Deux chercheurs de l'Université nationale d'Australie ont analysé les données sismiques martiennes transmises par l'atterrisseur Mars Insight et parviennent à en déduire la taille du noyau de la planète rouge : 3624 km de diamètre, pour une planète qui fait 6779 km de diamètre. Leur étude est publiée dans Nature Astronomy.
Un événement sismique, qu'il s'agisse d'un tremblement de terre, d'une explosion ou de l'impact d'une météorite, génère des ondes élastiques qui se propagent loin de la source et à travers l'intérieur planétaire. Le fait qu'une station sismologique enregistre ou non un événement dépend de l'emplacement de la station par rapport à l'événement, et du fait que le signal soit suffisamment énergétique pour surmonter à la fois l'atténuation le long de son trajet et le bruit de fond continu à la station. Le signal, souvent appelé train d'ondes, commence par une première arrivée - l'onde qui a parcouru le chemin le plus rapide - et est souvent suivi par des arrivées ultérieures qui ont parcouru des chemins plus longs et plus lents. Un train d'ondes peut par exemple se réfléchir sur la limite entre le noyau externe et le manteau et un autre atteindre le noyau interne avant d'être réfléchi. Le mouvement du sol au niveau de la station est dû à la superposition de toute l'énergie qui a traversé l'intérieur de la planète, souvent avec de multiples réverbérations, et qui a traversé la surface. Ces ondulations prolongées, qui diminuent jusqu'à être finalement noyées par le bruit de fond, constituent le signal. Le train d'ondes complet d'une station donnée est comme une empreinte digitale d'une source sismique donnée à un endroit donné, et dépend de la structure interne de la planète.
Depuis 2018, Mars InSight transmet des informations sur l'intérieur de la planète rouge. Mais il ne possède qu'un seul sismomètre (SEIS, Seismic Experiment for Internal Structure), ce qui rend les choses un peu compliquées lorsque l'on souhaite scanner l'intérieur d'une planète en mesurant ses ondes sismiques.
Avant Insight et son sismomètre SEIS, les seuls instruments sismologiques qui avaient été déployés sur un autre corps étaient quatre stations lunaires installées par les missions Apollo qui ont fonctionné sur la surface de la Lune jusqu'en 1977 et l'expérience sismique Viking sur Mars dans les années 1970.
Pour scanner l'intérieur d'une planète avec des sismographes, on utilise généralement plusieurs détecteurs qui permettent de faire de la triangulation. Mais les chercheurs ne sont pas à cours d'astuces, comme Sheng Wang et Hrvoje Tkalčić qui signent cette étude. Ils ont mis au point une méthode mathématique pour glaner davantage de renseignements sur les tremblements de Mars. Ils ont utilisé le principe dit de réciprocité, selon lequel on peut échanger les emplacements des récepteurs avec les sources. Ainsi, tous les tremblements de Mars enregistrés deviennent des récepteurs virtuels, et le récepteur de Insight devient la source virtuelle. Ensuite, les chercheurs ont examiné les similitudes qui apparaissent entre les formes d'ondes faibles qui suivaient les plus grosses secousses. Cette partie de l'analyse est un peu équivalente aux méthodes interférométriques classiques qui sont utilisées pour scanner l'intérieur de la Terre.
Lorsqu'on corrèle un segment de train d'ondes avec un autre, une nouvelle série temporelle est formée dans laquelle les termes croisés entre chaque signal se manifestent comme de nouvelles caractéristiques avec des formes et des délais caractéristiques. Tout comme la forme d'onde est l'empreinte digitale d'un événement dans le champ d'ondes sismiques planétaires, la fonction de corrélation est l'empreinte digitale d'une paire de signaux dans le champ d'ondes de corrélation. En sismologie terrestre, une étude antérieure de Wang et Tkalčić avait identifié l'anisotropie des ondes de cisaillement du noyau interne (elle a montré que les ondes de cisaillement se propageant dans différentes directions à travers le noyau interne de la Terre se déplacent à des vitesses différentes). Ils avaient montré que des paires de séismes échantillonnant les trajectoires à partir du noyau interne dans une direction génèrent des caractéristiques de corrélation retardées par rapport à celles générées par des paires de séismes échantillonnant des trajectoires perpendiculaires.
Sur Terre, c'est facile, un grand tremblement de terre est enregistré par un grand nombre de stations dans le monde entier et ces différents enregistrements d'un même événement peuvent être utilisés pour construire le champ d'ondes de corrélation. Mais en sismologie martienne, les chercheurs doivent calculer le champ d'ondes de corrélation à partir de nombreux événements sismiques différents enregistrés sur une seule station.
La méthode développée par Wang et Tkalčić et innovante et efficace. Il faut dire qu'avant de l'appliquer à Mars, ils l'ont testée avec la Terre dans les mêmes conditions, c'est à dire avec une seule station sismologique et les corrélations calculées entre les signaux de nombreux séismes. Et ils sont parvenus à calculer la taille du noyau terrestre : un rayon de 3480 ± 10 km. Wang et Tkalčić ont ainsi pu construire ensuite avec une bonne confiance une image de l'intérieur martien, et ils trouvent un rayon de noyau de 1812 ± 20 km. Fait amusant : la taille relative du noyau martien est exactement la même que celle du noyau terrestre : il fait 54% du rayon de la planète.
La dimension du noyau d'une planète comme Mars est important à connaître avec précision, car la nature du noyau joue un rôle important dans le champ magnétique, dont Mars est manifestement dépourvue. Par ailleurs, un petit noyau martien (un rayon entre 1300 et 1600 km) signifierait qu'il serait riche en fer et favoriserait la présence d'un manteau inférieur en raison d'une transition de phase équivalente à la discontinuité qui est observée dans la Terre. En revanche, un grand noyau (rayon entre 1800 et 1900 km) devrait être enrichi en éléments légers et impliquerait un manteau inférieur mince ou absent et donc une dynamique sensiblement différente. Pour les données martiennes, ces résultats sont encourageants, mais les chercheurs précisent tout de même que l'image peut encore changer au fur et à mesure que de nouvelles données deviennent disponibles.
L'article de Wang et Tkalčić est accompagné de trois autres études utilisant les données d'InSight. Deux d'entre elles, publiées dans Science par des équipes internationales, ont examiné les données sismiques issues de deux importantes chutes de météorites sur Mars qui ont eu lieu en 2021. En plus de générer eux-mêmes des données intéressantes, ces impacts ont été un moyen très utile pour Wang et Tkalčić pour vérifier leur méthode. Etant donné que dans leur méthode, ils s'appuient sur les emplacements connus des événements sismiques, avec ces deux nouveaux impacts, ils ont pu localiser exactement où ils s'étaient produits. La troisième étude est également publiée dans Nature Astronomy par une équipe de chercheurs suisses, et elle compile une grande partie de ce que nous savons aujourd'hui sur les tremblements de Mars, ce qui permet de dresser un tableau plus large de l'activité géologique actuelle de Mars. On y découvre par exemple que de nombreux tremblements de Mars proviennent d'un seul endroit sur la planète rouge : la région de Cerberus Fossae, et leur comportement suggère la présence de magma liquide sur Mars. C'est une bonne indication que cette zone particulière est volcaniquement active aujourd'hui, mais aussi que l'ensemble de l'intérieur martien est mobile, ce qui est quelque chose de très nouveau...
Source
Scanning for planetary cores with single-receiver intersource correlations
Sheng Wang & Hrvoje Tkalčić
Nature Astronomy (27 october 2022)
Illustration
Schéma des différents types d'ondes sismiques corrélées détectées par InSight (Wang & Tkalčić )
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