dimanche 21 avril 2024

Doubles éruptions de type TDE possibles dans les amas d'étoiles autour des trous noirs supermassifs


Les amas d'étoiles nucléaires sont constitués d'une concentration dense d'étoiles et d'objets compacts qu'elles laissent derrière eux qui sont omniprésents dans les régions centrales des galaxies entourant leur trou noir supermassif central. Des interactions étroites entre les étoiles et les trous noirs de masse stellaire y conduisent à des fréquents événements de destructions d'étoiles par effets de marée (TDE). Une équipe d'astrophysiciens vient de découvrir un effet intéressant : la matière ainsi déchirée de l'étoile qui se retrouve libérée de l'emprise du petit trou noir stellaire peut se retrouver accrétée par le trou noir supermassif proche, donnant lieu à une seconde éruption. Ils publient leur étude dans The Astrophysical Journal Letters.

La plupart des noyaux galactiques sont caractérisés par une densité d’étoiles extrêmement élevée. Ces amas d'étoiles nucléaires (NSC, nuclear star clusters), dont la luminosité est inégalée par rapport à tout autre type d'amas d'étoiles, possèdent les densités stellaires les plus grandes connues. Leurs profils de masse abrupts donnent des densités qui sont de l'ordre de 1 million de M⊙ par pc3 à des distances radiales R = 0,1 pc. Leur fraction d'occupation semble varier à la fois avec la masse et le type de galaxie, atteignant plus de 80 % dans les galaxies de type précoce d'environ 1 milliard de M⊙, mais elle diminue à la fois aux masses inférieures et supérieures. L'étude des NSC est importante dans la formation des galaxies, car leur formation est liée à la fois à la croissance des galaxies ainsi qu'à leur trou noir supermassif central.

Les très fortes densités des NSC, qui contiennent une fraction d'environ 1 % de leur masse en trous noirs de masse stellaire, sont très propices aux rencontres rapprochées entre leurs constituants. En particulier, des rencontres rapprochées entre les trous noirs stellaires et les étoiles du NSC peuvent conduire à des événements de destructions d'étoiles (TDE), détectables sous forme d'éruptions transitoires à luminosités élevées. La survenue de ces événements dans les NSC est particulièrement importante car cela aide à calibrer le nombre de trous noirs binaires dans ces systèmes.

Lorsqu'une étoile de l'amas nucléaire (le NSC) subit un événement TDE par un trou noir stellaire, une partie des débris de l'étoile reste liée et est accrétée par le trou noir stellaire, donnant lieu à une éruption soudaine de rayonnements, tandis que le reste n'est plus lié. Mais comme on est dans un environnement très proche d'un trou noir supermassif, cette matière résiduelle peut se retrouver accrétée cette fois autour du trou noir supermassif. C'est ce que Taeho Ryu (Max Planck Institut für Astrophysik, Garching) et ses collaborateurs  ont découvert en étudiant le devenir des TDE dans les amas d'étoiles nucléaires.
Les chercheurs ont calculé qu'il existe une série d'emplacements du trou noir stellaire à proximité du trou noir supermassif pour lesquels les débris non liés, tout en s'échappant du trou noir stellaire, se retrouvent liés au trou noir supermassif, ce qui provoque assez vite une seconde éruption de rayonnements, plus longue que la première. Ils quantifient les conditions dans lesquelles les débris restent liés au trou noir supermassif, en fonction des variables pertinentes du problème, à savoir l'emplacement du trou noir stellaire, la masse du trou noir supermassif et l'angle d'éjection des débris. Les chercheurs ont ainsi découvert une variété de pentes temporelles qui peuvent produire une gamme variée de transitoires électromagnétiques.

