jeudi 17 décembre 2015

En quête des toutes premières galaxies

La quête des galaxies les plus lointaines possède un point commun avec celle des exoplanètes : elle semble apparemment sans fin. Les records sont battus mois après mois au fil des observations toujours plus poussées et raffinées. Voilà donc la toute dernière fournée en date, qui offre grâce aux télescopes Hubble et Spitzer pas moins de 22 galaxies candidates situées à plus de 13 milliards d’années-lumière. La plus lointaine de ce groupe se situe à environ 13,33 milliards d’années-lumière, soit un décalage vers le rouge z égal à 10.


L'amas de galaxies MACS J0416-2403 entouré de galaxies primordiales
amplifiées par lentille gravitationnelle (L. Infante et al. ApJ, 815)


L’équipe internationale qui publie ces observations dans The Astrophysical Journal a recherché exclusivement des galaxies ayant un décalage vers le rouge supérieur à 7, ce qui correspond à une distance supérieure à 13 milliards d’années-lumière, dans le grand relevé Hubble Frontier Field (HFF) et le champ fourni par le puissant effet de lentille gravitationnelle produit par l’amas de galaxies MACS J0416-2403. Les décalages spectraux vers le rouge ont pu être déterminés par photométrie grâce aux deux télescopes et sont très robustes. 6 galaxies parmi ces 22 ont un redshift (décalage vers le rouge) supérieur à 6 (soit une distance supérieure à 13,26 milliards d’années-lumière).
La masse moyenne des 22 galaxies ultra-lointaines et ultra-jeunes observées est de 275 millions de masses solaires tandis que leur taux moyen de formation d’étoiles est de 1,8 masses solaires par an. Les astrophysiciens parviennent, à partir de la masse et du taux de formation d’étoiles observés, à déterminer une limite sur l’âge de ces galaxies telles que nous les voyons : elles ont moins de 300 millions d’années, ce qui veut dire qu’elles ont commencé à se former (au plus tôt) seulement 200 millions d’années après la singularité initiale.
L’effet de lentille gravitationnelle qui a été utilisé pour découvrir ces très lointaines galaxies a pour effet d’amplifier le signal lumineux, ce qui permet d’atteindre des objets de très faible luminosité qui seraient inobservables sinon. Dans le cas de la galaxie la plus lointaine découverte ici, que les astrophysiciens sud-américains de la collaboration ont nommée Tayna (« première née » dans la langue Aymara), sa luminosité intrinsèque n’est que de 4% de celle de note galaxie. C’est l’objet le moins lumineux qui a pu être observé à cette distance jusqu’à aujourd’hui. L’effet de lentille gravitationnelle de l’amas MACS J0416-2403 produit sur elle une multiplication de la luminosité observée d’un facteur 20…
La découverte de galaxies ultra-lointaines, les toutes premières galaxies, formées quelques centaines de millions d’années après le Big Bang et observées lorsqu’elles n’ont que 400 à 500 millions d’années s’est énormément accélérée en quelques années seulement. En 2008, on ne connaissait qu’une poignée de galaxies situées à un z compris entre 7 et 8 (entre 13 et 13,16 milliards d’années) et aucune avec un z supérieur à 8. Aujourd’hui, on en connait environ 300 autour de z=7, 100 autour de z=8 et déjà une dizaine aux environs de z=10 (13,33 milliards d’années-lumière).
Distance (em milliards d'AL) en fonction du décalage vers le rouge z
(avec H0=70 km/s/Mpc, Omega_M=0,27, Omega_Lambda=0,73)
Cet accroissement des découvertes a été rendu possible grâce à la mise en place d’une nouvelle instrumentation sur le télescope Hubble lors de sa dernière maintenance, notamment le Wide Field Camera 3/Infrared Channel (WFC3/IR) qui permet d’imager des grands champs dans le proche infra-rouge. C’est aussi grâce à la mise en commun de ces données avec celles du télescope infra-rouge Spitzer et son imageur IRAC (Infra Red Array Camera). Mais les télescopes seuls, si performants soient-ils, ne peuvent pas faire grand-chose face à l’extrême faiblesse de la luminosité de ces galaxies ultra-lointaines. C’est l’exploitation toujours plus affinée du phénomène de lentille gravitationnelle des amas de galaxies massifs et l’amplification de lumière associée qui a réellement permis d’explorer les régions les plus reculées de l’Univers. Et pour connaître le plus précisément possible l’effet des lentilles gravitationnelles, des modèles de lentilles doivent être construits, basés sur des observations, qui sont pour la plupart le fruit là encore du télescope spatial Hubble. Ces dernières années ont vu notamment la mise en œuvre de larges relevés sur les amas de galaxies comme le CLASH (Cluster Lensing And Supernova survey with Hubble) et le HFF (Hubble Frontier Field). Si l’espace-temps élastique dessiné par la gravitation, découvert par Albert Einstein il y a 100 ans, n’était pas tel qu’il est, nous connaitrions encore très mal les galaxies primordiales.
Toutes ces observations de galaxies, combinées avec d’autres observations comme les émissions de la raie Lyman-alpha de l’hydrogène suggèrent que la période de réionisation du milieu intergalactique, produite par l’apparition des premières étoiles dans les galaxies naissantes, était quasi terminée à un redshift z de 6 (soit il y a 12,86 milliards d’années). Cette réionisation du milieu se serait déroulée graduellement entre z=10 et z=6. Le fait que l’équipe menée par Leopoldo Infante ne trouve pas de galaxies ayant un redshift plus grand que 10 tend à conforter cette image.
Les galaxies situées à un décalage vers le rouge de 10, id est à 13,3 milliards d’années-lumière, seraient bien les toutes premières galaxies émergeant de l’âge sombre cosmique.


Source :
Young Galaxy Candidates in the Hubble Frontier Fields. II. MACS J0416–2403
L. Infante et al.
The Astrophysical Journal, Volume 815, Number 1 (2 december 2015)

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