mardi 11 octobre 2022

La distance Terre-Lune il y a 2,46 milliards d'années mesurée dans des roches sédimentaires


La lune s'éloigne actuellement de la Terre de 3,8 cm chaque année. Si on prend le taux de recul actuel de la lune et qu'on le projette dans le temps, on aboutit à une collision avec la Terre  il y a environ 1,5 milliard d'années. Mais la Lune s'est formée il y a environ 4,5 milliards d'années, ce qui signifie que le taux de récession actuel est un mauvais guide pour l'histoire passée. Une équipe de géologues a réussi à déterminer indirectement quelle était la distance Terre-Lune il y a 2,46 milliards d'années, grâce à des couches de sédiments façonnées par les changements climatiques liés à la rotation de la Terre. Ils publient leur étude dans Proceedings of the National Academy of Sciences.

En 1969, les missions Apollo de la NASA ont installé des panneaux réfléchissants sur la lune qui permettent d'effectuer des mesures de distance très précises grâce à la réflexion d'un laser. Ce sont ces mesures qui ont montré que la lune s'éloigne actuellement de 3,8 cm de la Terre chaque année. 
Une autre façon d'évaluer la distance Terre-Lune est d'étudier les effets que produit la Lune sur la Terre. Parmi ces effets, il y a bien sûr les effets de marées sur les océans, mais aussi les variations de l'inclinaison de la Terre qui peuvent provoquer des changements climatiques. Margriet Lantink (université du Wisconsin) et son équipe ont utilisé cette méthode géologique pour tenter d'obtenir des informations sur le passé lointain du système Terre-Lune, via les conséquences du changement climatique de l'époque. 
L'endroit idéal pour cela est le parc national de Karijini, dans l'ouest de l'Australie, où certaines gorges, les gorges de Joffre, traversent des sédiments vieux de 2,46 milliards d'années, et dont les couches ferreuses rougeâtres apparaissent alternées avec des couches argileuses plus fines et plus sombres. Ces alternances sont attribuées aux changements climatiques passés induits par les variations de l'excentricité de l'orbite de la Terre. Un examen attentif des affleurements révèle la présence d'une variation plus régulière et à plus petite échelle. En 1972, le géologue australien A.F. Trendall avait soulevé la question de l'origine des différentes échelles de motifs cycliques et récurrents visibles dans ces anciennes couches rocheuses. Il avait suggéré que ces motifs pourraient être liés aux variations climatiques passées induites par les "cycles de Milankovitch".

Les cycles de Milankovitch décrivent comment de petits changements périodiques dans la forme de l'orbite de la Terre et l'orientation de son axe influencent la distribution de la lumière solaire reçue par la Terre sur des périodes de plusieurs années. Actuellement, les cycles de Milankovitch dominants changent tous les 400 000 ans, 100 000 ans, 41 000 ans et 21 000 ans. Ces variations exercent un contrôle important sur notre climat sur de longues périodes. Les exemples clés de l'influence du forçage climatique de Milankovitch dans le passé sont l'apparition de périodes extrêmement froides ou chaudes, ainsi que des conditions climatiques régionales plus humides ou plus sèches. Ces changements climatiques ont considérablement modifié les conditions à la surface de la Terre. Ils expliquent par exemple le verdissement périodique du désert saharien. Les cycles de Milankovitch ont également influencé la migration et l'évolution de la flore et de la faune, y compris Homo Sapiens. Les signatures de ces changements peuvent être lues à travers les modifications cycliques des roches sédimentaires.  Ces alternances de couches rocheuses, interprétées comme un signal du cycle de précession de la Terre, permettent à Lantink et ses collaborateurs d'estimer la distance entre la Terre et la Lune il y a 2,46 milliards d'années. 
La distance entre la Terre et la Lune est en effet directement liée à la fréquence de l'un des cycles de Milankovitch. Ce cycle résulte du mouvement de précession (changement d'orientation de l'axe de rotation) de la Terre au fil du temps. Il a actuellement une durée d'environ 21 000 ans, mais cette période aurait été plus courte dans le passé lorsque la Lune était plus proche de la Terre. Si on peut trouver la trace des cycles de Milankovitch dans des sédiments anciens, puis en déduire le signal de l'oscillation de la Terre et établir sa période, on peut alors estimer la distance entre la Terre et la Lune à l'époque où les sédiments ont été déposés. 
Des recherches précédentes des auteurs avaient montré que les cycles de Milankovitch pouvaient être préservés dans une ancienne formation sédimentaire d'Afrique du Sud, ce qui étayait la théorie de Trendall. Les formations des gorges de Joffre ont probablement été déposées dans le même océan que les roches d'Afrique du Sud, il y a environ 2,5 milliards d'années. Mais les variations cycliques dans les roches australiennes sont mieux exposées, ce qui permet d'étudier les variations à une résolution beaucoup plus élevée. L'analyse de la formation sédimentaire australienne montre que les roches contiennent de multiples échelles de variations cycliques qui se répètent approximativement à des intervalles de 10 et 85 cm. En combinant ces épaisseurs avec la vitesse à laquelle les sédiments se sont déposés, Lantink et ses collaborateurs ont constaté que ces variations cycliques se produisaient environ tous les 11 000 ans et 100 000 ans. Ils suggèrent que le cycle de 11 000 ans observé dans les roches est probablement lié au cycle de précession climatique, ayant une période beaucoup plus courte que les 21 000 ans actuels. Les chercheurs utilisent ensuite ce signal de précession dont la fréquence déduite est de 108,6 ± 8,5 arcsec/an pour calculer la distance entre la Terre et la Lune il y a 2,46 milliards d'années. Ils trouvent une distance de 321800 ± 6500 km (contre 384300 km aujourd'hui). La Lune était donc environ 60 000 km plus près de la Terre il y a 2,46 gigannées. De plus, cela indique que la Terre devait tourner plus vite sur elle-même : une journée durait alors 16,9  ± 0,2 heures. Avec cette approche cyclostratigraphique robuste, les données les plus anciennes sur l'histoire de la récession lunaire sont étendues de plus d'une gigannée. Elles offrent un point de référence crucial pour les futures études de l'évolution du système Terre-Lune à l'aune des recherches géologiques du précambrien. Cependant, un seul point de données si important soit-il ne nous permet pas de comprendre pleinement l'évolution du couple Terre-Lune. Nous avons maintenant besoin d'autres données fiables et de nouvelles approches de modélisation pour retracer l'évolution de la Lune à travers le temps. 

Source

Milankovitch cycles in banded iron formations constrain the Earth–Moon system 2.46 billion years ago
Margriet L. Lantink et al.
PNAS (26 septembre 2022)


Illustration

1. Les formations sédimentaires cycliques des gorges de Joffre (Frits Hilgen)
2. La Lune à 384000 km (Gregory H. Revera)

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