La totalité des expériences ayant pour objectif de détecter directement ou indirectement la matière noire sous sa forme la plus communément imaginée, des WIMPs ou des axions, n'a pour le moment jamais fourni de résultats positifs indéniables.
Face à ce manque de signal positif, certains chercheurs commencent à remettre sur le devant de la scène d'autres explications pour la matière noire. L'une d'elles est ce qu'on appelle la matière noire topologique.
Vue schématique du phénomène du passage d'un défaut topologique et son impact sur les mesures temporelles de horloges de la constellation de satellites du GPS (Nature Physics) |
Ce type de phénomène peut être visualisé sous la forme de défauts de l'espace-temps, des défauts topologiques. Ces défauts de l'espace-temps, qui prennent la forme d'un champ particulier ayant une variation spatiale, peuvent apparaître sous la forme de structures ponctuelles (des monopoles), à une dimension (des cordes) ou à deux dimensions (des surfaces, qui sont alors appelées des murs de domaines). Cette théorie est bien sûr très spéculative, bien au delà du modèle standard, mais elle n'a encore jamais pu être ni contredite, ni prouvée expérimentalement.
C'est donc à une preuve expérimentale potentielle d'un tel phénomène que deux physiciens russes travaillant aux Etats-Unis et au Canada, se sont lancés à l'assaut. Andrei Derevianko et Maxim Pospelov montrent dans un article venant de paraître dans Nature Physics comment un tel champ de défauts topologiques de l'espace-temps pourrait être mis en évidence "simplement" grâce à des mesures d'horloges atomiques en orbite. L'idée a le mérite d'être beaucoup plus simple que la théorie à démontrer : il s'agit d'observer attentivement d'éventuelles différences dans les références de temps des nombreux satellites du réseau GPS gravitant autour de la Terre.
Derevianko et Pospelov font l'hypothèse que les défauts topologiques recherchés font au moins la taille de la Terre et qu'ils apparaissent suffisamment fréquemment de manière à ce que la Terre passe à travers durant au moins une campagne de mesure. Parmi les interactions envisageables de ces défauts d'espace-temps avec la matière ordinaire, il y a que cette "matière noire" modifie la masse des particules ordinaires lorsqu'elles franchissent le mur de domaine. Et cela devrait évidemment produire des effets mesurables, selon les théoriciens russes.
Vue d'artiste de la constellation du GPS (NIST) |
Utiliser les satellites du système GPS permet de pouvoir exploiter les instruments les plus précis jamais construits par l'homme : des horloges atomiques dont la précision atteint le milliardième de milliardième... Et une telle horloge atomique qui passerait à travers un mur de domaine se mettrait à battre à une fréquence différente de sa fréquence initiale. Lorsque la Terre passerait au travers d'un tel défaut topologique, c'est tout le réseau des horloges du système GPS qui serait modifié. Et l'ordre dans lequel les différentes horloges seraient affectées devrait révéler la mouvement de la Terre par rapport au mur de domaine. L'utilisation de différents types d'horloges atomiques devrait en outre permettre, toujours selon Derevianko et Pospelov, d'étudier la nature des interactions qui auraient lieu entre défauts topologiques et matière ordinaire.
Une telle "matière noire" est estimée devoir être stationnaire, or comme la vitesse de la Terre dans sa rotation autour du centre galactique est de l'ordre de 300 km/s, c'est la vitesse à laquelle on devrait s'attendre à trouver ces défauts topologiques (s'ils existent !). Tous les signaux entre horloges atomiques qui ne se propageraient pas à cette vitesse pourraient ainsi être exclus, ce qui permet d'obtenir un signal pour le moins robuste...
Il se pourrait aussi que les détecteurs d'ondes gravitationnelles puissent être impactés par de tels passages de défauts topologiques. Associer les grands détecteurs d'ondes gravitationnelles VIRGO et LIGO à des mesures d'horloges des satellites du GPS serait une méthode pour le moins innovante, en tout cas jamais essayée...
Toutes les idées sont bonnes à prendre en attendant la première preuve irréfutable d'une explication à ce qu'on appelle la matière noire, à défaut d'autre chose... Celle-ci est pour le moins amusante, voire décoiffante.
Référence :
Hunting for topological dark matter with atomic clocks
A. Derevianko & M. Pospelov
Nature Physics (17 November 2014)
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