Le centre de notre galaxie est un endroit vraiment très intéressant. Très intéressant parce qu'il s'y passe plein de choses, et surtout parce que c'est le royaume de la densité. On y trouve en premier lieu, tout au centre, l'objet le plus dense de toute la galaxie, le trou noir supermassif Sgr A*. Et puis tout autour de lui gravitent une population très dense d'étoiles, parfois très proches les unes des autres, mais aussi de nombreux nuages de gaz et de poussières eux aussi très denses. Et puis il y a des pulsars, ces étoiles à neutrons résidus d'étoiles explosées dont la densité de matière est la seconde plus forte après celle des trous noirs.
Du moins, il devrait y avoir de nombreux pulsars. Car étrangement, nous n'en voyons que très peu, vraiment beaucoup moins que le nombre que l'on devrait voir. On appelle ce problème le "problème des pulsars manquants".
La très forte densité d'étoiles dans le centre galactique indique qu'il devrait s'y trouver plusieurs centaines de pulsars . Et parmi eux, les pulsars "jeunes" devraient être au nombre de 50, alors que nous en n'avons observé qu'un seul!
Le centre de notre galaxie (NASA/CXC/UMass/D. Wang et al./STScI/JPL-Caltech/SSC/S.Stolovy) |
Deux astrophysiciens américains, Joseph Bramante et Tim Linden, viennent de proposer une solution audacieuse, voire élégante, pour expliquer ces observations manquantes. Le centre galactique est aussi l'endroit de la galaxie où la densité de matière noire doit être la plus grande. Les chercheurs ont donc imaginé que tout était lié. La matière noire pourrait être à l'origine de la disparition des pulsars.
Bramante et Linden, dans leur étude théorique publiée le 3 novembre dans Physical Review Letters, proposent un mécanisme très simple : là où la densité de matière noire sous forme de particules massives est la plus grande est là aussi où apparaissent les étoiles à neutrons lors de l'explosion d'étoiles massives (ces résidus d'étoiles ne sont pas assez massifs pour finir en trous noirs).
Mais ces étoiles à neutrons en rotation rapide, ces pulsars, possèdent un champ de gravitation très fort, et peuvent donc attirer à eux de grandes quantités de particules de matière noire. Ils peuvent ainsi accumuler de la matière noire dans leur centre et grossir. Mais une étoile à neutrons ne peut pas avoir une masse indéfiniment grande, il existe une masse limite au delà de laquelle l'étoile à neutron ne peut plus être stable, au delà de cette masse, elle devient... un trou noir.
Vue d'artiste d'un pulsar (NASA/Fermi) |
Après une accumulation suffisante de matière noire, le pulsar disparaît et n'existe soudainement plus... Cela pourrait expliquer pourquoi nous voyons si peu de pulsars dans le centre galactique, ils seraient "simplement" devenus des trous noirs, qu'on ne verrait bien sûr pas.
Et comme la densité de matière noire décroît lorsqu'on s'éloigne du centre de la galaxie (car elle doit former un halo sphérique), Bramante et Linden prédisent qu'il suffirait de dénombrer les pulsars et surtout d'évaluer leur âge en fonction de leur distance du centre de la galaxie pour caractériser non seulement la répartition de la matière noire, mais aussi quelques caractéristiques physiques des particules en question, comme leur masse. En effet, d'après ce modèle, l'âge de collapse d'un pulsar se trouve être inversement proportionnel à la densité de matière noire (et donc de la distance) et proportionnel à la vitesse de dispersion des WIMPs.
Alors, certes, l'observation d'un tel signal est difficile, car il faut collecter un maximum de signaux radio de pulsars, mais ce n'est pas impossible. Si une telle évolution en fonction de la distance du centre galactique peut être observée, la difficulté sera ensuite dans l'interprétation de l'observation : il faudra pouvoir déterminer si l'effet est bien dû au mécanisme proposé par Bramante et Linden et pas à un autre phénomène.
Une variante serait de pouvoir observer directement le collapse d'un pulsar en trou noir, mais on ne sait pas vraiment à quoi cela doit ressembler en termes de rayonnements...
La proposition de Bramante et Linden est en tout cas une toute nouvelle méthode dans la boîte à outils des astrophysiciens et autres physiciens des astroparticules dans leur quête incessante de la masse manquante des galaxies et elle permet de répondre à une énigme encore sans réponse, ce qui est loin d'être sans intérêt.
Référence :
Detecting Dark Matter with Imploding Pulsars in the Galactic Center
Joseph Bramante & Tim Linden
Phys. Rev. Lett. 113, 191301 (3 November 2014)
7 commentaires :
Bonjour,
Merci pour tous vos très intéressants articles.
A propos de celui-ci, il me semble que le trou noir central Sgr A* ne devrait pas être l'objet le plus dense de la galaxie mais le plus compact, comme cela est généralement le cas pour les trous noirs.
Compact et Dense sont des synonymes, n'est-il pas ? On pourrait dire que toute la masse du trou noir se trouve concentrée dans un volume nul, la singularité, d'où une densité (masse/volume) infinie... Mais si on considère le volume de la sphère de Schwarzchild, la densité devient bien plus faible..., (surtout dans le cas d'un TN supermassif), puisque dans ce cas la "densité" varie comme l'inverse de la masse du trou au carré.
Bonjour,
J'allais faire la même remarque, je pense qu'un proton est plus dense que Sgr A* (du moment qu'on prend en compte son rayon de Schwarzchild), non ?
OK, si on va par là... encore que... comme je le disais, la singularité d'un TN a théoriquement une densité infinie.
Mais je parlais de la densité d'objets astrophysiques. Un proton n'est pas un objet astrophysique. D'ailleurs, on peut rappeler qu'un proton est constitué de particules élémentaires (trois quarks), encore plus denses...
Bonjour,
Concernant le signal que ferait un pulsar dépassant la masse maximale (de Chandrasekhar?), ne donnerait-il pas une SN1a? dans ce cas on sait quel signal on devrait observer, non?
@Eliott La masse limite pour une étoile à neutron n'est pas la masse de Chandrasekhar (1,44 masses solaires), qui est la limite pour une étoile naine blanche dont la stabilité est assurée par la pression de dégénérescence des électrons.
Les étoiles à neutrons ont justement un masse juste supérieure, comprise entre 1,4 et 3,2 masse solaire.
Donc le pulsar pourrait exploser, plutôt comme une SN par effondrement de coeur (SN II), mais pas vraiment de la même façon car il n'y aurait pas d'enveloppe gazeuse dans ce cas.
Exact! Merci beaucoup, il va falloir que je révise un peu :)
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