mardi 2 avril 2024

L'astéroïde Apophis pourrait être perturbé avant son passage proche de 2029


L'astéroïde 99942 Apophis passera près de la Terre le 13 avril 2029. On s'attend à ce qu'il rate notre planète de peu (environ 30000 km), mais ça pourrait changer si la trajectoire d'Apophis était perturbée par une interaction avec un autre astéroïde entre-temps. Un duo d'astrophysiciens s'est intéressé à ce cas et a identifié une rencontre rapprochée entre Apophis et un autre gros astéroïde en décembre 2026... Ils publient leur étude dans The Planetary Science Journal.

L'astéroïde Apophis (370 m de diamètre) est l'un des astéroïdes géocroiseurs les plus étudiés, du fait de ses passages rapprochés avec la Terre. Initialement considéré comme présentant un réel danger d'impact, des observations minutieuses de sa trajectoire et de ses propriétés avaient montré en 2015 que le risque de collision avec la Terre lors de l'une de ses prochaines approches rapprochées de 2029 ou 2036 était extrêmement faible, quasi-nulle. Mais ces évaluations, parmi beaucoup d'autres, ont toujours supposé que le mouvement de l'astéroïde se poursuivrait sans être interrompu par des perturbations telles qu'une interaction avec un autre astéroïde...

Bien que les chances statistiques d’une collision entre Apophis et un autre astéroïde soient minimes, la gravité élevée qui est associée à une éventuelle interaction d'Apophis avec la Terre motive fortement à examiner ce scénario très improbable. Paul Wiegert (Université de Western Ontario) et Benjamin Hyatt (Université de Waterloo) ont identifié toutes les rencontres possibles entre des astéroïdes connus et Apophis jusqu’en avril 2029 (ils gardent l'évaluation de 2036 pour plus tard, une fois que la trajectoire de l'astéroïde aura été modifiée par son passage près de la Terre en 2029).

On pense aujourd'hui que les familles d'astéroïdes proviennent de collisions entre astéroïdes. Et des collisions de petits astéroïdes avec des astéroïdes plus gros a été observée au moins deux fois dans un passé récent : P/2010 A2 aurait été heurté en 2009 par un objet de quelques mètres, et l'astéroïde 596 Scheila en 2011 par un corps de 35 m. Même si un astéroïde particulier n’entre pas directement en collision avec Apophis, des morceaux accompagnant cet astéroïde pourraient également présenter un certain risque de collision amenant à une modification de trajectoire. Une comète en est un exemple classique, ayant généralement un flux de météoroïdes composé de matériaux provenant de sa surface et se déplaçant le long de son orbite. Les "astéroïdes actifs » peuvent également libérer de la matière par le biais d'un large éventail de mécanismes : perturbation par impact, déstabilisation rotationnelle, fracturation thermique (Knight et al. 2016 ), ou encore balayage de pression de rayonnement et lévitation électrostatique (Jewitt et al. 2015 ). Les astéroïdes actifs peuvent ainsi libérer des quantités importantes de masse. Par exemple, l'astéroïde actif 3200 Phaethon ne présente aucune activité cométaire, mais il est pourtant accompagné d'un important flux de débris (pour une masse totale comprise entre 10 milliards et 100 milliards de tonnes, qui est célèbre pour produire notre plus belle pluie d'étoiles filantes, celle des Géminides. Par ailleurs, même sans impact, il pourrait y avoir un changement dans la vitesse d'Apophis en raison de l'attraction gravitationnelle d'un astéroïde qui passe à proximité. 


Wiegert et Hyatt ont exploité deux catalogues d'astéroïdes et de comètes, tout d'abord la base de données sur les petits corps, maintenue par le Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la NASA  qui contient les éléments orbitaux de plus de 1,2 million d'astéroïdes et de comètes. Et puis la base de données NEODyS-2 maintenue par l'ESA, qui contenait des informations sur 31 886 astéroïdes géocroiseurs au moment de son utilisation par les chercheurs.

