28/03/24

Nouvelle image de polarisation de Sgr A* dévoilée par l'EHT


La collaboration Event Horizon Telescope (EHT)  vient de dévoiler une nouvelle image de l’anneau de plasma entourant Sgr A*, cette fois-ci avec des données de polarisation, révélant la direction des puissants champs magnétiques qui s'enroulent en spirale autour du trou noir supermassif. Ils publient deux articles dans The Astrophysical Journal Letters.

Dans le plasma qui entoure les trous noirs, les particules qui tourbillonnent autour des lignes de champ magnétique transmettent un schéma de polarisation de la lumière perpendiculaire au champ magnétique. En observant la polarisation de la lumière de l’anneau entourant l’ombre de l’horizon d’un trou noir, on peut ainsi voir ce qui se passe dans les régions très proches du trou noir et cartographier les lignes de champ magnétique et son intensité.

Mais l'imagerie des trous noirs en lumière polarisée n'est pas simple et c'est particulièrement vrai pour Sgr A*, dont le disque d’accrétion change si rapidement. L'imagerie en polarisation du trou noir supermassif a nécessité des outils sophistiqués qui vont au-delà de ceux utilisés précédemment pour M87*, qui est une cible beaucoup plus stable. La première image a nécessité des mois d'analyse approfondie pour comprendre sa nature dynamique et dévoiler sa structure moyenne. La réalisation d'une image polarisée ajoute le défi de la dynamique des champs magnétiques autour du trou noir. Les modèles des chercheurs prédisaient des champs magnétiques très turbulents, ce qui rendait extrêmement difficile la construction d'une image polarisée. Mais heureusement, Sgr A* était un peu plus calme que prévu, ce qui a rendu possible cette première image en lumière polarisée.

Cette nouvelle vue de Sgr A* en lumière polarisée révèle une structure de champ magnétique étonnamment similaire à celle du trou noir M87*, ce qui suggère que des champs magnétiques puissants peuvent être communs à tous les trous noirs. Cette similitude laisse également supposer l'existence d'un jet caché émanant de Sgr A*. La toute première image de Sgr A* avait été publiée en 2022, à partir d’un long travail de traitement des données qui avaient été acquises en avril 2017. C’est à nouveau à partir de ces données enregistrées il y a presque sept ans que les chercheurs de la collaboration international EHT ont produit cette image de polarisation se superposant à l’image initiale.

Ce que montre aussi cette image de polarisation, c'est qu'il existe des champs magnétiques forts, tordus et organisés près du trou noir. Cela indique selon les chercheurs que des champs magnétiques puissants et ordonnés sont essentiels à l'interaction des trous noirs avec le gaz et la matière qui les entourent. La fraction de polarisation résolue est élevée : de 24% à 28%, et un motif ordonné est observé, et est symétrique par rotation. Grâce à des arguments semi-analytiques et à des comparaisons avec des simulations GRMHD (magnétohydrodynamique relativiste), les chercheurs de la collaboration EHT arrivent à plusieurs conclusions : Tout d’abord,  la grande fraction de polarisation implique que le champ magnétique à l'échelle de l'horizon des événements ne peut pas être très enchevêtré sur des petites échelles, et que la rotation de Faraday ne peut pas non plus ajouter trop de désordre supplémentaire à la structure. Ensuite, à partir de la fraction de polarisation résolue spatialement, les chercheurs montrent que les contraintes favorisent fortement les modèles MAD (magnetically arrested disc), comme dans M87*. Mais ils notent que s’ils s’appuient sur la rotation interne de Faraday pour produire la mesure de rotation observée sans effectuer de dérotation, alors il n'y a pas de modèle qui satisfasse toutes les contraintes d'intensité totale et polarimétriques. Mais, en revanche, s’ils supposent que la mesure de rotation peut être attribuée à un écran externe et en appliquant une dérotation, ils trouvent un modèle qui satisfait à toutes les contraintes d'intensité totale et polarimétriques.


Les simulations GRMHD échantillonnent en fait un espace de paramètres à cinq dimensions. Le premier paramètre est l'état du champ magnétique, soit MAD, soit SANE (évolution standard et normale), qui définit quand le flux magnétique parcourant l'horizon pour un taux d'accrétion donné a saturé et est devenu dynamiquement important (MAD) ou non (SANE).

Le deuxième paramètre est le spin du trou noir, valeur sans dimension comprise entre – 1 et 1, où un signe négatif indique un disque rétrograde par rapport au vecteur de spin.

Le troisième paramètre est l'inclinaison i comprise entre 0° et 180°, au lieu de seulement [0°, 90°] parce que la rotation de Faraday et l'émission de polarisation circulaire brisent la symétrie lorsque la polarisation est prise en compte.

Le quatrième paramètre est Rhigh, qui fixe la valeur asymptotique du rapport de température d’ion/électron.

Enfin, le cinquième paramètre est la polarité du champ magnétique par rapport au vecteur de moment cinétique du disque, soit aligné, soit inversé, ce qui affecte la direction de la rotation de Faraday et l'orientation des émissions à polarisation circulaire.

