jeudi 3 décembre 2015

L’astrophysique nucléaire à l’épreuve du calcul

Une méthode de calcul révolutionnaire vient de montrer sa puissance à calculer ab initio (à partir des équations) comment se collisionnent deux noyaux d’hélium (des particules alpha). Cette réaction nucléaire est la réaction fondamentale qui permet aux étoiles de produire leurs premiers noyaux lourds : carbone, puis oxygène. C’est aussi l’une des sources primordiales de fusion nucléaire qui va diriger le destin des étoiles ou leur fin cataclysmique ; elle doit à ce titre être la mieux connue possible.



Malgré l’importance de cette réaction nucléaire entre particules alpha pour l’astrophysique, les processus qui y sont impliqués n’ont jamais pu être facilement appréhendés par le calcul depuis les années 1950. Chaque particule alpha est en effet composée de deux neutrons et deux protons, donnant ainsi un problème à 8 corps, qui interagissent entre eux par la force nucléaire forte (au sein de la particule alpha) et par la force électromagnétique (entre chaque particule alpha). Le temps de calcul requis dans les approches classiques de calcul évolue de façon exponentielle avec le nombre de particules impliquées (8 ici).

Schéma du processus triple-alpha de fusion de l'hélium (adapté de Nature)
La nouvelle méthode de calcul développée par l’équipe américano-allemande menée par Serdar Elhatisari,
de l’université de Bonn, repose sur des simulations Monte Carlo appliquant les équations de champs effectifs des interactions des quarks et des gluons dans un réseau spatio-temporel à 4 dimensions. Elle leur permet de travailler avec des temps de calculs qui n’augmentent qu’en fonction du carré du nombre de particules impliquées. Cela permet de produire des résultats sur l’interaction alpha-alpha avec beaucoup plus de détails en beaucoup moins de temps que ce qui était imaginable il y a quelques années encore. Ce modèle théorique de champs effectifs lie les interactions des nucléons (protons et neutrons) à la chromodynamique quantique (dirigeant l’interaction nucléaire forte) en les décrivant comme une somme de termes en nombre infini organisés selon leur importance, dans laquelle un grand nombre de ces termes peuvent être négligés. Le cœur de la méthode calculatoire revient à transformer un problème de dynamique à 8 corps en un problème à 2 corps. Serdar Elhatisari et ses collègues ont utilisé près de 2 millions d’heures de calcul sur des supercalculateurs massivement parallèles pour parvenir à leur résultat sur les propriétés de la collision alpha-alpha.

Le processus conduisant à la production de carbone est un processus appelé helium burning (combustion de l’hélium), il est relativement rare au cœur des étoiles. Il est aussi appelé le processus triple-alpha. C’est un processus qui se déroule en plusieurs étapes successives. Deux noyaux d’hélium (ou particules alpha) se rencontrent et fusionnent pour donner un noyau de béryllium-8, composé de 4 protons et 4 neutrons. Cette fusion est accompagnée par l’évacuation d’énergie sous forme de rayons gamma. Mais le béryllium-8 est un noyau extrêmement instable, radioactif. Il se désintègre pour redonner deux noyaux d’hélium, avec une demi-vie (la durée au bout de laquelle la moitié des noyaux se sont désintégrés) de 82 milliardièmes de milliardièmes de secondes (82. 10-18 s) !... Mais pour former du carbone, il faut que le noyau de Be-8 rencontre un nouvel alpha, avant de s’être désintégré. Le processus revient ainsi à la collision presque simultanée de trois particules alpha. Une fois que le Be-8 a fusionné avec un alpha, on obtient du carbone-12, qui est, lui, très stable, et pourra ensuite attendre le temps qu’il faudra pour fusionner à son tour avec un nouvel alpha et donner un noyau d’oxygène-16, tout en évacuant toujours de l’énergie sous forme de rayonnement gamma, qui finit par chauffer l’enveloppe stellaire de l’étoile géante dans laquelle se déroulent ses réactions de fusion nucléosynthétiques.
Durées des différentes étapes de combustion d'une étoile supergéante
et structure interne en pelure d'oignon résultante.
La probabilité de fusion des noyaux d’hélium est faible notamment car ils sont chargés positivement (2+) et se repoussent naturellement. Il faut donc une grande température pour que ces noyaux acquièrent une grande vitesse, ou énergie cinétique, et puissent espérer s’approcher suffisamment près les uns des autres pour fusionner. C’est aussi pour cela qu’il est si difficile de reproduire et d’étudier ce genre de réactions en laboratoire sur Terre. Cette difficulté, associée aux difficultés des méthodes de calcul antérieures, font que les ratios carbone/oxygène des étoiles géantes et supergéantes sont connus seulement avec une grosse incertitude, qui se répercute sur tous les modèles de nucléosynthèse stellaire.

La capture d’alpha par le carbone va en effet déterminer le ratio final carbone/oxygène du processus de combustion de l’hélium et affectera ensuite toute la suite des réactions impliquant carbone, néon, oxygène et silicium. Cette réaction est aussi, de ce fait, à la base des modèles physiques que les astrophysiciens développent pour comprendre les supernovas Ia qui impliquent des naines blanches à carbone-oxygène. Le calcul le plus précis possible de la collision des particules alpha est donc crucial. Et il ne s’arrête pas aux « simples » particules alpha, mais doit aussi être effectué jusqu’aux petits noyaux comportant l’équivalent de plusieurs alphas.
A partir de leurs premiers résultats sur l’interaction alpha-alpha, les chercheurs sont désormais confiants dans leur possibilité de recréer dans un avenir proche les réactions de capture alpha du carbone voire de l’oxygène. Mais des améliorations sont encore nécessaires en ajoutant par exemple le terme suivant de l’équation (le quatrième terme), ainsi qu’en étudiant la dépendance de la taille des mailles d’espace-temps utilisée dans les calculs. Une extension à la dynamique à trois corps devra également être développée pour pouvoir appliquer la méthode au processus triple-alpha et la production du carbone-12.

La méthode de calcul développée par l’application de la chromodynamique quantique en réseau d’espace-temps semble néanmoins si puissante que les physiciens estiment pouvoir l’appliquer également sur des systèmes plus complexes comme des systèmes atomiques froids à quelques corps ou à des systèmes hadroniques comme les collisions neutrons-hypérons, dont les caractéristiques permettraient de savoir si des particules étranges (contenant un quark strange) peuvent exister au cœur des étoiles à neutrons, là où la matière nucléaire se trouve dans ses phases les plus extrêmes.

Source :

Ab initio alpha–alpha scattering
S. Elhatisari et al.
Nature 528, 111–114 (03 December 2015)


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