Les déterminations orbitales des équipes du JPL et de NeoDys sont basées sur la même base de données d'observations maintenue par le Minor Planet Center de l'UAI, elles emploient des techniques similaires, mais leurs résultats diffèrent légèrement. Cette utilisation des deux bases de données constitue pour Wiegert et Hyatt un mécanisme efficace de validation croisée et améliore la fiabilité.

 Après une analyse minutieuse des éléments orbitaux de ces milliers de petits corps passant plus ou moins près de Apophis, Wiegert et Hyatt arrivent à la conclusion qu'il existe bien un gros astéroïde de 1300 m de diamètre dont la trajectoire s'approche de celle d'Apophis à 9604 km ± 6 km (selon les données JPL) et 9607 km ± 6 km (selon les données NeoDys). Il se nomme 4544 Xanthus. Le délai temporel qui sépare le passage de l'un et de l'autre de ce point de rapprochement des trajectoires (qui a lieu le 25 décembre 2026) est d'environ 4h, ce qui se traduit par une distance minimale entre les deux astéroïdes qui est de 528 000 km, les deux se croisant à une vitesse relative de 11 km s-1...

4544 Xanthus est considérablement plus grand qu'Apophis, et environ 25 fois plus massif, en supposant une densité similaire et un albédo de 0,15. Son orbite déterminée par le JPL est basée sur plus de 1 800 observations étalées sur 34 ans, ainsi qu'une seule observation radar Doppler prise à Arecibo peu après sa découverte en 1990. De ce fait, il possède un code d’orbite de 0, indiquant que son orbite est très bien déterminée.

Les deux chercheurs canadiens identifient également d'autres astéroïdes aux trajectoires relativement approchantes et qui mériteraient selon eux une surveillance particulière. Il s'agit de 2009 JG2 (un astéroïde de 100 m de diamètre, s'approchant d'Apophis le 6 décembre 2026) et de 2022KN3 (un astéroïde de 40 m, s'approchant le 1er février 2028), qui sont des astéroïdes plus petits qu'Apophis mais qui ont des orbites beaucoup moins bien connues que celle de Xanthus. On sait toutefois que leur probabilité de collision avec Apophis est nulle.


Clairement, au vu de la distance minimale d'approche entre Apophis et Xanthus et des incertitudes qui sont associées aux deux trajectoires, Wiegert et Hyatt excluent une collision directe, mais, il y a un mais... D'après eux, la rencontre entre les deux astéroïdes est suffisamment proche pour que le matériel accompagnant Xanthus (le cas échéant) puisse frapper Apophis. Ils estiment que cela pourrait entraîner une perturbation de sa trajectoire future qui pourrait in fine affecter sa probabilité d'impact avec la Terre. Il existe plusieurs scénarios d'interaction entre Xanthus et Apophis :

1.  Xanthus pourrait avoir une faible perte de masse non détectée, ce qui en ferait un « astéroïde actif ». Il existe une poignée d'astéroïdes actifs connus qui peuvent libérer de la matière par un large éventail de mécanismes. Les matériaux voyageant avec Xanthus seraient particulièrement difficiles à détecter avec des télescopes sur Terre s'ils produisent peu de poussière. Par exemple, la sonde OSIRIS-Rex a révélé (et ce fut une surprise) que l'astéroïde 101955 Bennu était entouré de particules de 1 à 10 cm éjectées de sa surface à des vitesses de quelques mètres par seconde (Hergenrother et al. 2019 ; Lauretta et al. 2019). On pense que ces particules sont des éjectas dus à des impacts, mais aucune poussière n'a été signalée. Les particules ont persisté pendant plusieurs jours dans certains cas, et certaines étaient sur des trajectoires qui leur permettraient d'échapper complètement à la gravité de Bennu. Selon les chercheurs, il est possible que Xanthus produise du matériel de cette manière. 

