Europe, la lune glacée de Jupiter, possède un océan souterrain sous une croûte de glace d'eau. Du dioxyde de carbone solide a déjà été observé à sa surface, mais la source était encore inconnue. Deux équipes ont analysé la surface d'Europe par spectroscopie infrarouge à partir du télescope spatial Webb pour étudier la source de CO2. Les deux équipes arrivent à la même conclusion : le carbone provient de l'océan interne. Les études sont parues dans Science.
Sous une croûte de glace d'eau, Europe possède un océan interne d'eau liquide salée, au-dessus d'un fond rocheux, un environnement potentiellement habitable. L'évaluation de l'habitabilité de l'océan dépend de sa chimie, notamment de l'abondance des éléments biologiquement essentiels, de l'état d'oxydation global et les sources d'énergie chimique disponibles. Le dioxyde de carbone a déjà été détecté à la surface d'Europe, mais il n'a pas été possible de déterminer s'il provenait de la chimie océanique souterraine, s'il avait été émis par des impacts ou s'il avait été produit à la surface via des réactions photochimiques ou radiolytiques de matériaux émis par un impact.
Samantha
Trumbo (Cornell University) et Michael Brown (Caltech) ont cartographié la
distribution du CO2 sur Europe à l'aide d'observations du télescope
spatial Webb et de son spectrographe NIRSpec le 23 novembre 2022. Ils ont
traqués des raies d'absorptions caractéristiques du CO2, qui se
trouvent à des longueurs d'ondes de 4.249 et 4.268 µm.
Ils trouvent
une concentration importante de CO2au sein d'une région d'Europe qui
est nommée Tara Regio, un terrain d'apparence jeune, récemment renouvelé. tara
Regio est une zone d'environ 1 800 km de diamètre, composée de matériaux
géologiquement perturbés (que les planétologues nomment un "chaos").
La formation du chaos n'est pas bien comprise aujourd'hui. Les explications
proposées impliquent toutes une perturbation à grande échelle de la glace de
surface via des interactions avec des matériaux endogènes provenant d'en
dessous, tels que des saumures souterraines. Il faut dure que le chlorure de
sodium a été détecté dans cette région et interprété comme provenant de l'océan
dans deux études antérieures de Samantha Trumbo et collab. en 2019 et 2022. Le
sel contribue également à la décoloration de Tara Regio par rapport aux régions
environnantes.
Cela indique
selon eux que le CO2provient d'une source de carbone interne. Les
chercheurs proposent que le CO2 s'est formé dans l’océan interne,
bien qu'ils ne puissent pas pas complètement exclure une formation à la surface
par conversion radiolytique de matières organiques ou de carbonates dérivés de
l’océan. Selon Trumbo et Brown, le carbone est probablement fourni sous forme
de CO2 dissous dans l'océan de sub-surface, mais il pourrait aussi
se présenter sous la forme d'autres précurseurs carbonés. La mise en place
pourrait avoir eu lieu pendant la formation de ces régions perturbées, avec des
mécanismes potentiels comprenant la remontée d'eau sous la surface, la fonte et
l'effondrement de la glace au-dessus d'un liquide souterrain peu profond, comme
pour le chlorure de sodium. À la surface, le CO2 volatil doit être
piégé dans un ou plusieurs autres matériaux.
L'interprétation des chercheurs implique que le carbone est présent dans l'océan souterrain d'Europe et qu'il a atteint la glace de surface à une échelle de temps géologiquement récente. Si ce carbone a été livré sous forme de CO2, et si ce CO2 est représentatif de l'état d'oxydoréduction du carbone dans l'océan, alors une chimie fortement réduite dans l'océan est peu probable. Au contraire, un océan oxydé serait plutôt cohérent avec l'apport descendant de composés oxydants que Trumbo et Brown proposent (un apport à travers la croûte de glace). Ces composés oxydants de surface seraient produits par radiolyse, par exemple, O2 et H2O2, sur des échelles de temps géologiques. Un océan riche en CO2 serait également compatible avec des conditions légèrement acides et une origine métamorphique de l'océan, comme l'avaient proposé M. Melwani et al. en 2021.