Et puis Ryu et ses collaborateurs ont ensuite calculé les taux d'occurrence de tels événements de double éruption de type TDE par galaxie. Ils trouvent que ces taux peuvent être aussi élevés que les taux de TDE standards, en fonction de la masse du trou noir supermassif. Ce taux d'occurrence est compris entre 10-6 et 10-3 par an par galaxie, pour une masse de trou noir supermassif comprise entre 1 million et 1 milliard de masses solaires. Donc entre 1 fois tous les 1000 ans et 1 fois tous les millions d'années. Le délai temporel qui sépare les deux éruptions (celle liée à l'accrétion du trou noir stellaire puis celle liée à l'accrétion du trou noir supermassif) s'étale sur une large plage, qui va de moins d'un an jusqu'à des centaines d'années. 
Les chercheurs montrent aussi que l'évolution temporelle des courbes de lumière de la deuxième éruption peut varier entre la loi de puissance standard en t-5/3 et des décroissances beaucoup plus abruptes, ce qui fournit une explication naturelle aux courbes de lumière qui sont parfois observées en tension avec le modèle classique de TDE. 

Les résultats de Ryu et al. ont donc des implications sur les propriétés des NSC et le calibrage de leur population de trou noirs stellaires. Une autre implication importante est l’existence possible d’événements de type TDE dans des trous noir supermassifs très massifs, alors que l’on ne s’attend normalement pas à observer des TDE avec les trous noirs supermassifs. 



Pour arriver à ces résultats, Ryu et ses collaborateurs précisent qu'ils ont utilisé des hypothèses simples. Ils ont d'abord supposé que l’orbite de l’étoile d’origine était parabolique. Mais, dans les noyaux galactiques, l’orbite peut être hautement hyperbolique. Si des TDE de type hyperboliques se produisent, la distribution d’énergie des débris se déplacerait vers une énergie plus élevée et ce changement pourrait affecter l'évolution ultérieure des débris autour du trou noir supermassif.
Deuxièmement, ils ont considéré que le trou noir stellaire était sur une orbite circulaire autour du trou noir supermassif. Les écarts par rapport à l'orbite circulaire affecteraient également l'évolution des débris stellaires déversés car leur énergie et leur moment cinétique seraient différents, en fonction de la phase orbitale du petit trou noir. Par exemple, dans le cas d'un trou noir stellaire sur une orbite excentrique, l'orbite des débris déversés peut être excentrique elle aussi (par rapport au trou noir supermassif).
Troisièmement, ils ont considéré pour plus de simplicité des cas coplanaires où l'étoile, le trou noir stellaire et le trou noir supermassif orbitent dans le même plan, ce qui peut être une bonne approximation pour les noyaux actifs de galaxie. Mais dans les environnements sans gaz, l'orbite de l'étoile par rapport au trou noir stellaire n'est pas nécessairement alignée avec l'orbite du trou noir stellaire autour du trou noir supermassif. L’angle supplémentaire qui serait requis pour décrire une inclinaison mutuelle non nulle introduirait une dépendance angulaire plus compliquée.
Quatrièmement, Ryu et al. ont supposé que l’orbite des débris était balistique autour de l’un des deux trous noirs. À l'ordre zéro, cette approximation est valable lorsque l'on considère l'évolution orbitale des débris dans un système impliquant un contraste de masse important entre le trou noir stellaire et le trou noir supermassif.

Enfin, les chercheurs ont supposé des TDE dans des galaxies sans gaz. Mais les trous noirs supermassifs ont tendance à être entourés d'un milieu gazeux (comme par exemple, notre centre galactique). Dans de tels cas, les interactions des débris tombant avec le gaz environnant peuvent affecter l'orbite des débris et également conduire à leur dissolution via l'instabilité de Kelvin – Helmholtz.
Pour comprendre avec précision les observables et l'évolution orbitale des débris stellaires de TDE dans divers environnements, des simulations hydrodynamiques détaillées avec des calculs gravitationnels appropriés des deux trous noirs seront nécessaires, selon les auteurs. Ce sera l'occasion pour eux de futures études à venir...

Source

Tidal Disruption Encores
Taeho Ryu et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 965, Number 2 (16 april 2024) 

Illustrations

1. Vue d'artiste d'un TDE ( M. Kornmesser / ESO)
2. Schéma du principe de la double éruption de type TDE à proximité d'un trou noir supermassif (Ryu et al.)
3. Taeho Ryu

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