21/12/25

Après la supernova, après la kilonova : la superkilonova.


Le 18 août 2025, la collaboration LIGO–Virgo–KAGRA a détecté des ondes gravitationnelles issues de la fusion d'un système binaire d'étoiles à neutrons en dessous du seuil de masse classique. Au moins une des étoiles à neutrons avait une masse inférieure à celle du Soleil. Le Zwicky Transient Facility a cartographié la localisation approximative de cet événement et a découvert une source transitoire coïncidant spatialement et temporellement avec le déclenchement des ondes gravitationnelles. La première semaine de suivi a révélé des propriétés similaires à celles d'une kilonova de type GW170817. Mais les suivis ultérieurs suggèrent des propriétés plus proches de celles d'une jeune supernova de type IIb à enveloppe dépouillée. Une analyse approfondie montre qu'il pourrait s'agir en fait des deux, dans un nouveau processus qu'on appelle une superkilonova... L'étude est parue dans The Astrophysical Journal Letters.

Rappelons que le phénomène de kilonova est associé à la fusion de deux étoiles à neutrons, qui produit une explosion riche en création d'éléments lourds. Et une étoile à neutron est le résidu d'une supernova à effondrement de coeur (de type II). Mais il existe aussi des modèles théoriques qui prédisent que dans certaines conditions, une étoile massive qui s'effondre gravitationnellement peut former non pas une étoile à neutrons, mais deux, ou plus! Il faut pour cela que l'étoile massive soit en rotation très rapide. Il existe deux variantes : soit un disque d'accrétion se forme juste avant l'explosion proprement dite à cause de la grande vitesse de rotation et se fragmente jusqu'à former une ou plusieurs petites étoiles à neutrons, ou bien le coeur de l'étoile massive fissionne sous l'effet de la rotation lors de l'effondrement, formant deux étoiles à neutrons au lieu d'une dans la supernova. Le résultat est le même : à l'issue de la supernova, il reste au moins deux étoiles à neutrons très proches l'une de l'autre qui se tournent autour l'une de l'autre à grande vitesse et se rapprochent très vite. On connaît la suite, elle devraient très vite fusionner et donc produire une kilonova, en plus de la supernova qui a eu lieu quelques heures auparavant. Un tel phénomène a été envisagé théoriquement, mais n'a jamais observé.

Mansi  Kasliwal (Caltech) et ses collaborateurs sont parvenus à cette conclusion pour AT2025ulz qui a été détecté le 18 aout, quelques heures après l'alerte donnée par les détecteurs d'ondes gravitationnelles. Le Zwicky Transient Facility (ZTF), une caméra installée à l'observatoire Palomar, a été le premier à localiser un objet rouge s'estompant rapidement, situé à 1,3 milliard d'années-lumière et localisé dans la même région que la source d'ondes gravitationnelles S250818k. L'événement, initialement nommé ZTF 25abjmnps, a ensuite été renommé AT2025ulz par le serveur de noms de phénomènes transitoires de l'Union astronomique internationale. Une douzaine d'autres télescopes ont été braqué  sur la cible pour en apprendre davantage, notamment l'observatoire Keck à Hawaï, le télescope Fraunhofer de l'observatoire Wendelstein en Allemagne, et un ensemble de télescopes à travers le monde du programme GROWTH (Global Relay of Observatories Watching Transients Happen), dirigé par Kasliwal.
Les observations ont confirmé que l'éruption lumineuse s'était rapidement estompée et avait émis une lueur rouge, tout comme GW170817 huit ans auparavant. Dans le cas de la kilonova emblématique GW170817, les couleurs rouges provenaient d'éléments lourds comme l'or créés lors de la fusion par les flux intense de neutrons. Ces atomes possèdent davantage de niveaux d'énergie électronique que les éléments plus légers, bloquant ainsi la lumière bleue tout en laissant passer la lumière rouge.

Puis, quelques jours après l'explosion, AT2025ulz a recommencé à briller, cette fois avec une teinte plus bleue et a révélé la présence d'hydrogène dans son spectre – autant de signes d'une supernova et non d'une kilonova (plus précisément d'une supernova à effondrement de cœur et enveloppe dépouillée). Mais on ne s'attend généralement pas à ce que les supernovas provenant de galaxies lointaines génèrent suffisamment d'ondes gravitationnelles pour être détectables par LIGO et Virgo, contrairement aux kilonovas.

Bien qu'AT2025ulz ne ressemble pas tout à fait à la kilonova classique GW170817, elle ne présente pas non plus les caractéristiques spectrales d'une supernova ordinaire. De plus, les données d'ondes gravitationnelles de LIGO-Virgo ont révélé qu'au moins une des étoiles à neutrons impliquées dans la fusion avait une masse inférieure à une masse solaire, suggérant ainsi que deux petites étoiles à neutrons auraient pu fusionner pour former une kilonova. Lors de l'éjection de métaux lourds, la kilonova aurait initialement émis une lueur rouge, observée par ZTF et d'autres télescopes. L'expansion des débris issus de l'explosion antérieure de la supernova aurait ensuite masqué la kilonova aux astronomes. 

