Une équipe d’astrophysiciens a détecté le gaz d’un disque circumplanétaire entourant une planète en formation, lui-même engoncé dans le disque circumstellaire d’une jeune étoile nommée AS 209. L’étude est publiée dans The Astrophysical Journal Letters.
Le système stellaire de AS 209 intéresse les astronomes depuis plus de cinq ans dans le cadre de la collaboration ALMA MAPS (Molecules with ALMA at Planet-forming Scales), notamment en raison de la présence de sept anneaux imbriqués dans son disque circumstellaire, que les chercheurs pensent être associés à la formation de planètes en cours.
Jaehan Bae (université de Floride) et ses collaborateurs ont utilisé ALMA pour obtenir cette première détection de gaz circumplanétaire au sein du disque circumstellaire. Les disques circumplanétaires sont des amas de gaz, de poussières et de débris qui constituent pour une bonne part la matière qui donne naissance aux planètes. Ces disques donnent aussi naissance à des satellites et à d'autres petits objets rocheux, et peuvent contrôler la croissance des jeunes planètes géantes.
AS 209 est une très jeune étoile située à environ 395 années-lumière de la Terre, qui montre un superbe disque circumstellaire, caractérisé il y a quelques années avec ALMA déjà. Les chercheurs avaient observé la présence d’une tache de lumière au milieu d'un espace vide dans le gaz entourant l'étoile. En y regardant de plus près, Bae et son équipe ont compris qu’il s’agissait d’un disque circumplanétaire entourant une planète potentielle de la taille de Jupiter. L'exoplanète est située à plus de 200 unités astronomiques de l’étoile, ce qui remet en question les théories actuellement acceptées sur la formation des planètes. Et si l'âge de l'étoile hôte, estimé à seulement 1,6 million d'années, se vérifie, cette exoplanète pourrait être l'une des plus jeunes jamais détectées. Des études plus approfondies sont nécessaires, en espérant que les observations à venir avec le télescope spatial Webb confirmeront la présence de cette planète.
Deux autres cas de disque circumplanétaires avaient été rapportés, en 2019 puis en 2021, notamment un disque circumplanétaire en train de former une lune autour de la jeune exoplanète PDS 70c. Mais c’est ici la première fois que le gaz formant ce disque circumplanétaire peut être identifié clairement à partir d’une raie d’émission du 13CO. Bae et son équipe peuvent donner une estimation de la dimension de ce disque circumplanétaire : elle doit être inférieure à 14 AU, ainsi que de sa température : elle doit être supérieure à 35 K, ce qui est plus élevé que la température du disque circumstellaire à cette distance radiale (qui vaut 22 K). Il doit donc exister selon eux une source de chauffage en son centre. Les sources potentielles comprennent le chauffage thermique d’une planète (hypothèse la plus probable), le chauffage visqueux/turbulent interne du disque de gaz, et le chauffage par choc/compression de la matière du disque circumstellaire.
Quant à la masse totale du gaz composant le disque circumplanétaire, elle doit être supérieure à 30 masses terrestres, et les chercheurs évaluent aussi la masse de poussière qu’il contient, grâce à l’absence d’émission millimétrique du continuum à sa position, elle doit être très faible, inférieure à 2,2 fois la masse de la Lune… Le rapport poussière sur gaz dans ce disque circumplanétaire est donc inférieur à 9 10-4 ce qui serait vraisemblablement dû à un approvisionnement limité en poussière du disque et/ou à une dérive radiale rapide de la poussière à l'intérieur. L'observation d’une planète aussi jeune permet d'établir des contraintes fortes sur le mécanisme et l'échelle de temps de la formation des planètes, ce qui est crucial pour acquérir de nouvelles connaissances sur la formation et l'évolution des planètes géantes.
D'après la largeur des interstices du disque circumstellaire, les astronomes déduisent que la masse de la planète est d'environ 1 masse de Jupiter. La question qu’ils se posent est « Comment une planète géante s'est-elle formée à un rayon orbital de 200 UA ? » Une possibilité selon Bae et son équipe est que le disque de l’étoile AS 209 était gravitationnellement instable dans le passé et que la planète se serait formée par instabilité gravitationnelle (un scénario appelé GI). Les limites du scénario GI qui souvent mentionnées dans la littérature sont que les masses des fragments induits par l'instabilité gravitationnelle sont généralement grandes, voire dans le régime des naines brunes, et que ces fragments souffrent de perturbation par les marées et/ou de migration radiale rapide. Cependant, les auteurs précisent que de récentes simulations magnétohydrodynamiques incluant l'auto-gravité du disque ont montré que les champs magnétiques peuvent limiter la masse des fragments induits par l'instabilité gravitationnelle à moins de quelques masses de Jupiter, et peuvent également les empêcher d'être perturbés par les marées. D’autre part, la migration orbitale pourrait s'arrêter lorsque la planète accrète activement du gaz et creuse un profond sillon dans le disque circumstellaire. Mais dans le cas de AS209, ça se complique du fait que le disque entourant l’étoile n’a qu’une faible masse de l’ordre de 4 fois la masse de Jupiter et d’après le profil de densité de surface du gaz, et la température, il doit être gravitationnellement stable actuellement. Et si il avait été plus massif dans le passé, et donc instable, ce qui ne peut pas être exclu, il faudrait comprendre comment il aurait perdu autant de masse si efficacement depuis.
