lundi 3 janvier 2022

Trois anneaux de poussière à l'origine des planètes du système solaire


Nous ne savons toujours pas comment la Terre et les planètes rocheuses similaires se sont formées dans le système solaire. Pendant longtemps, la principale théorie sur la formation des planètes disait qu'elles se formaient dans la partie interne du système solaire. La poussière dans cette région du système solaire se serait accumulée pour former des embryons planétaires puis, au fil du temps, ces embryons seraient entrés en collision pour former les planètes que nous connaissons. Mais il existe une autre théorie de la formation des planètes, cette fois dans la partie externe du système solaire, suivie de possibles migrations. Trois articles de fin décembre viennent apporter de nouveaux indices très intéressants sur l'origine des planètes du système solaire, et notamment des planètes rocheuses. Ils sont publiés pour le premier dans Science Advances et pour les deux autres dans Nature Astronomy.

Le premier des deux articles que l'on doit à Christoph Burkhardt (Institut für Planetologie, Université de Münster) et ses collaborateurs, dont Alessandro Morbidelli du Laboratoire Lagrange de  l'Observatoire de la Côte d'Azur, fait une analyse comparative des constituants des planètes rocheuses pour quantifier la fraction de matière qui aurait une origine dans les régions externes du système solaire. Le second, signé par Andre Izidoro (Rice University, Houston) conclut, grâce à des simulations du disque protoplanétaire qui devait entourer le Soleil à sa naissance, que des anneaux de planétésimaux séparés par des interstices ont probablement été à l'origine des planètes du système solaire. Et enfin, le troisième article dirigé par Morbidelli et d'autres collaborateurs renforce ces résultats en démontrant que les planétésimaux initiaux se sont formés dans deux zones bien distinctes aux environs de 1 UA et 5 UA du Soleil.

Les deux modèles qui s'affrontent pour expliquer la formation des planètes rocheuses que sont Mercure, Vénus, Terre et Mars sont d'une part un apport massif de petits cailloux et de poussière (de la taille d'un millimètre environ) provenant de la périphérie du système solaire qui se seraient déplacés vers l'intérieur en "sautant" la barrière de Jupiter, s'accumulant alors sur les embryons de planétésimaux pour former les planètes telluriques. Et d'autre part, les planétésimaux  pourraient juste s'entrechoquer pour former des planètes mais sans aucun apport de matière provenant d'au delà de Jupiter qui ferait un barrage gravitationnel efficace.
Théoriquement, ces deux scénarios sont tout aussi plausibles l'un que l'autre. Pour déterminer quelle théorie est correcte, la clé réside dans l'étude des anomalies isotopiques des différents corps. Les abondances isotopiques de la poussière varient en fonction de l'endroit où l'on se trouve dans le système solaire. Cela doit alors conduire à des compositions différentes pour les planètes formées à partir de matériaux du système solaire interne et externe. Pour déterminer quel modèle de formation est le bon, Burkhardt et ses collaborateurs comparent la composition des planètes rocheuses avec les objets du système solaire interne et externe pour voir à quoi elles ressemblent le plus. Les chercheurs effectuent une analyse multiélémentaire (9 isotopes) sur des échantillons de météorites provenant de Mars (17 différentes) et d'ailleurs dans le système solaire, qui les amène à soutenir un modèle dans lequel les planètes se forment en grande partie à partir de matériaux du système solaire interne, avec seulement quelques poucents de matériau provenant des confins glacés du système solaire. 
Plus précisément, les astronomes montrent que les compositions isotopiques de la Terre et de Mars sont régies par un mélange à deux composants entre les matériaux du système solaire interne, y compris les matériaux du disque le plus interne non échantillonnés par des météorites. Leurs résultats invalident donc le premier modèle. Les planètes rocheuses se seraient formées quasi exclusivement à partir de collisions successives d'embryons et de planétésimaux dans le système solaire interne. Pour Burkhardt et ses collaborateurs, la faible fraction de matériau du système solaire externe, 4% seulement, dans la composition Terre et Mars indique bien la présence d'une barrière persistante bloquant la dérive de la poussière dans le disque protosolaire. 

