lundi 17 janvier 2022

Comportement inédit d'un magnétar observé avec NICER


Un comportement inédit vient d'être observé dans le signal d'une éruption de rayons X d'un magnétar. Trois pics d'intensité fusionnent en un seul pic en l'espace de quelques jours. Cette observation de l'évolution des points chauds à la surface du magnétar indique comment doit bouger sa croûte... L'étude est parue dans The Astrophysical Journal Letters.

Le magnétar SGR 1830-0645 a été découvert le 10 octobre 2020 après qu'une courte éruption de rayons X mous en provenance de sa direction ait été détectée par l'instrument Swift/ BAT (Page al. 2020).
Des campagnes d'observation ultérieures ont révélé la présence d'une source de rayons X brillante, avec des propriétés de rotation cohérentes avec l'ensemble de la famille des magnétars, avec notamment une fréquence de rotation ν = 0,096 Hz (une période de rotation de 10,4 s). Son taux de ralentissement de 6,2 10-14 Hz/s fournit à la fois l'intensité de son champ magnétique et son âge : B = 2,7 1014 G à l'équateur et 24300 ans. Dans les mois qui ont suivi la découverte de la source, son flux de rayons X mous a diminué d'un facteur 6.
George Younes (Goddard Space Flight Center) et ses collaborateurs ont étudié SGR 1830-0645 avec le télescope à rayons X NICER (Neutron star Interior Composition Explorer) qui est fixé sur l'ISS. Ils l'ont observé sur la plage en énergie entre 0,8 et 7 keV pendant 37 jours qui suivaient le début d'une forte éruption de rayons X. On rappelle que les magnétars sont des étoiles à neutrons qui arborent un champ magnétique démesuré de l'ordre de 1014 G ou plus. Les magnétars subissent de fortes éruptions visibles en rayons X qui peuvent durer plusieurs semaines ou plusieurs mois, et durant ces éruptions, on peut observer une forte évolution des profils d'impulsion des rayons X mous, ainsi que des composantes d'émission magnétosphériques non thermiques.
Les chercheurs ont enregistré quotidiennement la forme du flux de rayons X dans le temps. Le premier jour, ils ont pu voir très nettement une triple bosse dans l'intensité du flux de rayons X, comme si il y avait trois points chauds à la surface de l'étoile à neutrons. Mais dans la semaine qui suivit, les différents pics d'intensité se sont affaiblit tandis que la bosse principale grossissait : les trois pics semblaient fusionner en un seul. Et c'est bien ce qui s'est passé : au bout de 30 jours, les trois proéminences étaient devenues quasi indistinguables et après 37 jours, il n'y avait plus qu'une seule grosse bosse dans la distribution du flux. 
Un tel comportement n'a jamais été observé auparavant. L'analyse spectroscopique à haute résolution ne révèle par ailleurs aucune évolution significative de la température malgré la complexité de l'impulsion initiale.

Younes et ses collaborateurs suggèrent deux origines possibles pour cette évolution. Premièrement, pour expliquer le chauffage interne de la surface de l'étoile à neutrons, le mouvement tectonique de la croûte pourrait en être la cause sous-jacente, comme l'avaient montré Li, Beloborodov et Deibel en 2016 et 2017. Younes et ses collaborateurs déterminent alors quelle serait la vitesse correspondante de ce mouvement crustal : 100 m/jour ... (rappelons qu'on est ici sur un astre hyperdense qui fait environ 10 km de rayon). Ce mouvement de la croûte de l'étoile à neutrons qui est inféré à partir de l'évolution des pics d'intensité des rayons X produits apporte une nouvelle contrainte sur la densité de la zone jusqu'à une profondeur de 200 m : elle doit être de l'ordre de 10 milliards de g/cm3 à une profondeur de 200 m. Ils estiment d'ailleurs que c'est de cette profondeur que proviendrait le mouvement tectonique, une profondeur qui correspond à la limite où la matière nucléaire devient fluide.
 
La seconde origine possible pour ces points chauds qui se rassemblent au cours de l'éruption du magnétar serait selon Younes et son équipe le bombardement de particules provenant d'une magnétosphère possédant des tubes ou des cordes de flux magnétique torsadés, ressemblant quelque peu aux boucles coronales solaires, et qui se détordent et se dissipent sur une échelle de temps de 30 à 40 jours. La migration des pics peut alors être due à une combinaison du mouvement du point d'ancrage des lignes de champ (entraîné par le mouvement de la croûte) et de l'évolution du rayonnement des particules à la surface.
Dans les deux cas, l'éruption est initiée par une rupture élastique de la croûte, mais leur évolution est dictée par différentes régions de l'étoile à neutrons. Ces deux scénarios pourraient agir séparément ou de concert pour générer la fusion des pics et la réduction de la zone du point chaud.

Les observations quotidiennes à haut débit de rayons X étaient extrêmement rares avant le lancement de NICER, et si quelques observations ont pu être capables de repérer ce qui ressemblait à un mouvement de pic d'intensité comme celui qui est observé en détails aujourd'hui, elles étaient généralement réparties sur toute la période de décroissance de l'éruption, qui s'étale sur plusieurs années, ce qui ne permettait pas d'échantillonner suffisamment une évolution aussi rapide.
D'un autre côté, NICER a aussi observé quotidiennement d'autres magnétars (Swift J1818.0-1607 en 2020 et Swift J1555.2-5402 en 2021), qui ont montré un profil très stable à une seule impulsion au cours des premiers mois suivant le début de leur éruption. Le manque d'observations ne peut donc pas expliquer à lui seul l'absence de mouvement de pic d'impulsion, et ce sont bien certaines propriétés intrinsèques du magnétar qui doivent être en jeu, par exemple la géométrie des régions touchées et/ou la profondeur à laquelle le mouvement crustal se produit.

NICER avec sa résolution temporelle imbattable se révèle être un instrument essentiel pour révéler la diversité de ce phénomène au sein de la population des magnétars. Les futures études pourront guider le développement d'une image théorique plus complète, où la magnétosphère et la croûte sont considérées en tandem, par exemple en définissant la manière avec laquelle le champ magnétique se propage de la magnétosphère à la croûte externe. Ces recherches permettront sans doute d'éclaircir la physique de la croûte et de la magnétosphère, ce qui aidera à distinguer les scénarios à l'origine de la migration des pics d'impulsions de rayons X.

Source 

Pulse Peak Migration during the Outburst Decay of the Magnetar SGR 1830-0645: Crustal Motion and Magnetospheric Untwisting
George Younes et al.
The Astrophysical Journal Letters, 924 (10 january 2022)


Illustrations

1. Vue d'artiste d'un magnétar (S. Wiessinger / Goddard Space Flight Center / NASA)
2. Evolution dans le temps de la distribution de l'intensité X observée avec NICER (Younes et al.)
 


Aucun commentaire :