La première mesure des variations à petite échelle du gaz intergalactique vient d’être publiée. Pour arriver à ce résultat sur la matière très diffuse qui peuple le « vide » cosmique, les astronomes ont observé l’atténuation de paires de quasars distants.
Entre les galaxies, en dehors des filaments de matière qui lient les amas de galaxies, il existe aussi du gaz, en très faible quantité, avec une densité moyenne de 1 atome par mètre cube. Par endroits, le gaz intergalactique est plus dense et peut former des structures diffuses. L’atténuation de lumière lointaine reste le meilleur moyen pour investiguer ce gaz intergalactique, comme nous en avons parlé encore récemment au sujet du gaz formant le halo de notre galaxie. Alberto Rorai et ses collègues allemands et américains se sont intéressés au gaz intergalactique situé à 11 milliards d’années-lumière et ont donc utilisé des quasars situés un peu plus loin encore pour observer ce qu’on appelle la forêt Lyman alpha, la même raie d’absorption de l’hydrogène, vue avec différents décalages spectraux qui correspondent à autant de sources de gaz situées à différentes distances entre le quasar sonde et nous.
Mais un seul quasar ne permet d’obtenir qu’un seul point. Pour tenter de cartographier des petites variations de la densité du gaz intergalactique, il faut alors plusieurs quasars, qui soient rapprochés en terme de distance angulaire. C’est ce que les chercheurs ont utilisé en sélectionnant des quasars qui apparaissent en paires et en les observant avec le télescope de 10 m de l’Observatoire Keck. Ils parviennent ainsi à quantifier les variations de la quantité de gaz intergalactique sur une échelle de la taille d’une galaxie, ce qui est remarquable à cette distance.
Alors que les baryons du milieu intergalactique tracent les fluctuations de la matière sombre à l’échelle du mégaparsec, aux plus petites échelles (100 kpc), la distribution du gaz dépend fortement de sa température (environ 10000 K) qui, via la pression, contrecarre la gravité et empêche son effondrement. Le gaz intergalactique est alors lissé par la pression aux petites échelles, ce qui n’est pas le cas de la matière sombre qui, sans pression, peut s’agglomérer.
L’un des plus gros challenges auxquels a dû faire face Alberto Rorai pour cette étude publiée aujourd’hui dans la revue Science, et qui a fait l’objet de sa thèse, a été le développement des outils mathématiques et statistiques à même de quantifier les infimes différences observées dans les spectres des paires de quasars.
L’équipe a ensuite confronté ses observations avec des simulations hydrodynamiques de la formation des structures cosmiques. Ces fluctuations à petite échelle sont d’autant plus intéressantes qu’elles reflètent l’état du gaz intergalactique, et notamment sa température et sa pression, des données très importantes à bien connaître à cette époque, quelques milliards d’années après le Big Bang, car elles sont intimement liées à l’histoire thermique du gaz, et principalement à la phase de réionisation qui fut induite par l’apparition des première étoiles.
Les observations sont en accord avec les simulations, et confirment donc le paradigme théorique décrivant l’échauffement du milieu par photoionisation par le rayonnement ultra-violet des premières étoiles.
Référence
Measurement of the small-scale structure of the intergalactic medium using close quasar pairs
Alberto Rorai et al.
Science Vol. 356, Issue 6336 (28 Apr 2017)
Illustration
Schéma de la méthode utilisée dans cette étude pour cartographier les structures à petite échelle de la toile cosmique du milieu intergalactique (J. Oñorbe / MPIA)
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