André Izodoro et ses collaborateurs parviennent à une conclusion très similaire à partir de leurs simulations numériques du disque protosolaire. De multiples observations ont révélé que les disques protoplanétaires autour des jeunes étoiles présentent souvent des structures en forme d'anneaux et de lacunes dans leur distribution de poussière. On associe souvent ces caractéristiques à des bosses de pression qui piègent les particules de poussière à des endroits spécifiques qui se retrouvent être des sites idéaux pour la formation de planétésimaux. 
Izodoro et ses collaborateurs montrent par leurs simulations que le disque protoplanétaire qui entourait le Soleil ne devait pas être continu mais formé d'anneaux créés par des bosses de pression. Ils ont modélisé la phase de disque gazeux en supposant l'existence de bosses de pression près de la ligne de sublimation des silicates (à T ~ 1 400 K), de la ligne de neige de l'eau (à T ~ 170 K) et de la ligne de neige du CO (à T ~ 30 K). Les simulations montrent que la poussière s'accumule au niveau des bosses et forme jusqu'à trois anneaux de planétésimaux : un anneau étroit près de 1 UA (là où nous nous trouvons aujourd'hui), un anneau large situé entre 4 UA et 15 UA et un anneau distant entre 20 au et 45 UA. Rappelons que la distances actuelles de Mars, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune sont respectivement environ de 1,5; 5; 10; 19 et 30 UA. L'anneau étroit pourrait donc correspondre aux quatre planètes telluriques, l'anneau large à Jupiter et Saturne et l'anneau distant à Uranus et Neptune. Les chercheurs ont suivi l'évolution de l'anneau le plus interne (l'anneau étroit) et montrent comment il peut expliquer la structure orbitale du Système solaire interne et comment il fournit un cadre pour expliquer les origines des signatures isotopiques de la Terre, de Mars et de différentes classes de météorites. Selon eux, l'anneau central contient suffisamment de masse pour expliquer la croissance rapide des noyaux des planètes géantes. Et pour eux,  l'anneau extérieur est cohérent avec les modèles dynamiques de l'évolution du système solaire qui proposent que le système solaire primordial avait un disque planétaire qui s'étendait bien au-delà de l'orbite actuelle d'Uranus (19 UA), et dont le vestige serait aujourd'hui non seulement les géantes glacées mais aussi la ceinture de Kuiper et sa multitude de petits objets.

Le troisième article qui est publié lui aussi dans Nature Astronomy s'intéresse plus spécifiquement aux planétésimaux qui se sont formés dans la région interne du système solaire. Alessandro Morbidelli et ses collaborateurs montrent, en modélisant l'évolution d'un disque avec accrétion continue de matière provenant de l'effondrement du nuage moléculaire, que la formation de planétésimaux peut avoir été déclenchée dans les premiers 0,5 million d'années par un empilement de poussière à la fois au niveau de la ligne de neige (à ~5 UA, l'emplacement actuel de Jupiter) et au niveau de la ligne de sublimation des silicates (à ~1 UA, l'emplacement actuel de la Terre et des autres planètes rocheuses). Le processus a lieu en revanche que si la diffusion turbulente est faible. Les chercheurs expliquent que la concentration de particules à environ 1 UA est due au mouvement radial précoce du gaz vers l'extérieur et elle devait être assistée par la sublimation et la recondensation des silicates. Les résultats indiquent que, bien que les planétésimaux dans les deux zones (zones des planètes rocheuses et zone de Jupiter) se soient formés à peu près simultanément, ceux de la ligne des neiges (Jupier) ont accrété une grande fraction de leur masse (~60%) à partir de matériaux livrés au disque au cours des premières dizaines de milliers d'années seulement, alors que cette fraction n'est que de 30% pour les planétésimaux formés au niveau de la ligne des silicates (planètes telluriques). Et comme la composition isotopique de la matière change avec le temps, ces deux populations de planétésimaux devraient induire des compositions isotopiques distinctes, ce qui est en accord avec les observations.

En résumé, l'image qui se dessine pour la formation des planètes de notre système solaire, c'est une formation dans trois zones bien délimitées entre elles, et avec très peu de contacts. Comme de nombreux disques protoplanétaires qui sont observés de plus en plus couramment, le Soleil se serait entouré de trois disques de poussière de taille différente séparés par des interstices. Chacun d'eux aurait produit ses planétésimaux qui, par fusions successives auraient mené en moins d'un million d'années aux planètes rocheuses dans la région interne, aux planètes géantes au centre et aux planètes glacées et aux petits corps à l'extérieur. La forte masse de Jupiter aurait ensuite très rapidement empêché la migration de matériaux de l'anneau externe vers la zone interne du système solaire. 

Sources

Terrestrial planet formation from lost inner solar system material
Christoph Burkhardt et al.
Science Advances Vol 7, Issue 52 (22 Dec 2021)

Planetesimal rings as the cause of the Solar System’s planetary architecture
Andre Izidoro et al.
Nature Astronomy (30 december 2021)

Contemporary formation of early Solar System planetesimals at two distinct radial locations
A. Morbidelli et al.
Nature Astronomy (22 december 2021)


Illustration

1. Disques protoplanétaires imagés par ALMA (Nienke van der Marel et al.)
2. Premier exemple de disque protoplanétaire formant des anneaux, autour de HL Tau, détecté par ALMA en 2014 (ALMA (ESO/NAOJ/NRAO))

2 commentaires :

ATDB.aero a dit…

Merci, mais comment réconcilier ces nouveaux modèles avec le modèle de Nice et le "Big Tack" ? J'avoue avoir du mal à comprendre la chronologie, surtout si l'on ajoute la contrainte de devoir expliquer le Late Heavy Bombardment 400 à 800 millions d'années plus tard. Des idées ?

Dr Eric Simon a dit…

Justement, on ne le reconcilie pas. Ce modèle de formation se substituerait au modèle de Nice. On peut noter un point amusant : Alessandro Morbidelli qui était partie prenante dans le modèle de Nice, a participé à deux de ces nouveaux articlés.