Une alternative au scénario de l’instabilité gravitationnelle présentée par l’équipe de Bae est ce qu’on appelle l'accrétion de galets. Mais pour que le scénario d'accrétion de galets fonctionne, quelques éléments doivent cependant être réconciliés. Tout d'abord, l'émission du continuum du disque de AS 209 apparaît confinée dans la partie intérieure de ≃140 UA actuellement. Comment le noyau s'est-il développé et comment la planète n'a-t-elle pas piégé des grains millimétriques au-delà de son orbite ? Les chercheurs proposent pour répondre à ces questions que dans ce scénario, le noyau de la planète n'a jamais atteint la masse critique dite d' ‘isolement des galets’ et que les galets pouvaient librement dériver vers l’étoile en traversant l'orbite de la planète. Sur la base des relations d'échelle issues de simulations hydrodynamiques, Bae et al. calculent que la masse d'isolement des galets à 200 UA dans le disque d'AS 209 devrait être de plus de 100 M⊕, soit bien plus élevée que la masse critique du noyau de 10 à 20 M⊕, à partir de laquelle l'accrétion de gaz par emballement peut commencer. Bae et ses collègues envisagent donc un scénario dans lequel les cailloux qui existaient au-delà de l'orbite du noyau planétaire ont migré vers l’étoile en laissant le noyau derrière eux.
Il faut ensuite vérifier si un nombre suffisant de galets existait pour former le noyau de la planète géante. Pour ce faire, ils estiment d'abord la masse totale de cailloux nécessaire à la dérive vers le noyau pour atteindre 10 M⊕. Ils obtiennent une masse de galets de 130 M⊕. La masse totale de poussière dans le disque de AS 209 est actuellement d'environ 300 M⊕, mais étant donné qu'il est très peu probable que tous les grains millimétriques actuellement à l'intérieur de l'orbite de la planète aient été autrefois au-delà de 200 UA, une accrétion de galets plus efficace que le modèle standard d'accrétion de galets de Lambrechts & Johansen (publié en 2014) est probablement nécessaire selon Bae. Ils évoquent quelques possibilités comme la présence de bosses de pression ou d'un vortex qui aurait pu se former très tôt à partir des flux entrants dans le nuage protostellaire, et des changements dans les propriétés d'adhérence des grains, ce qui peut ralentir ou même arrêter la dérive radiale des grains.
Enfin, il faut aussi vérifier qu'il s’est écoulé suffisamment de temps pour qu'un noyau se forme par accrétion de galets. L'échelle de temps nécessaire à l'accrétion de galets pour former un noyau est une fonction de la masse critique et de la distance radiale. Avec une masse critique de 10 M⊕, et une distance de 200 UA, l'échelle de temps d'accrétion des galets est de 1,6 millions d’années, bien que, comme mentionné précédemment, une dérive radiale plus lente ou le piégeage de particules peuvent améliorer l'efficacité de l'accrétion des galets et raccourcir le temps requis pour former le noyau. Étant donné que l'âge estimé de AS 209 est de 1 à 2 millions d’années, la longue échelle de temps d'accrétion d’un noyau planétaire pourrait indiquer, selon les chercheurs, que la planète aurait commencé sa phase d'accrétion par emballement depuis moins d’un million d’années. Donc, pour accréter une masse de 1 MJup au cours du dernier million d'année, le taux d'accrétion moyen serait de ≃10-6 MJup par an, ce qui est 100 fois plus élevé que le taux d'accrétion de PDS 70b et c qui a été mesuré à partir de leur émission de la raie Hα en 2018 et 2019 (10-8 MJup par an).
Comme souvent, des réponses mènent à de nouvelles questions, et les solutions sont rarement pleinement satisfaisantes. De nouvelles observations pourront certainement éclaircir le cas de cette planète en train de naître et montrer si elle produit une accrétion constante ou bien un pic d’accrétion de gaz transitoire…
Source
Molecules with ALMA at Planet-forming Scales (MAPS). A Circumplanetary Disk Candidate in Molecular Line Emission in the AS 209 Disk
Bae et al,
The Astrophysical Journal Letters, Volume 934, Number 2 (27 july 2022)
https://doi.org/10.3847/2041-
Illustrations
1. Le système AS 209 imagé par ALMA (ESO/NAOJ/NRAO), A. Sierra (U. Chile)
2. Localisation du disque circumplanétaire entourant une planète naissante imagé par ALMA (ESO/NAOJ/NRAO), J. Bae (U. Florida)
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