27/12/25

Nouvelle estimation de l'épaisseur de la croûte de glace d'Europe


Une équipe de chercheurs vient de caractériser l'épaisseur de la glace et la structure du sous-sol d'Europe (lune de Jupiter) grâce au radiomètre micro-ondes de la sonde Juno. Alors qu'on estimait auparavant que cette croute de glace surplombant un océan liquide faisait entre 3 km et 30 km, la valeur trouvée aujourd'hui est dans la fourchette haute : 29 ± 10 km, mais il y aurait des fissures de plusieurs centaines de mètres de profondeur. L'étude est publiée dans Nature Astronomy.

Europe, est aujourd'hui l'une des cibles prioritaires de l'astrobiologie dans le système solaire, du fait de l'existence avérée de son océan liquide salé et de sa relative proximité de la Terre. Les observations de la sonde Galileo avaient révélé de vastes zones de fragmentation de la glace (un terrain chaotique), suggérant la présence de fissures, failles, pores ou bulles sous la surface. Si elles persistent, ces fissures pourraient favoriser l'habitabilité en facilitant le transport de nutriments entre la surface et l'océan. 

Steven Levin (JPL, NASA) et ses collaborateurs ont étudié la surface et la subsurface d'Europe avec la sonde Juno qui orbite toujours avec panache la grande Jupiter en survolant de temps à autre ses satellites les plus intéressants comme Io, Ganymède ou Europe. 

La sonde Juno est en orbite polaire autour de Jupiter depuis 2016, stabilisée par rotation sur elle-même à une vitesse de 2 tours par minute. Le 29 septembre 2022, elle a survolé Europe à une altitude de 360 ​​km. Europe est une cible prioritaire pour les planétologues depuis plus de 40 ans, l'intérêt pour sa potentielle habitabilité s'étant considérablement accru lorsque les mesures de la sonde Galileo ont révélé la présence d'un océan d'eau salée et conductrice sous la croûte de glace, ainsi que des fractures dans la glace de surface. Lors du survol d'Europe par Juno, son radiomètre micro-ondes (MWR), conçu initialement pour observer l'atmosphère profonde de Jupiter, a fourni des mesures spatialement résolues des températures de brillance à différentes profondeurs de la croûte de glace d'Europe.

MWR est un ensemble de six radiomètres fonctionnant à 0,6 GHz, 1,2 GHz, 2,6 GHz, 5,2 GHz, 10 GHz et 22 GHz. Lors du survol d'Europe, MWR a permis de cartographier les émissions thermiques émanant de la croûte de glace à des profondeurs allant de quelques mètres (à 22 GHz) à plusieurs kilomètres (à 0,6 GHz). Ces observations de la température de la glace en fonction de la profondeur mettent en évidence une diffusion dépendant de la fréquence au sein de la glace et contraignent ainsi l'épaisseur de la croûte de glace ainsi que la taille et la profondeur des sources des réflexions observées.

L'ensemble de données comprend 129 mesures dans chacun des six canaux de MWR, obtenues à partir de quatre rotations consécutives de la sonde. Les six cartes MWR obtenues couvrent les latitudes d'environ 10° S à environ 30° N et les longitudes de 60° O à 40° E. MWR a mesuré la température avec une précision absolue supérieure à 2 %. 


Les observations infrarouges indiquent par ailleurs que la région observée à la surface d'Europe présente des températures comprises entre 90 K et 110 K environ, avec une variation diurne d'environ 20 K. Bien que la surface d'Europe soit principalement composée de glace d'eau, on y trouve des traces de sels et d'autres matériaux non glacés, peut-être des composés soufrés, de la glace de CO2, et peut-être des molécules organiques ou des matériaux rocheux. La morphologie de surface et les mesures du champ magnétique suggèrent la présence d'un océan souterrain. Avant Juno, les estimations de l'épaisseur de la calotte glaciaire étaient imprécises, oscillant entre 3 km et 45 km environ. 
La présence d'un océan d'eau sous la calotte glaciaire impose une contrainte sur le gradient de température vertical (l'interface océan-glace doit être à environ 270 K). Une couche de glace convective pourrait exister entre l'océan et la croûte de glace conductrice. Les mesures du gradient de température vertical permettent d'estimer l'épaisseur de la partie conductrice de la croûte de glace, une éventuelle couche convective s'ajoutant à l'épaisseur totale. On suppose en outre qu'une couche de régolithe de glace, d'une profondeur variant de quelques mètres à un kilomètre, contient des fractures et des cavités pouvant atteindre 75 cm de diamètre. L'épaisseur de la croûte de glace et la nature du régolithe limitent les possibilités de communication entre la surface et l'océan, influençant les théories sur l'habitabilité d'Europe .

