Ce sont pas moins de quatre articles qui sont consacrés par Nature cette semaine aux résultats de la sonde JUNO explorant les mystères de Jupiter. La sonde vient d'effectuer son 10ème survol depuis son arrivée en orbite jovienne le 4 juillet 2016. Ces résultats, plus étonnants les uns que les autres, concernent les couches profondes de Jupiter, son atmosphère et les structures géométriques visibles à ses deux pôles.
Depuis son insertion en orbite, JUNO parcourt une orbite polaire très allongée, en environ 53 jours. Ses trajectoires l'amènent à des survols jusqu'à environ 4000 km du sommet des nuages de la géante gazeuse.
Grâce au suivi des accélérations de la sonde, les spécialistes peuvent mesurer le champ gravitationnel de Jupiter avec une précision inédite et en déduire la distribution des masses à l'intérieur des couches profondes. Ils peuvent ainsi construire une cartographie en trois dimensions de la structure interne de la géante.
Luciano Iess (Sapienza Universita di Roma) et ses collègues ont découvert que le champ gravitationnel de Jupiter variait assez fortement d'un pôle à l'autre. L'origine de cette asymétrie est encore mal connue mais ils observent qu'elle augmente en fonction des écoulements atmosphériques internes. Sur une planète gazeuse, une telle asymétrie devrait provenir d'écoulements profonds. Et sur Jupiter, les jet streams qui circulent vers l'Est ou vers l'Ouest sont asymétriques Nord/Sud de façon similaire. Plus les jets sont profonds, plus ils contiennent de masse et sont susceptibles d'agir sur le champ gravitationnel. L'asymétrie du champ gravitationnel permet donc d'obtenir une information sur l'extension en profondeur de ces jets streams.
Afin de déterminer précisément quelle est la profondeur de ces écoulements massifs, Yohai Kaspi (Weizmann Institute of Science) et ses collaborateurs ont analysé les harmoniques gravitationnelles impaires des données Doppler de la sonde. Ils trouvent que ces jet streams s'étendent à grande profondeur dans les couches de Jupiter, jusqu'à au moins 3000 km. Ils concluent que la masse de l'atmosphère dynamique (les zones qui subissent des mouvements de type météorologique) correspond à environ 1% de la masse totale de Jupiter, ce qui fait rien de moins que 3 fois la masse de la Terre.
Tristan Guillot (Observatoire de Côte d'Azur) et ses collaborateurs, eux, ont analysé les harmoniques gravitationnelles paires. Ils trouvent une chose vraiment étonnante : en dessous d'une profondeur de 3000 km, Jupiter tourne quasi comme un corps solide! Ils montrent également qu'il existe une zone de transition aux environs de 3500 km de profondeur, où les structures atmosphériques changent fortement. Ainsi, c'est 96% de Jupiter qui montre une rotation de corps rigide, alors qu'elle est théoriquement composée d'un mélange fluide dense d'hydrogène et d'hélium. Et des résultats antérieurs de JUNO de juin dernier avaient indiqué qu'il n'y avait pas de cœur solide en dessous de cette enveloppe fluide. Les prochains survols pourront peut-être éclaircir ce petit mystère.
En attendant, cette caractéristique a des implications sur d'autres planètes et au delà. Les chercheurs estiment par exemple que la zone externe, celle qui montre une rotation différentielle, devrait être au moins 3 fois plus profonde sur Saturne et en revanche beaucoup moins profonde sur des exoplanètes plus massives que Jupiter ou des naines brunes.
Mais c'est peut-être le quatrième article, signé par l'équipe de Alberto Adriani (INAF-Istituto di Astrofisica e Planetologia Spaziali) qui offre les plus belles images de Jupiter grâce à l'imagerie visible et infra-rouge des deux pôles de la géante gazeuse obtenue avec l'imageur JIRAM (Jovian Infrared Auroral Mapper) de JUNO. L'imagerie en infra-rouge possède l'avantage de pouvoir directement voir les structures atmosphériques jusqu'à une profondeur de 70 km environ.
Et les images des pôles de Jupiter, issues des cinq premiers survols de JUNO, sont bluffantes et totalement inédites. Le pôle Nord de Jupiter est orné de 9 cyclones ayant chacun un diamètre compris entre 4000 et 4600 km : une cyclone situé au centre (autour de l'axe de rotation), entouré par 8 cyclones à peine plus petits, formant une structure octogonale et qui lui tournent autour! Quant au pôle Sud, on retrouve le même type d'arrangement mais cette fois ci avec 5 cyclones circumpolaires un peu plus gros (entre 5600 et 7000 km de diamètre). Les vents qui y règnent atteignent 350 km/h. Les chercheurs ne savent pas du tout comment ces cyclones ont évolué pour arriver à former ces structures et surtout comment ils peuvent persister de nombreux mois d'affilée sans fusionner entre eux alors qu'ils sont en contact les uns avec les autres.
Cette configuration cyclonique est sans précédent, même sur Saturne, où une structure cyclonique hexagonale unique avait été observée par Cassini sur chacun de ses pôles. Les astronomes savent que les cyclones peuvent migrer vers les pôles à cause de l'effet Coriolis-β, dans lequel les vertex cycloniques glissent naturellement vers l'axe de rotation de la planète, mais le processus menant à des structures polygonales reste inconnu.
La conclusion de ces résultats très étonnants de JUNO est que Jupiter est bien différente de ce que l'on pensait, et probablement, que les différentes planètes géantes gazeuses sont tout sauf similaires. JUNO va effectuer son 11ème survol le 1er avril prochain, il lui en restera ensuite encore plus du double à effectuer d'ici la fin de sa mission prévue en 2021. Inutile de dire que cette moisson de résultats n'est qu'une mise en bouche.
Sources
Measurement of Jupiter’s asymmetric gravity field
L. Iess et al.
Nature. Vol. 555, March 8, 2018, p. 220
Jupiter’s atmospheric jet streams extend thousands of kilometres deep.
Y. Kaspi et al.
Nature. Vol. 555, March 8, 2018, p. 223
A suppression of differential rotation in Jupiter’s deep interior.
T. Guillot et al.
Nature. Vol. 555, March 8, 2018, p. 227
Clusters of cyclones encircling Jupiter’s poles
A. Adriani et al.
Nature. Vol. 555, March 8, 2018, p. 216
Illustrations
1) Pôle Nord de Jupiter imagé en infra-rouge par JUNO (NASA/JPL-Caltech/SwRI/ASI/INAF/JIRAM)
2) Vue globale avec l'imageur JunoCam (NASA/JPL-Caltech/SwRI/MSSS)
3) Pôle Sud de Jupiter imagé en infra-rouge par JUNO (NASA/JPL-Caltech/SwRI/ASI/INAF/JIRAM)
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