2.  Xanthus pourrait produire une variation ce vitesse de Apophis. Mais pour être préoccupant, tout changement dans la vitesse d'Apophis devrait pouvoir déplacer considérablement sa trajectoire jusqu'à pouvoir entraîner des impacts futurs avec la Terre. Cela nécessiterait de déplacer Apophis sur au moins plusieurs dizaines de kilomètres sur plusieurs années, soit un Δv de l'ordre de 10-3 m.s-1. En supposant une densité de 2000 kg.m-3 pour Xanthus, le Δv attendu pour Apophis pour la rencontre de décembre 2026 est totalement négligeable. Wiegert et Hyatt calculent que la plus grande impulsion gravitationnelle que Xanthus pourrait exercer sur Apophis sans collision, c'est-à-dire en supposant qu'ils se soient croisés à une distance de 1 km, est de l'ordre de 10-4 m.s-1... Ainsi, même le passage très proche d'un astéroïde de classe kilométrique ne pourrait perturber l'orbite d'Apophis que de manière marginale via des effets purement gravitationnels.

Reste donc le scénario des particules éjectées de Xanthus par un mécanisme quelconque. Pour nos deux chercheurs, il est possible qu'Apophis entre en collision avec ces débris lorsque les astéroïdes se croisent, parce que les débris de Xanthus (le cas échéant...) pourraient passer bien plus près d'Apophis que Xanthus lui-même. Ils montrent qu'il est peu probable que l'impact de particules de poussière de l'ordre du submillimètre ait un effet substantiel sur la trajectoire d'Apophis, mais en revanche, l'impact sur Apophis d'une seule particule de 10 cm (comme celles observées autour de Bennu), avec une vitesse relative de 11 km s-1 libéreraient environ 20 MJ d'énergie cinétique. Et un tel événement énergétique pourrait avoir un effet non négligeable sur la trajectoire d'Apophis, et donc sur la probabilité d'impact d'Apophis avec la Terre à une date ultérieure.

Et Wiegert et Hyatt précisent que la présence ou l'absence de matière macroscopique accompagnant Xanthus ne peut pas être facilement déterminée par les télescopes actuels, en particulier si le mécanisme de perte de masse ne produit pas beaucoup de poussière, comme ce fut le cas pour les particules observées par OSIRIS-Rex sur Bennu. Mais de telles particules n'ont pas été signalées sur tous les astéroïdes visités par des sondes spatiales heureusement, et même si de tels matériaux existent, la probabilité d'une collision avec Apophis reste faible. Les chercheurs concluent en proposant d'effectuer une surveillance télescopique de la rencontre entre Apophis et Xanthus du 25 décembre 2026 pour évaluer si un tel impact se produit, en recherchant la production de poussières qu'on pourrait attendre d'un tel impact à hypervitesse. Le problème, c'est que fin décembre 2026, l'événement de rapprochement sera difficile à observer depuis la Terre, car il se produira à une élongation solaire de seulement 47° dans le ciel du soir, dans la constellation du Capricorne. Apophis sera à une magnitude de 20,7 et Xanthus à 19,2, des magnitudes accessibles en principe avec des télescopes de calibre professionnel, mais les interférences dues à la lumière solaire diffusée pourraient poser problème pour les observations...


Source

Encounter Circumstances of Asteroid 99942 Apophis with the Catalog of Known Asteroids

Paul Wiegert and Benjamin Hyatt

The Planetary Science Journal, Volume 5, Number 3 (27 mars 2024)

https://doi.org/10.3847/PSJ/ad2de2


Illustrations

1. Vue d'artiste d'un astéroïde comme Apophis (N. Bartmann, ESA)

2. Trajectoires de l'astéroïde Xanthus croisant l'orbite d'Apophis le 25 décembre 2026 (Paul Wiegert and Benjamin Hyatt)

3. Vidéo des trajectoires d'astéroïdes croisant l'orbite d'Apophis avant avril 2029 (Paul Wiegert and Benjamin Hyatt)

4. Paul Wiegert



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