En principe, des étoiles à neutrons stables peuvent exister et atteindre une masse aussi faible que 0,1 M⊙. Mais la formation d'une étoile à neutrons de masse inférieure à 1 masse solaire représente un défi majeur pour l'évolution stellaire. Des simulations détaillées de l'effondrement du cœur et de l'explosion en supernova d'étoiles massives (à rotation lente) prévoient une limite inférieure robuste à la masse d'une étoile à neutrons de 1,2 M⊙. Une limite inférieure similaire s'applique aux masses des étoiles à neutrons formées par l'effondrement, induit par accrétion, d'une naine blanche. La seule solution pour former une étoile à neutrons de masse inférieure à celle du Soleil est d'identifier un environnement riche en neutrons, car la masse de Chandrasekhar est proportionnelle au carré de la fraction d'électrons. Un tel environnement gravitationnel riche en neutrons est possible immédiatement après l'effondrement d'une étoile en rotation rapide.

La fission du coeur d'une étoile en effondrement en deux étoiles à neutrons au lieu d'une seule a été théorisé il y a 40 ans par Durisen & Tohline (1985), puis confirmé par Imshennik & Popov en 1998 et plus tard par Davies et al. (2002) puis Postnov et al. (2016). La condition nécessaire est une très grande vitesse de rotation de l'étoile massive. 

Par ailleurs, il a également été proposé que si l'enveloppe stellaire possède un moment angulaire suffisant, elle pourrait former initialement un disque de matière maintenu en suspension par la force centrifuge, plutôt que de s'accréter directement sur l'objet compact central. La production d'un disque d'accrétion massif et instable qui se fragmente puis s'effondre pour former une étoile à neutrons suite à un refroidissement par neutrinos incontrôlés ou à la dissociation de particules alpha a quant à elle été théorisée par Piro & E. Pfahl en 2007, puis par Metzger et al. en 2024 et encore récemment par Lerner et al. en 2025. Ce processus est qualitativement similaire au mécanisme proposé pour la formation de planètes dans les disques protoplanétaires ou d'étoiles dans les disques des noyaux actifs de galaxies. Et si le disque s'enrichit en neutrons, suite à la capture d'électrons par des protons, la limite inférieure de masse de Chandrasekhar pourrait permettre la formation d'étoiles à neutrons de masse inférieure à celle du Soleil comme l'ont montré Metzger et al. en 2024. Ce phénomène a récemment été illustré par Chen et Metzger (2025) à l'aide de simulations hydrodynamiques. Ces auteurs ont constaté que la fragmentation en un spectre d'objets de masse comprise entre  0,01 et 1 M⊙ est observée pour les disques à taux d'accrétion élevés. Si le disque se fragmente en plusieurs étoiles à neutrons, ces corps peuvent s'apparier en binaires serrées, soit par fission à partir d'un unique amas en effondrement, soit par friction due à l'entraînement des gaz . 

Si plusieurs étoiles à neutrons se forment par ce processus, la coalescence ultérieure de ces étoiles à neutron binaires, possiblement après un délai de quelques minutes à quelques heures suivant l'effondrement, constitue une source potentielle d'émission d'ondes gravitationnelles en quasi-coïncidence avec la supernova. Et si le disque se fragmente en une seule étoile à neutrons subsolaire, celle-ci fusionnera peu de temps après avec l'étoile à neutrons centrale (de masse ordinaire, issue de la supernova) ou le trou noir de faible masse créé par l'effondrement du coeur, créant ainsi un seul signal d'ondes gravitationnelles.

Mansi  Kasliwal et ses collaborateurs penchent plus vers la solution d'une telle fragmentation au sein du disque d'accrétion, plutôt que celle de la fission directe du coeur de l'étoile massive lors de la supernova. Selon eux, un indice fort est la faible masse de S250818k, déterminée par la méthode du chirp, qui laisse entrevoir la possibilité d'observer la fusion d'une ou deux étoiles à neutrons subsolaires, soit entre elles, soit avec l'objet compact central résiduel de l'explosion. Deuxièmement, la similarité de ZTF 25abjmnps avec les supernovas à enveloppe dépouillée suggère que l'étoile progénitrice a pu interagir dans un système binaire, ce qui lui aurait conféré un moment angulaire suffisant pour former un disque d'accrétion susceptible de se fragmenter lors de son effondrement. 
Ils précisent que les mécanismes d'accélération de la rotation des cœurs d'étoiles massives aux stades tardifs de leur évolution peuvent être divers et, dans certains cas, peuvent concerner des progénitrices contenant des quantités modérées d'hydrogène et d'hélium. Par exemple, une fusion stellaire survenant peu avant l'effondrement du cœur pourrait à la fois accélérer sa rotation et donner naissance à une supernova de type IIb. Troisièmement, selon les auteurs, l'évolution inhabituelle de la couleur pourrait indiquer le mélange d'une faible quantité d'éléments du processus r (nucléosynthèse par enrichissement rapide en neutrons), contribuant à l'opacité pendant un certain temps, jusqu'à ce que le nickel devienne dominant. Quatrièmement, les chercheurs mentionnent que l'environnement local de formation stellaire active de la galaxie hôte de ZTF 25abjmnps est un lieu propice à de tels événements d'effondrement de cœur.

