vendredi 7 octobre 2022

Mesurer le champ magnétique interne des étoiles géantes par leurs oscillations


Les modes de vibration dans les étoiles, notamment les géantes rouges, peuvent être utilisés pour explorer la rotation des couches internes de ces étoiles, mais ils peuvent aussi être exploités pour déterminer l'intensité de leur champ magnétique. Une équipe d'astrophysiciens est parvenu à effectuer ce type de mesure indirecte du champ magnétique sur trois géantes rouges, et ils publient leur étude dans Nature cette semaine.

Une étoile géante rouge est une étoile de faible masse ou de masse intermédiaire qui a épuisé l'hydrogène de son coeur, possédant un noyau d'hélium et une coquille fusionnant de l'hydrogène. Les oscillations très faibles des étoiles géantes peuvent être observées sous forme de petites variations périodiques dans les courbes de lumière visible, par exemple par des télescopes spatiaux chasseurs d'exoplanètes comme Kepler ou TESS.
Dans les géantes rouges, des ondes acoustiques non radiales se couplent aux ondes de gravité et donnent naissance à des modes mixtes, qui se comportent comme des modes de pression dans l'enveloppe et des modes de gravité dans le cœur. Ces données astérosismologiques ont été utilisées depuis une dizaine d'années pour étudier la rotation des couches internes des étoiles. La rotation induit en effet des décalages mesurables dans les fréquences des modes d'oscillation. Et il se trouve que les champs magnétiques peuvent eux aussi générer ce type de décalage dans les fréquences. 
Gang Li et ses collègues de l'IRAP à Toulouse ont eu l'idée d'analyser les oscillations mesurées par le télescope Kepler sur trois étoiles géantes rouges nommées KIC 8684542, KIC 7518143 et KIC 11515377. Comme les champs magnétiques induisent des décalages qui brisent la symétrie des multiplets de mode dipolaire (qui sont produits par la rotation de l'étoile), les astrophysiciens peuvent mesurer ainsi l'intensité du champ magnétique qui est responsable de cette brisure de symétrie. 
Li et ses collaborateurs remarquent que les valeurs absolues des asymétries sont systématiquement plus faibles pour les modes acoustiques dominés par la pression que pour les modes dominés par la gravité. Cela indique selon eux  que la cause des asymétries se situe dans le cœur de l'étoile. Les chercheurs montrent également que d'autres mécanismes pouvant produire des asymétries de multiplets, tels que des effets de rotation d'ordre supérieur ou des effets de quasi-dégénérescence, ne peuvent pas expliquer les asymétries qui sont observées. Elles proviennent bien du champ magnétique. 


