mardi 30 août 2022

Mesures de noyaux au delà du fer dans les rayons cosmiques galactiques


La composition du rayonnement cosmique galactique (GCR) en noyaux atomiques plus lourds que le fer a été déterminée par la première fois, grâce au spectromètre isotopique CRIS qui est à bord de la sonde ACE (Advanced Composition Explorer) au point de Lagrange L1 depuis 1997. Les chercheurs ont exploité plus de 20 ans de mesures... L’étude est publiée dans The Astrophysical Journal.

Walter Binns (Université de Saint Louis) et ses collaborateurs ont déterminé la composition isotopique des GCR pour des numéros atomiques compris entre 29 (le cuivre) et 38 (le strontium). Les abondances des éléments dans les rayons cosmiques galactiques fournissent des contraintes importantes sur leur origine. Le spectromètre isotopique CRIS de la sonde ACE a été conçu pour mesurer les abondances élémentaires et isotopiques des noyaux dont le numéro atomique se situe dans la gamme 4 ≤ Z ≤ 30. Mais l'excellente résolution isotopique et les statistiques obtenues par CRIS (Cosmic Ray Isotope Spectrometer) ont permis de pousser plus loin jusqu’à Z = 38. Les abondances relatives des noyaux avec Z > 28 diminuent considérablement avec l'augmentation du numéro atomique. Par exemple, les abondances dans le système solaire du Zn (Z=30) et du Ge (Z=32) sont inférieures à celle de Ni (Z=28) par des facteurs 40 et 400, respectivement. C’est le très long temps d'exposition de CRIS (24 ans de fonctionnement actuellement), qui a permis d'accumuler un nombre suffisant d'événements pour mesurer la composition isotopique du Gallium (31), du Germanium (32), du Sélénium (34), du Krypton (36) et du Strontium (38) pour la première fois. Et cela a aussi permis d'obtenir des indications à faible statistique de la composition isotopique de l’Arsenic (33) et du Brome (35). De plus, Binns et son équipe ont obtenu des mesures des noyaux de Cuivre (29) et Zinc (30) avec des statistiques nettement améliorées par rapport à celles publiées précédemment.
Les mesures antérieures de la composition isotopique de CRIS avaient fourni des informations précieuses sur l'origine des rayons cosmiques. CRIS avait notamment montré que l'abondance dans les rayons cosmiques de 59Ni, qui se désintègre par capture électronique avec une demi-vie de 76000 ans, est cohérente avec l'absence de cet isotope dans le matériau source des rayons cosmiques, ce qui indique un délai entre la nucléosynthèse et l'accélération des rayons cosmiques supérieur à 100000 ans. Par ailleurs, la découverte dans les rayons cosmiques par CRIS de l'isotope radioactif  60Fe, qui se désintègre par émission β- avec une demi-vie de 2,6 mégannées, et la mesure du rapport 60Fe/56Fe avaient montré que le temps nécessaire à l'accélération et au transport vers la Terre ne dépasse pas de beaucoup la demi-vie du 60Fe et que donc, la distance de la source du 60Fe ne dépasse pas de beaucoup 1 kpc, ce qui serait cohérent avec une origine dans un amas d'étoiles massives proche. 
Et puis, il avait aussi été démontré en 2005, déjà par Binns et ses collaborateurs de l’époque grâce au même détecteur que le rapport 22Ne/20Ne dans les rayons cosmiques était 5 fois plus important que dans le système solaire. Ils en avaient conclu que cet enrichissement en 22Ne soutenait les modèles d'origine des rayons cosmiques dans les associations OB, où la matière interstellaire normale, de composition similaire à celle du système solaire, se retrouve enrichie par le flux sortant des étoiles massives, en particulier des étoiles Wolf-Rayet.

Dans cette nouvelle étude, Binns et ses collaborateurs présentent des mesures des abondances relatives des isotopes au-delà du fer sur une gamme d'énergie qui s’étale de 130 à 700 MeV/nucléon. En utilisant les abondances observées et un modèle de transport des rayons cosmiques dans la Galaxie et le système solaire, ils déduisent les abondances relatives de ces isotopes à la source des rayons cosmiques galactiques. En comparant ces abondances isotopiques des sources de GCR avec les abondances correspondantes dans le système solaire, Binns et son équipe arrivent à la conclusion que le milieu interstellaire dans la région d'où proviennent les rayons cosmiques a une composition similaire, mais non identique, à celle du système solaire. Les abondances élémentaires des GCR observées indiquent que la source des GCR est un mélange de 20 % de matière produite par des étoiles massives et de 80 % de matière dont la composition est très similaire à celle du système solaire, présumée provenir du milieu intergalactique. La comparaison avec la matière du système solaire ne donne aucune indication d’un quelconque enrichissement de la source en isotopes produits via le processus r de nucléosynthèse cataclysmique (nucléosynthèse par capture rapide de neutrons rencontrée typiquement dans les supernovas et les fusions d’étoiles à neutrons).

Puisqu'une grande fraction des supernovas à effondrement de cœur se produit dans des associations stellaires OB, le fait que les sources de GCR ne contiennent pas d'abondances accrues en noyaux produits via le processus r indique selon les chercheurs que ces supernovas de type II ne doivent pas être la principale source de noyaux du processus r plus légers (Z ≤ 38) que l’on trouve dans le système solaire. Cette conclusion soutient d’ailleurs des travaux récents parus entre 2017 et 2021 qui désignaient les fusions d'étoiles à neutrons, plutôt que les supernovas, comme la principale source galactique de noyaux du processus r.


Source

The Isotopic Abundances of Galactic Cosmic Rays with Atomic Number 29 ≤ Z ≤ 38 W. R. Binns et al. 
Walter Binns et al.
The Astrophysical Journal, Volume 936, Number 1 (2022 August 25)


Illustration

La sonde ACE qui a été lancée en août 1997 et toujours en fonction. CRIS est le cube sur le côté à gauche  (NASA/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory)

1 commentaire :

Claire a dit…

2 décennies de données à exploiter mais c'est énorme ! Quel travail de fourmis pour arriver à trouver le résultat tant attendu! Je suis toujours impressionné par ce type de recherche!