Le meilleur modèle trouvé qui satisfait toutes les contraintes donne un disque de type MAD, avec une valeur de spin du trou noir a* = 0,94, un angle d’inclinaison de l’axe de rotation i = 150°, un Rhigh de 160 et une polarité du champ magnétique alignée.

Bien que les simulations de magnétohydrodynamique relativiste, contenant uniquement des distributions d'électrons thermiques, aient remarquablement bien reproduit de nombreuses quantités observées de Sgr A*, les chercheurs notent quand même qu’elles présentent de nombreuses imperfections. La plupart de ces modèles surestiment la variabilité temporelle, et les astrophysiciens avertissent que les valeurs déduites du modèle ne doivent pas être interprétées comme des mesures. Les domaines dans lesquels ces simulations peuvent être améliorées sont les suivants :

a)      Les conditions initiales : alignement des tores par rapport à l'axe du moment cinétique du trou noir, caractéristiques de variabilité des plasma ou géométrie des disques aux grands rayons.

b)     La thermodynamique des électrons : la température des électrons utilisée dans la modélisation du chauffage et du refroidissement ne permet pas de les reproduire de manière très détaillée.

c)      La composition du plasma : il a été montré en 2022 que les modèles alimentés par de l'hélium plutôt que par de l'hydrogène peuvent avoir des morphologies d'émission substantiellement différentes, tendant vers des températures plus élevées et des densités plus faibles et donc des fractions de polarisation plus élevées. Par ailleurs, la présence de paires électron-positron peut modifier de manière significative les effets de Faraday, conduisant à des signatures potentielles en polarisation linéaire et circulaire qui n'ont pas encore été pleinement explorées.


Les futures mesures de la vitesse angulaire apparente de l’anneau, ou potentiellement du mouvement de points chauds, fourniront des contraintes supplémentaires sur le spin et l'inclinaison de Sgr A*. Le fait de disposer maintenant des images des deux trous noirs supermassifs en lumière polarisée, et les données qui les accompagnent, offre de nouveaux moyens de comparer et d'opposer des trous noirs de tailles et de masses différentes.  M87* et Sgr A* sont différents sur quelques points importants : M87* est beaucoup plus massif et accrète de la matière de son environnement à un rythme beaucoup plus rapide. On aurait donc pu s'attendre à ce que les champs magnétiques soient également très différents. Mais ils s’avèrent très similaires, ce qui pourrait signifier que cette structure est commune à tous les trous noirs. Une meilleure compréhension des champs magnétiques à proximité des trous noirs nous permet de répondre à plusieurs questions en suspens, qu'il s'agisse de la formation et du lancement des jets ou de l'origine des éruptions lumineuses qui sont observées dans l'infrarouge et dans les rayons X.

L'EHT a mené plusieurs autres observations depuis 2017 et devrait observer à nouveau Sgr A* dans deux semaines. Chaque année, les images s'améliorent à mesure que l'EHT intègre de nouveaux télescopes, une plus grande largeur de bande et de nouvelles fréquences d'observation. L'EHT est aujourd’hui composé de trois nouveaux observatoires par rapport à la campagne de 2017 : le Greenland Telescope (GLT), le NOrthern Extended Millimeter Array (NOEMA) et le radiotélescope de 12 mètres de Kitt Peak. L'extension prévue de l’EHT dans les années qui viennent, nommé ngEHT devrait permettre au réseau de radiotélescope de réaliser non plus des images nfixes, mais des films en temps réel des trous noirs supermassifs à l'échelle de l'horizon des événements. Ces successions d’images mettront en évidence la structure et la dynamique détaillées près de l'horizon des événements, en soulignant les caractéristiques gravitationnelles "à champ fort" prédites par la relativité générale, ainsi que l'interaction entre l'accrétion et le lancement de jets relativistes.

Compte tenu de l'immensité des paramètres et de l'espace de modélisation qui sont disponibles pour l'interprétation théorique, les chercheurs de la collaboration Event Horizon Telescope s’attendent à ce que l'image polarisée de Sgr A* continue à contraindre les modèles pour de nombreuses études à venir. Cet ensemble croissant de données continuera à défier les modèles théoriques et à fournir des informations sur la nature des trous noirs, sur l'accrétion et sur la physique des plasmas.

Sources 

First Sagittarius A* Event Horizon Telescope Results. VII. Polarization of the Ring

The Event Horizon Telescope Collaboration 

The Astrophysical Journal Letters, Volume 964, Number 2 (27 mars 2024)

https://doi.org/10.3847/2041-8213/ad2df


First Sagittarius A* Event Horizon Telescope Results. VIII. Physical Interpretation of the Polarized Ring

The Event Horizon Telescope Collaboration

The Astrophysical Journal Letters, Volume 964, Number 2 (27 mars 2024)

https://doi.org/10.3847/2041-8213/ad2df1


Illustrations

1. Orientations de la polarisation dans l'image de Sgr A* (EHT)

2. Comparaison des images de polarisation de M87* et Sgr A*

3. Lumière polarisée à différentes échelles dans la Galaxie (Sara Issaoun/EHT) 

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