipe d’astrophysiciens européens et états-uniens vient de découvrir un trou noir de 91000 masses solaires situé dans ce qu’on pensait être l’amas globulaire le plus massif de la galaxie d’Andromède. Il s’agirait en fait d’un résidu de noyau galactique… Ils publient leur découverte dans The Astrophysical Journal.


B023-G078 est (ou était) l’amas globulaire le plus massif de notre galaxie voisine, M31, avec une masse estimée d’un peu plus de 6 millions de masses solaires environ. Renuka Pechetti (Université de Liverpool) et ses collaborateurs ont observé cet objet quelque peu atypique qui se trouve en périphérie de la galaxie d’Andromède. Ils ont utilisé à la fois le télescope Gemini et le télescope Hubble pour étudier la cinématique des étoiles de B023-G078 à partir des spectres à haute résolution. Ils ont pu observer une rotation importante, avec une vitesse d’environ 20 km/s, ainsi qu’une augmentation de la dispersion des vitesses plus on se rapproche de l’amas. Afin d’expliquer ces vitesses d’étoiles, les chercheurs ont donc produit un modèle de B023-G078 en y positionnant un gros trou noir d’une certaine masse, qu’ils ont fait varier, en partant d’une masse nulle. Pechetti et ses collaborateurs ont également simulé une masse sombre étendue, sous la forme d’une grande population de trous noirs de masse stellaire.

Il faut savoir que l'évolution dynamique des amas globulaires entraîne une ségrégation de masse des trous noirs de masse stellaire (et aussi, mais plus lentement, des étoiles à neutrons) vers le centre d'un amas. Une collection de trous noirs stellaires peut alors créer une augmentation de la dispersion de vitesse centrale, imitant l’effet d’un trou noir de masse intermédiaire comme ont pu le montrer Baumgardt et al. et Zocchi et al. 2019. Et de nombreux trous noirs de masse stellaire seront aussi perdus à cause des interactions ou de leur impulsion natale, mais une fraction significative de trous noirs peut être retenue au centre dans certains amas, jusqu'à 2% de la masse de l'amas selon une étude de 2020 (Weatherford et al.)

Le résultat qu’obtiennent Pechetti et ses collaborateurs qui colle le mieux avec les observations du mouvement des étoiles est un gros trou noir de 91000 ±28000 masses solaires situé au centre de l’amas. Mais une solution avec une grande quantité de petits trous noirs pourrait aussi expliquer la cinématique observée, si cette étendue couvre une région de 0,56 pc, selon les chercheurs. Mais comme la masse élevée de B023-G078, que les astrophysiciens ont pu affiner à 6,22 millions de masses solaires, fait vraiment penser à un noyau de galaxie dépouillée dont la galaxie initiale aurait pu avoir une masse d’1 milliard de masses solaires, la piste du trou noir massif devient très pertinente.

Pour aller plus loin, les chercheurs ont donc également étudié les caractéristiques physiques des étoiles de B023-G078 pour déceler s’il pouvait exister des traces pointant vers une solution plutôt qu’une autre. En étudiant le profil de luminosité des étoiles de l’ « amas », leur couleur, le gradient de métallicité ainsi que son étalement, Pechetti et son équipe montrent que B023-G078 ne ressemble pas à ce qu’on attend dans un amas globulaire. Il ressemble davantage à un noyau de galaxie qui aurait été dépouillé. Un amas globulaire a en effet un profil lumineux très caractéristique, qui a la même forme près du centre que dans les régions extérieures. B023-G078 est différent : la courbe de lumière au centre est incurvée et s'aplatit ensuite vers l'extérieur. Les étoiles sont légèrement plus bleues vers l’extérieur que vers l’intérieur de l’amas. D’autre part, la composition chimique des étoiles change également en fonction de la distance du centre, avec plus d'éléments lourds dans les étoiles centrales que dans celles situées près du bord de l'objet. Or les étoiles d’un amas globulaire se forment essentiellement au même moment et doivent avoir une bonne homogénéité de métallicité. En revanche, les noyaux de galaxie peuvent avoir connu des épisodes de formation successifs, avec du gaz qui tombe au centre de la galaxie et forme des étoiles, et des étoiles qui peuvent aussi être entraînées vers le centre par les forces gravitationnelles de la galaxie. Ainsi, les étoiles dans un noyau de galaxie dépouillée doivent être plus mélangées chimiquement que dans les amas globulaires. Et c'est ce qui est observé dans B023-G078…

Pour les astrophysiciens, il existe donc de très sérieux indices qui vont dans le sens que B023-G078 n’est pas un amas globulaire mais le résidu d’une petite galaxie et qu’un trou noir de masse intermédiaire quasi supermassif se trouve en son centre. Pechetti et son équipe précisent que la détection a une signifiance statistique supérieure à 3 sigma. Il s’agirait donc de l’un des premiers trous noirs de masse de l’ordre de 100 000 masses solaires qui est identifié grâce à la cinématique des étoiles qui l’entourent.

Des détections dynamiques de trous noirs intermédiaires (de masse de l’ordre de 10 000 à 50 000 masses solaires) avaient certes été rapportées dans la Voie Lactée (Noyola et al. 2010), dans ω Cen (Baumgardt 2017), dans M54 (Ibata et al. 2009) et NGC 6388 (Lützgendorf et al. 2015), et même déjà dans M31 dans l’amas G1 (Gebhardt et al. 2002), mais aucune n'a été confirmée à ce jour, et aucune n'est étayée par des preuves d'accrétion malgré des recherches radio très profondes qui devraient permettre de détecter des trous noirs intermédiaires même quiescents. La détection la plus convaincante d'un trou noir de masse intermédiaire est la source de rayons X brillante HLX-1. Cet objet, situé à ∼3 kpc du centre d'une galaxie massive, et qui a fait l’objet de plusieurs études entre 2011 et 2014 a une masse estimée à quelques dizaines de milliers de masses solaires et semble également être entourée d'un amas d'étoiles…

Les observations de trous noirs de masse intermédiaire (de plusieurs dizaines de milliers de masses solaires) qui se font très rares, sont très importantes pour mieux comprendre comment se forment les trous noirs supermassifs à partir de ces trous noirs intermédiaires qui peuplent le centre des petites galaxies qui se retrouvent dévorées par les plus grandes, devant mener à des fusions de trous noirs massifs.

 

Source

Detection of a 100,000 M black hole in M31's Most Massive Globular Cluster: A Tidally Stripped Nucleus

Renuka Pechetti et al.

The Astrophysical Journal, Volume 924, Number 2 (11 january 2022)

https://doi.org/10.3847/1538-4357/ac339f

 

Illustration

 

Image de l'amas B023-G078 dans la galaxie d'Andromède (Iván Éder; HST ACS/HRC)

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