Certaines galaxies possèdent un noyau extrêmement brillant, parfois 100 000 fois plus brillant que celui de galaxies plus « normales ». Dans ces noyaux actifs de galaxie, de l’énergie est libérée quand de la matière tombe en spiralant vers le trou noir supermassif qui se trouve au centre et qui peut avoir une masse de plusieurs milliards de masses solaires.
Et dans environ 10% de ces noyaux actifs, une fraction de la matière est expulsée sous la forme de deux jets de matière propulsés à une vitesse proche de la vitesse de la lumière et entremêlés de rayonnements divers.
Or depuis que l’on connait l’existence de cet jets, nous ignorons toujours quelle est le phénomène physique qui en est à l’origine. Mais pour la première fois, une équipe d’astrophysiciens montre, dans une étude parue cette semaine dans Nature, une preuve directe que ces jets de matière sont propulsés par une sorte de générateur électromagnétique géant qui prend sa source dans des champs magnétiques (énormes) vrillés par la rotation du trou noir supermassif. L’énergie de rotation du trou noir se retrouve ainsi transformée in fine en énergie cinétique des jets de matière.
A gauche : image composite de la galaxie NGC5128 (optique + rayons X (bleu) + radio (orange)); à droite : schéma de l'origine magnétique des jets d'après M. Zamaninasab et al. |
Jusqu’à présent, les chercheurs n’étaient jamais parvenu à voir d’aussi près ce qui se passe à la périphérie d’un trou noir supermassif, du fait de l’échelle très réduite inaccessible même aux instruments ayant la meilleure résolution spatiale ou angulaire. On parle ici de phénomènes se déroulant sur environ 3 années-lumière mais situés à une distance de plusieurs milliards d’années-lumière de nous, je vous laisse calculer l’angle que cela représente…
Mais c’est aujourd’hui (presque) possible ! A grand renfort de technologie et d’intelligence bien évidemment. Il suffit pour cela d’utiliser le principe de l’interférométrie à très longue distance, dans laquelle une dizaine de radiotélescopes répartis sur plusieurs continents (le réseau VLBI) fournissent des données en simultané d’une même source et dont les signaux sont « mélangés », ce qui revient au final à obtenir l'équivalent d'un radiotélescope de la taille de la distance qui sépare les plus éloignés du groupe, en l’occurrence ici presque la taille de la Terre…
Comme la résolution est directement liée au diamètre du radiotélescope, il s’ensuit une phénoménale performance.
Mais malheureusement, j'ai dit "presque" parce que malgré ces prouesses, le VLBI ne permet de résoudre une zone seulement 100 fois plus grande que la zone réellement intéressante. Qu'à cela ne tienne, les astrophysiciens ont supplanté la technologie par l'intelligence. Pour évaluer le flux magnétique en périphérie immédiate du trou noir, ils ont évalué le flux magnétique des jets d'une part et observé la luminosité du disque d'accrétion d'autre part. Le flux magnétique (valeur du champ magnétique par unité de surface) doit être proportionnel à la luminosité du disque.
Le réseau VLBI "global" (T. Krichbaum, MPIfR) |
Les auteurs ont trouvé à partir de l'étude de 76 noyaux de galaxies actives que le flux magnétique des jets et la luminosité des disques d'accrétion étaient très corrélés entre eux. Cette corrélation indique ainsi clairement et de manière directe que le flux magnétique du trou noir supermassif est lui aussi corrélé directement avec le flux magnétique des jets de matière, ce qui ce revient à expliquer l'origine des jets par le champ magnétique vrillé du trou noir.
Ce qu'ont trouvé Mohammad Zamaninasab et son équipe de l'université de Bonn modifie radicalement la façon dont les astronomes voyaient ces jets de matière : ce ne sont pas juste des flux de matière et de rayonnement expulsés par un monstre, il s'agit également de structures magnétiques à part entière. Comme il existe une relation fondamentale entre champ magnétique et courant électrique, ces jets devraient en fait être considérés à la fois comme du champ magnétique et du courant électrique.
Les jets des trous noirs supermassifs peuvent s'étendre jusqu'à des distances de plusieurs dizaines de milliers d'années-lumière, s'aventurant dans l'espace intergalactique (orthogonal au plan galactique). Des effets autres que magnétiques doivent agir sur eux de plus en plus, plus ils s'éloignent de leur géniteur, mais ce qui se passe tout au bout de ces jets de matière est encore très mal connu.
D'autre télescopes interférométriques à très longue distance, pourquoi pas en orbite, seront sans doute nécessaires pour poursuivre cette exploration de l'extrême.
référence :
Dynamically important magnetic fields near accreting supermassive black holes
M. Zamaninasab et al.
Nature 510, 126–128 (05 June 2014)
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