Ils fixent
ainsi des limites supérieures pour les quantités présentes de ces molécules, en
unités de 1030 molécules, cela donne : H2O <35,
CH4 <18 , C2H6 <18 , CH3OH
<93 et CO <14 . En supposant une vitesse de dégazage de 583 m.s-1
et un écoulement isotrope, la limite supérieure qu'ils trouvent pour l'eau
(35 1030 molécules de H2O) correspond à un panache de
vapeur d'eau qui aurait une activité de inférieure à 10 28 molécule
s-1 ( ce qui fait < 300 kg.s−1). Cette limite
supérieure pour l'eau est un facteur 2 inférieure à la détection d'un panache en
2019 par Paganini et al. (70 ± 22 × 1030 molécules) , et un
facteur 4 inférieure à celle qui avait déduite de l'émission ultraviolette
aurorale (130 ± 30 × 1030 molécules de H2O (Roth 2014),
et un facteur 5 inférieure à la valeur médiane de 180 × 1030 molécules
de H2O] rapportée pour les panaches par Sparks et al. en 2016. Villanueva
et ses collaborateurs en concluent que si une activité de panache se produit
sur Europe aujourd'hui, elle doit être très localisée et faible, ou bien peu
fréquente et inactive lors de leurs observations, ou alors dépourvue des gaz
volatils qu'ils recherchaient...
En revanche,
Villanueva et son équipe ont également scruté la surface de Europe, avec NIRCam
et NIRSpec pour faire à la fois des images et des spectres. La campagne
d'observation est la même que celle exploitée par Trumbo et Brown, mais avec un
instrument de plus. Villanueva et ses collaborateurs ont recherché des espèces
chimiques spécifiques là encore : CO, CH4, CH3OH et
CO2, qui seraient sous forme de glace sur la surface de Europe. Ils
n'ont pas détecté de traces des trois premières espèces chimiques, mais en
revanche, quatre caractéristiques spectrales de la glace de dioxyde de carbone
(CO2) ont été détectées. Et eux aussi trouvent que ce CO2
est plus concentré dans Tara Regio.
Les chercheurs
montrent que leurs formes spectrales et leur distribution sur la surface
d'Europe indiquent que le CO2 est mélangé à d'autres composés . Les
raies d'absorption du 13CO2 (du dioxyde de carbone dont
l'isotope est le carbone-13) permettent en outre à Villanueva et ses
collaborateurs de mesurer le rapport isotopique 12C/13C
qu'ils trouvent égal à 83 ± 19. Les chercheurs ne peuvent pas faire
la distinction entre une source abiotique ou biogénique sur la base de ce
rapport isotopique.
Les chercheurs
estiment que puisque le CO2 de
surface le plus abondant se trouve à Tara Regio, cela pourrait indiquer que
cette région géologiquement distincte est associée à une source endogène de CO2
sur Europe. Ils notent que la distribution spatiale de la raie du CO2
à 4,25 µm est similaire à celle observée lors d'observations précédentes de
NaCl irradié, tandis que les raies à 2,7 μm et 4,27 μm sont réparties plus
largement sur la surface d'Europe. Ils interprètent cela en considérant que la
raie de 4,25 μm est due au CO2 mélangé à des sels ou produit par irradiation de
sels carbonatés. Et que donc ce CO2 est d'origine endogène comme le
sel.
Pour
Villanueva et ses collaborateurs, une source potentielle de CO2
pourrait être les fluides carbonatés (par exemple, NaHCO3 ou Na2CO3
dissous dans l'eau). Comme on sait que Encelade (satellite de Saturne) possède
un océan riche en carbonates qui dégaze le CO2 et qu'une partie de
ce CO2 dégazé gèle en surface, un processus analogue pourrait se
produire sur Europe. Alternativement, les carbonates endogènes pourraient
réagir avec des composés acides (par exemple H2SO4) à la
surface ou à proximité pour produire du CO2 , ou des saumures
extrudées, si elles contiennent des sels de (bi)carbonate, pourraient produire
du CO2 pendant une irradiation.
Ensemble, ces deux
études démontrent qu’il existe de la glace de CO2 à la surface d’Europe dans la zone
particulière de Tara Regio et que son origine est à rechercher très
probablement dans les composés carbonés de l’océan d’eau liquide salée qui se
trouve sous la croûte glacée. Europe ressemble de plus en plus à Encelade, la
vigueur des panaches d’eau en moins.
Sources
The distribution of CO2 on Europa indicates an internal source of carbon
S. Trumbo et al.
Science Vol 381 (21 Sep 2023)
https://doi.org/10.1126/science.adg4155
Endogenous CO2 ice
mixture on the surface of Europa and no detection of plume activity
G. Villanueva et al.
Science Vol 381 (21 Sep 2023)
https://doi.org/10.1126/science.adg4270
Illustrations
1. Localisation du CO2 à la surface de Europe avec NIRSpec (S. Trumbo et al.)
2. Samantha Trumbo
3. Distribution de différentes raies du CO2 et image de Europe (Villanueva et al.)
4. Geronimo Villanueva
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