L'étude de cette superkilonova candidate n'est pas finie. L'établissement d'une association plus solide entre le signal gravitationnel S250818k et le transitoire optique ZTF 25abjmnps nécessite une modélisation théorique plus détaillée et des observations tardives et sensibles. Le suivi tardif de la courbe de lumière pourrait notamment être comparé à l'échauffement qui est attendu par le nickel-56. La spectroscopie dans l'infrarouge (en particulier avec le télescope spatial James Webb) permettrait en outre de contraindre directement la composition des éjectas. La forte densité du milieu environnant dans les régions de formation stellaire active pourrait aussi faciliter les détections radio tardives. Des données radio et X supplémentaires permettraient de déterminer l'existence ou non d'une composante relativiste non thermique tardive.
Si le disque d'accrétion ou les fusions d'étoiles au sein du disque alimentent des jets relativistes, cela pourrait conférer une asymétrie à l'explosion de la supernova le long de l'axe de rotation et créer une rémanence non thermique si le jet parvient à traverser l'enveloppe éjectée de l'étoile. En revanche, une enveloppe plus large pourrait étouffer tout jet alimenté par accrétion, rendant les signatures du moteur central moins apparentes que dans les sursauts gamma traditionnels. Bien que des détections radio/X tardives corroborent cette hypothèse, leur absence ne l'exclut pas non plus... La preuve la plus convaincante de ce modèle serait sans doute la présence, dans la signature des ondes gravitationnelles, de signes de fusions multiples : par exemple, la fusion d'étoiles à neutrons subsolaires suivie de la fusion d'une étoile à neutrons avec un trou noir. Une telle double fusion n'est attendue dans le cadre du modèle de la superkilonova que si le disque d'accrétion s'est fragmenté pour former plusieurs étoiles à neutrons subsolaires. En revanche, elle n'est pas attendue si le cœur en effondrement s'est fissionné directement en deux étoiles à neutrons qui ont ensuite fusionné, ou si la fragmentation a formé une seule étoile à neutrons subsolaire qui a fusionné ensuite avec une étoile à neutrons centrale.

À l'avenir, de nombreuses méthodes permettront de vérifier la validité de cette potentielle signature de superkilonova. Grâce aux futurs interféromètres à ondes gravitationnelles plus sensibles, on devrait observer un nombre bien plus important de détections de fusions d'étoiles à neutrons binaires subsolaires, avec une signification statistique accrue et une meilleure localisation. Et puis la recherche d'une signature similaire à celle d'une supernova à enveloppe dépouillée et à effondrement de cœur devrait être aisée, même à des distances considérables, grâce à la prochaine génération de télescopes comme l'observatoire Vera Rubin, le télescope spatial Roman, ou le satellite UVEX.

Tout phénomène transitoire ressemblant à une jeune supernova à enveloppe dépouillée, coïncidant avec la fusion d'étoiles à neutrons subsolaires ou la fusion d'une étoile à neutrons et d'un trou noir, devrait en tous cas faire l'objet d'un suivi approfondi à toutes les longueurs d'onde. Une modélisation théorique plus détaillée des superkilonovas, notamment des prédictions de courbe de lumière et de spectre, permettrait aussi aux observateurs d'optimiser leurs observations de suivi. 

Lorsque GW170817 s'est produite à une distance relativement proche, la preuve de l'association multimessager était flagrante, la distinction entre une kilonova et une supernova étant alors très nette. Mais comme c'est le cas ici, les futurs événements multimessagers pourraient être différents de GW170817, et se produiront probablement beaucoup plus loin, en présentant des similitudes avec les supernovas. Aujourd'hui, nous avons l'opportunité de discerner une véritable « symphonie multimessager » : une supernova à effondrement de cœur, associé à une fusion d'étoiles à neutrons, voire deux fusions quasi simultanées pouvant impliqué également un trou noir : une superkilonova.

Source

ZTF25abjmnps (AT2025ulz) and S250818k: A Candidate Superkilonova from a Subthreshold Subsolar Gravitational-wave Trigger
Mansi Kasliwal et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 995, Number 2 (15 december 2025)

Illustrations

1. Vue d'artiste du phénomène de superkilonova (Caltech/K. Miller and R. Hurt (IPAC))
2. Mansi  Kasliwal

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