L'analyse de Levin et ses collaborateurs révèle la présence d'une couche de glace conductrice d'une épaisseur de 29 ± 10 km, en supposant une glace d'eau pure et l'absence de couche de glace convective. L'estimation de l'épaisseur de cette couche dépend crucialement du gradient thermique induit par les différences mesurées entre les canaux à 0,6 GHz et 1,2 GHz. Les impuretés présentes dans la glace, telles que les sels ou d'autres substances, augmenteraient l'opacité aux micro-ondes, réduisant potentiellement la profondeur sondée par tous les canaux et, par conséquent, la différence de profondeur entre les canaux à 0,6 GHz et 1,2 GHz, avec un effet approximativement proportionnel sur l'estimation de l'épaisseur de la couche de glace.
Afin de déterminer l'importance de ce phénomène, les chercheurs utilisent la théorie du milieu effectif pour estimer l'effet de la salinité sous forme d'inclusions et, alternativement, ils estiment l'effet du sel dissous dans le réseau cristallin de la glace en ajustant la partie imaginaire de la constante diélectrique pour tenir compte de la contribution du chlore à la conductivité. Une glace marine présentant une salinité de 60 μM Cl⁻ ( environ 2,3 mg kg⁻¹ ) , comme suggéré par Blankenship et al., n'a que très peu d'effet sur l'analyse de Levin et ses collègues. Une salinité de la calotte glaciaire de 15 mg kg⁻¹ , qui avait été estimée par Steinbrugge et al. , si elle était globale, réduirait la profondeur de sondage à 0,6 GHz d'environ 17 % (soit environ 5 km) si les ions sont dissous dans le réseau cristallin de la glace, ou d'environ 4 % s'ils sont présents sous forme d'inclusions. Levin et ses collaborateurs précisent que des niveaux de salinité plus élevés, ainsi qu'une dépendance de leur effet sur l'opacité à la température, pourraient avoir un impact plus important, bien que certains sels de sulfate hydratés aient peu d'effet sur l'atténuation des micro- ondes.
Pour affecter les basses fréquences et diminuer l'estimation de l'épaisseur de la couche de glace conductrice, les impuretés devraient être suffisamment répandues pour impacter la majeure partie des données MWR et suffisamment profondes pour modifier sensiblement la contribution du canal à 0,6 GHz. La modélisation présentée ici, qui suppose une glace pure, prédit une contribution de 50 % au canal à 0,6 GHz à 14 km de profondeur. Les impuretés induisant une dépendance différente à la température de la glace modifieraient également la concordance entre les données et le modèle en changeant la pente modélisée. Une analyse plus poussée de cet effet pourrait permettre de mieux contraindre le degré d'impuretés et, par conséquent, les propriétés de la couche de glace.

En tous cas, l'estimation de l'épaisseur de la croûte de glace d'Europe se situe dans la partie supérieure des estimations publiées précédemment, mais elle reste physiquement plausible. Le flux de chaleur dans le modèle de Levin et al., correspondant à une croûte conductrice de 19 à 39 km d'épaisseur, varie de 15 mW m-2 à 35 mW m-2. Ce flux de chaleur est supérieur à celui attendu pour une contribution radiogénique chondritique seule (~10 mW m-2) et il est cohérent avec les estimations prenant en compte le chauffage par effet de marée dans la croûte de glace d'Europe.
Les modèles de dissipation des marées prévoient également des variations importantes de l'épaisseur de la croûte de glace en fonction de la latitude et de la longitude, des variations que le modèle de Levin et al. ne prend pas en compte. Mais aucune preuve topographique isostatique n'a confirmé cette variation d'épaisseur prédite, et il a été avancé que le transport de chaleur océanique pourrait quasiment éliminer ces variations d'épaisseur de la croûte sur Europe.

Les planétologues constatent également que le régolithe présente une distribution de diffuseurs dont la densité diminue avec la puissance quatrième de la taille des pores et avec une hauteur d'échelle d'environ 220 m. Ils interprètent ces centres diffuseurs comme des pores dans la glace, mais ils n'excluent pas la possibilité qu'il s'agisse de fissures ou d'inclusions salines, qui donneraient des résultats similaires. Si la glace est suffisamment impure pour être sensiblement plus opaque que la glace pure, alors la distribution verticale des diffuseurs doit être moins profonde. La variation latérale des diffuseurs s'étend sur au moins quelques mètres de profondeur, mais n'est pas observée dans les canaux les plus profonds.
Pour les chercheurs, en raison de leur faible fraction volumique, de leur faible profondeur par rapport à celle de l'océan et de leur petite taille, les pores, vides ou fractures mis en évidence par ces résultats ne constitueraient probablement pas, à eux seuls, une voie d'apport de nutriments à l'océan ni un moyen de communication entre l'océan et la surface.

Les données exploitées ici n'excluent pas d'autres sources liées aux régions actives ou aux impacts sur Europe, ni la possibilité que les pores les plus fins, indétectables par les fréquences de sondage les plus profondes de MWR, ne décroissent pas de façon exponentielle mais se prolongent en profondeur. Pour conclure, les chercheurs rappellent que ces résultats se limitent aux terrains observés et qu'une cartographie plus poussée de la surface d'Europe par radiométrie ou radar pourrait révéler des régions où la couche de glace est plus mince ou plus épaisse, ou encore présenter des variations de régolithe non observées.


Source

Europa’s ice thickness and subsurface structure characterized by the Juno microwave radiometer
S. M. Levin et al.
Nature Astronomy (17 december 2025)

Illustrations

1. Europe imagée par Juno lors de son survol du 29 septembre 2022 (NASA)
2. Données MWR pour chaque canal de fréquence, superposées sur une carte d'Europe (Levin et al.)
2. Steven Levin 

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