02/03/18

Détection du premier pulsar milliseconde sans pulsation radio


Einstein@Home est un projet de science collaborative dans laquelle les personnes intéressées offrent du temps de calcul de leur ordinateur personnel pour faire des analyses de données astrophysiques. Ce programme vient de permettre la découverte du premier pulsar milliseconde qui n'émet aucun signal radio pulsé, mais des rayons gamma pulsés.




Les pulsars millisecondes sont des vieilles étoiles à neutron en rotation rapide qui tournent sur elles-mêmes plus de 100 fois par seconde. Jusqu'à aujourd'hui, tous les pulsars de ce type ont été identifiés grâce au faisceau d'ondes radio périodique qu'ils émettent, qui signe leur rotation. Certains d'entre eux exhibent en plus de leur signal radio, une pulsation de rayons gamma de même période. 
Colin Clark (Max Planck Institut für Gravitationphysik) et ses nombreux collaborateurs ont cherché des pulsars qui sont invisibles en ondes radio mais visibles en rayons gamma. Ils publient aujourd'hui leur résultat, fructueux, dans Science Advances. Ils ont analysé de vastes données du télescope spatial Fermi-LAT, spécialisé dans la détection des rayons gamma de haute énergie. Mais pour analyser tout le ciel gamma, il faut de la puissance de calcul, et ils se sont ainsi tournés vers les outils de la science participative et le projet Einstein@Home, qui offre la puissance de plusieurs dizaines de milliers d'ordinateurs personnels à la disposition des chercheurs, du moins partiellement, les calculs s'exécutant en tâche de fond. Clark et ses collègues ont cherché la présence de pulsations dans des sources gamma non encore identifiées comme telles par Fermi-LAT. 
Les chercheurs, grâce aux ordinateurs des citoyens volontaires, ont trouvé deux pulsars millisecondes qui produisaient une pulsation de leur signal gamma. Ce n'est pas la première fois que des pulsars émettant des rayons gamma sont détectés, Fermi-LAT en a déjà trouvé près de 200 depuis sa mise en service en 2008, mais c'est ici le premier pulsar milliseconde qui est détecté uniquement en rayons gamma, sans contrepartie radio. Il faut d'ailleurs préciser que d'autres pulsars, au nombre de 53, ont été trouvés par leur pulsation gamma seule avec Fermi-LAT mais il s'agissait toujours de pulsars jeunes, de période relativement longue.

L'une des raisons pour lesquelles les pulsars âgés (pulsars millisecondes) sont plus facilement détectables par leurs ondes radio que par leur rayonnement gamma est qu'ils ont généralement un faisceau radio plus large, qui se retrouve visible sur une plus grande ouverture angulaire, donc croisant plus souvent la ligne de visée avec la Terre. Et plus la fréquence de pulsation est élevée, plus le télescope Fermi a du mal à les détecter, car une plus grande précision est nécessaire pour procéder aux corrections de barycentre sur les temps d'arrivée des photons pour tenir compte de l'effet Doppler induit par le mouvement de télescope sur son orbite.
La localisation d'une source gamma non identifiée est limitée par la résolution angulaire assez faible de Fermi-LAT (quelques minutes d'arc), elle est beaucoup moins bonne que ce qui est théoriquement nécessaire pour détecter les pulsations gamma des pulsars millisecondes (de l'ordre de la seconde d'arc). L'astuce consiste donc à scanner des centaines de milliers de zones couvrant la région de localisation d'une seule source potentielle, ce qui nécessite des moyens de calculs très importants.
Après avoir identifié ces deux pulsars millisecondes émetteurs gamma : PSR J1035−6720 et PSR J1744−7619, avec des fréquences respectives de 348 et 213 Hz (soit des périodes de 2,9 ms et 4,7 ms), les astrophysiciens ont cherché si ces pulsars avaient une contrepartie radio, en utilisant le radiotélescope australien Parkes. Ils trouvent une très faible émission pour PSR J1035−6720, et aucun signal radio pour PSR J1744−7619.
Les deux candidats pulsars ont par ailleurs été observé par la suite en rayons X avec le télescope spatial XMM-Newton, qui a permis de trouver des rayons X caractéristiques pour les deux objets, confirmant leur nature de pulsar milliseconde.

A partir de l'émission gamma d'un pulsar, les spécialistes peuvent calculer ce que devrait être l'angle d'émission du rayonnement radio, et donc savoir si le cône d'émission doit couper la ligne de visée ou non. Le modèle fonctionne pour PSR J1035−6720, prédisant bien que le rayonnement radio devait être observable, mais pour PSR J1744−7619, le modèle d'émission prédit aussi que nous devrions croiser son émission radio, alors que nous ne la voyons pas. Les chercheurs annoncent donc l'existence d'une tension entre le modèle d'émission des pulsars millisecondes et l'observation. A moins que PSR J1744−7619 soit doté d'une émission radio intrinsèque extrêmement faible, pour une raison qui reste à découvrir.


Source

Einstein@Home discovers a radio-quiet gamma-ray millisecond pulsar
Colin J. Clark et al.
Science Advances  28 Feb 2018: Vol. 4, no. 2, eaao7228 (Open Access)


Illustrations

1) Carte du ciel gamma produite par Fermi-LAT avec la localisation des deux nouveaux pulsars millisecondes émetteurs gamma (Knispel/Clark/Max Planck Institute for Gravitational Physics/NASA/DOE/Fermi LAT Collaboration)

2) Vue d'artiste du télescope Fermi-LAT (NASA)

2 commentaires :

Anonyme a dit…

Tout d'abord merci pour votre blog si parfaitement tenu! D'habitude, vous avez l'art de nous expliquer en quoi telle découverte est intéressante, en quoi elle bouscule les modèles existants. Dans cet article, en quoi cette découverte est étonnante? Remet elle en cause un aspect fondamental des pulsars millisecondes?
Antoine

Dr Eric Simon a dit…

Mais je ne fais pas que dans la grande "découverte qui bouscule les modèles" ou nécessairement étonnante, je traite aussi de "petites" découvertes (si tant est qu'il y en a de petites).
Ici, il s'agit de la toute première détection d'un pulsar milliseconde uniquement par ses pulsations gamma. C'est une prouesse de traitement de données qui n'aurait pas été possible sans utiliser des dizaines de milliers de coeurs, poussant les capacités du télescope Fermi-LAT dans ses derniers retranchements, si on veut.
J'aurais pu ajouter en conclusion, il est vrai, que l'émission gamma des pulsars millisecondes est importante à bien connaître dans l'optique de la résolution de l'émission gamma du centre galactique qu'on soupçonne très fortement d'être dûe à une grande population de pulsars de ce type...