Avec cette mesure de l'asymétrie des multiplets de modes dipolaires, les astrophysiciens obtiennent des intensités minimales de champ magnétique, qui valent 65 kG pour KIC 8684542, 70 kG pour KIC 11515377 et 26 kG pour KIC 7518143. Li et ses collègues exploitent ensuite les décalages en fréquence des oscillations acoustiques pour déterminer des valeurs maximales pour l'intensité du champ magnétique de ces trois étoiles. Sans champ magnétique, les périodes des modes de gravité dépendent d'un terme de décalage qu'on appelle εg. Les prédictions théoriques disent que pour les étoiles géantes en train de brûler une coquille d'hydrogène au-dessus d'un coeur d'hélium, εg  = 0,28 environ, mais la présence d'un champ magnétique devrait produire une augmentation de la valeur de εg. Or, ce que mesurent Li et son équipe, c'est que les deux géantes rouges KIC 8684542 et KIC 11515377 ont des valeurs mesurées de εg qui s'écartent significativement de la plage attendue (εg  = 0,50 ± 0,02 et εg  = 0,50 ± 0,03, respectivement), ce qui leur permet de mesurer l'intensité des déplacements magnétiques dans ces étoiles. Pour KIC 7518143, εg = 0,30 ± 0,03 et est cohérent avec les géantes rouges "régulières", ce qui peut donc être utilisé pour dériver une limite supérieure pour l'intensité du champ magnétique.
En utilisant des expressions de modes mixtes incluant des perturbations magnétiques et rotationnelles, les chercheurs ont optimisé les valeurs du décalage magnétique des modes d'oscillation et le coefficient d'asymétrie (donc in fine l'intensité du champ magnétique) pour reproduire au mieux les fréquences des modes d'oscillation observés. Ils obtiennent alors des intensités de champ magnétique  de 102 ± 12 kG pour KIC 8684542, 98 ± 24 kG pour KIC 11515377 et une limite supérieure de 41 kG pour KIC 7518143. Ces mesures apparaissent parfaitement compatibles avec les limites inférieures obtenues en utilisant les asymétries de multiplet.
Ces mesures permettent ensuite d'imposer des contraintes sur la topologie du champ magnétique. Les chercheurs utilisent pour cela la relation qui existe entre l'asymétrie des multiplets dipolaires et le décalage magnétique δasym=3a.δωB. Le facteur a qui apparaît dans cette relation doit par exemple être égal à 2/5 si le champ magnétique est dipolaire et aligné avec l'axe de rotation de l'étoile et égal à -1/5 si le champ est dipolaire et aligné avec l'équateur. Li et ses collaborateurs trouvent une valeur de 0,47 [+-0,12] pour KIC 8684542 et  -0,24 [+ 0,08− 0,23] KIC 11515377. Ces mesures seraient donc cohérentes avec un champ dipolaire aligné avec l'axe de rotation pour la première étoile (2/5 = 0,40) et un champ dipolaire aligné avec l'équateur pour la seconde (−1/5= -0,20).

La mesure des champs magnétiques dans les noyaux des géantes rouges va permettre d'avancer sur l'origine et l'évolution du champ magnétique stellaire. L'origine des champs détectés pourrait notamment être une dynamo à cœur convectif se développant au cours de la séquence principale. Les modèles les mieux ajustés indiquent en effet que la coquille brûlant de l'hydrogène des trois géantes rouges devait être convective au tout début de la séquence principale. Les champs magnétiques de type dynamo générés à ce moment-là pourraient avoir survécu lorsque le noyau est devenu radiatif. En supposant la conservation du flux magnétique, leur intensité devrait varier de 3 kG à 5 kG pour tenir compte des champs détectés. Une autre possibilité selon les chercheurs est que les champs magnétiques détectés soient les restes du champ magnétique interne d'une étoile de masse intermédiaire de la séquence principale caractérisée par un fort champ dipolaire oblique, et dont la partie interne aurait pu survivre à l'évolution post-séquence principale.

Pour finir, Gang Li et ses collaborateurs rappellent que les contraintes sur l'intensité du champ magnétique et sa géométrie sont essentielles pour comprendre le fonctionnement de la redistribution du moment cinétique à l'intérieur des étoiles. La détection de champs magnétiques de plusieurs dizaines de kilogauss dans ces géantes rouges suggère qu'une rotation uniforme est imposée dans leur noyau jusqu'à la coquille brûlant de l'hydrogène. Cela implique que le saut de vitesse de rotation entre le cœur et l'enveloppe qui a été mis en évidence par l'astérosismologie, doit en fait se produire à un rayon plus élevé. D'autre part, ces nouveaux résultats montrent que le processus de dynamo de Tayler–Spruit, qui avait été proposé comme solution possible pour le transport du moment cinétique dans les géantes rouges, ne peut pas être à l'oeuvre au voisinage de leur coquille brûlant de l'hydrogène : l'amplitude prédite du champ magnétique radial dans ce processus est de l'ordre de 0,01 G, or, les champs mesurés ici par Li et al. sont 10 millions de fois plus intenses... 

Source

Magnetic fields of 30 to 100 kG in the cores of red giant stars
Gang Li, Sébastien Deheuvels, Jérôme Ballot & François Lignières 
Nature volume 610, pages43–46 (5 october 2022)

Illustration

1. Vue d'artiste d'une étoile géante rouge et son champ magnétique interne (Jérôme Ballot/Laurene Jouve/ AIA/SDO)

2. Asymétrie des multiplets des modes mixtes induite par le champ magnétique (Li et al.)

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