02/08/22

Un trou noir dormant découvert dans le Grand Nuage de Magellan


Une équipe internationale publie la découverte d’un trou noir stellaire quasi indétectable, situé dans un système binaire accompagné d’une étoile géante. Ce type de trou noir est appelé un trou noir « dormant », et l’étude est publiée dans Nature Astronomy...

Tomer Shenar (université d'Amsterdam) et ses collaborateurs affirment que VFTS 243 est le premier trou noir "dormant" de masse stellaire qui est détecté sans ambiguïté en dehors de la Voie Lactée. Il se trouve effectivement dans la galaxie satellite du Grand Nuage de Magellan à environ 160 000 années-lumière. Ils l’ont détecté grâce à six années d'observations obtenues avec le Very Large Telescope (VLT) de l'Observatoire européen austral (ESO). Sa masse évaluée est d’au moins 9 masses solaires et il tourne autour d'une étoile bleue massive de 25 masses solaires en 10,4 jours.

Pour trouver VFTS 243, la collaboration a observé près de 1 000 étoiles massives dans la région de la nébuleuse de la Tarentule du Grand Nuage de Magellan, à la recherche de celles qui pourraient avoir des trous noirs comme compagnons, à l’aide du spectrographe FLAMES (Fiber Large Array Multi Element Spectrograph) monté sur le VLT, qui offre la possibilité d'observer plus d'une centaine d'objets en même temps. VFTS 243 est l'une des 51 binaires spectroscopiques de type O caractérisées par le Tarantula Massive Binary Monitoring (TMBM). Ces binaires comprennent chacune une étoile massive de type O bien identifiée orbitant autour d'un compagnon "caché" dont la signature spectrale n'a pas été détectée jusqu'à présent. Mais en utilisant une méthode d'analyse de pointe, Shenar et son équipe ont pu dévoiler les signatures spectrales des étoiles compagnes non dégénérées dans la grande majorité des 51 binaires, mais pas dans VFTS 243. A partir des spectres mesurés, les astrophysiciens ont dérivé les éléments orbitaux de la binaire VFTS 243 et trouvent des résultats cohérents avec ceux publiés précédemment. VFTS 243 a une période orbitale P = 10,4031 ± 0,0004 jours et une excentricité de e = 0,017 ± 0,012. Alors que le mouvement de la géante bleue est clairement visible dans le spectre, aucune signature d'un objet secondaire ne peut être immédiatement identifiée dans les données. Les chercheurs ont calculé des modèles d'atmosphère stellaire en utilisant trois codes indépendants appropriés pour les étoiles de type O afin de contraindre les propriétés atmosphériques de l’étoile géante. Ils en déduisent les caractéristiques de l’étoile : température effective (36000 ± 1000 K), gravité de surface, luminosité bolométrique log L = 5,20 ± 0,04 [L] et rayon R = 10,3 ± 0,3 R. Ils détectent également des signatures de matière issue de réactions nucléaires du cycle du carbone (CNO) et mesurent une vitesse de rotation projetée v sin i = 181 ± 16 km s-1, qui apparaît d’ailleurs relativement élevée par rapport aux étoiles O simples et binaires de la région de la Tarentule.

C’est à partir de tous ces paramètres que Shenar et son équipe déterminent la masse de l’étoile géante et trouvent une valeur de 25,0 ± 0,3 masses solaires. Ils peuvent même lui donner un âge : 7,4 millions d’années. Ensuite, à partir des valeurs des paramètres orbitaux : période, vitesse et angle d’inclinaison (l’angle d’inclinaison doit être compris entre 40° et 90°), ils peuvent calculer la masse de l’objet invisible du couple. Et ils trouvent alors pour valeur la plus probable 10,1 ± 0,3 masses solaires et une valeur minimale (en considérant l’inclinaison maximale du système) qui vaut 8,7 ± 0,5 masses solaires… Or, une étoile de la séquence principale qui aurait une telle masse d’au moins 9 masses solaires devraient être visible dans la lumière formant les spectres qui ont été mesurés, mais aucune trace n’existe dans les données. Pour en avoir le cœur net, Shenar et ses collaborateurs ont simulé la présence d’une étoile de 9 masses solaires qui produirait très improbablement seulement 1% du flux de VFTS 243, correspondant à une étoile naine particulière ou une étoile d’hélium, et leur algorithme d’analyse spectrale la trouve… A court de solutions stellaires, ils en concluent qu’il s’agit d’un trou noir très silencieux…

Mais l'étoile qui a formé le trou noir de VFTS 243 semble s'être directement effondrée en trou noir, sans aucun signe d'une explosion antérieure, selon les chercheurs. Ici, l'orbite quasi circulaire et la cinématique de VFTS 243 impliquent que l'effondrement de l’étoile progénitrice en un trou noir n’a été associé qu’à très peu ou pas du tout de matière éjectée, et pas non plus à une impulsion natale du trou noir (un kick). Cette étude fournit l'une des indications les plus directes de ce processus encore mal caractérisé qu’est l’effondrement direct des étoiles très massives sans explosion de supernova.

L'identification de ce type de binaire unique aura certainement un impact important sur les taux prévus de détection d’ondes gravitationnelles venant de fusions de trous noirs, mais aussi sur les propriétés des supernovas à effondrement de cœur.


Source

An X-ray-quiet black hole born with a negligible kick in a massive binary within the Large Magellanic Cloud

Tomer Shenar et al.

Nature Astronomy (18 july 2022)

https://doi.org/10.1038/s41550-022-01730-y


Illustration 

Vue d'artiste de la binaire VFTS 243 (ESO/M.-R. Cioni/VISTA Magellanic Cloud survey; Isca Mayo/Sara Pinilla)

3 commentaires :

Claire a dit…

Voilà qui est très intéressant ! D'après ce que je comprend, c'est l'absence de preuve directe qui fait dire qu'il s'agit là d'un trou noir.
Les trous noirs sont-ils toujours identifiés de cette manière? Ou bien sont-ils habituellement détectés grâce à l'effondrement de l'étoile à son origine? Et question de néophyte, est il possible d'observer un trou noir avec un simple télescope du grand public ou est ce faisable uniquement avec un équipement professionnel ?

Dr Eric Simon a dit…

Dans la grande majorité des cas, on détecte les trous noirs parce qu'ils accrètent du gaz autour d'eux qui s'échauffe fortement lorsqu'il tourne autour (par friction), ce qui produit des rayons X, que l'on détecte. L'autre méthode est celle décrite ici : mesurer le mouvement d'une étoile compagne, mais c'est très délicat. Cela a été fait dans quelques cas dans des amas globulaires de notre galaxie notamment. Dans les deux cas, il s'agit de trous noirs qui vivent en couple avec une étoile dans un système binaire.
Il est impossible d'observer un trou noir avec un télescope d'amateur. Cela requière des grands instrument (télescopes spatiaux pour les rayons X et télescopes de très grand diamètre munis de spectrographe de haute performance pour les mesures de cinématique stellaire).

Claire a dit…

Merci pour ces précision!