C'est une nouvelle fois grâce aux radiotélescopes de ALMA qu'une observation inédite a pu être effectuée : l'éjection d'un vent de gaz moléculaire par une galaxie la plus lointaine à ce jour, située dans l'Univers âgé de moins de 2 milliards d'années. Les photons dont la longueur d'onde donne une signature sans équivoque de ce vent moléculaire ont mis 12 milliards d'années pour parvenir dans les antennes d'ALMA.
C'est Science qui publie cette belle observation cette semaine, Science qui nous avait privés d'astrophysique depuis un bon moment... Justin Spilker (Université du Texas) et ses collaborateurs américains, canadiens, français, allemands et chiliens souhaitaient étudier comment les galaxies régulent leur grossissement dans l'Univers jeune. Le cas des galaxies à bouffées de formation d'étoiles, qui peuvent produire jusqu'à plusieurs milliers d'étoiles par an est particulièrement utile à étudier de près. Pour ne pas brûler très vite leurs réserves de gaz, certaines galaxies de ce type doivent éjecter d'une manière ou d'une autre une partie de leur gaz moléculaire (le gaz qui est à même de se condenser en étoiles) dans leur halo, qui pourra plus tard "retomber" vers le centre de la galaxie pour former de nouvelles étoiles.
Jusqu'à aujourd'hui, les astrophysiciens n'étaient pas encore parvenus à observer directement de tels processus d'éjection de gaz dans l'Univers jeune. Justin Spilker et son équipe n'ont pas seulement profité des performances de détection uniques au monde du réseau ALMA (Atacama Large Millimeter/Submillimeter Array), mais ils ont également exploité le fait que la galaxie visée, nommée SPT2319-55 (qui avait été trouvée avec le South Pole Telescope), subit un effet de lentille gravitationnelle par une grosse galaxie qui se trouve presqu'exactement sur la ligne de visée. Cet effet de lentille à pour conséquence d'amplifier artificiellement la luminosité radio de SPT2319-55. Les caractéristiques du vent moléculaire que les astronomes observent en infra-rouge (du gaz hydroxyle : OH) sont très similaires en taille, en vitesse et en masse que ce qui peut être observé sur des galaxies à bouffée de formation d'étoiles beaucoup plus proches de nous dans l'espace-temps. Mais là, c'est la première fois que l'on voit ce type de vent moléculaire aussi loin, aussi tôt dans l'histoire cosmique.
Le vent moléculaire émanent de SPT2319-55 a une vitesse de presque 800 km/s, et semble apparaître par à-coups plutôt que dans un flot régulier. Son intensité est telle que la quantité de gaz qui s'échappe ne permet plus à la galaxie de produire de nouvelles étoiles.
Ce vent moléculaire, d'après les chercheurs, est probablement généré par deux mécanismes qui induisent des fortes ondes de pression : d'une part des nombreuses explosions de supernovas, explosions des premières étoiles formées, très massives et donc à très courte durée de vie, et d'autre part les jets polaires d'un trou noir supermassif qui est en train d'absorber de grandes quantités de gaz et dont l'accrétion autour produit ces jets de matière.
SPT2319-55 est donc la première galaxie aussi lointaine à montrer un tel phénomène d'autorégulation de sa production d'étoiles. Spilker et ses collègues vont maintenant chercher à en trouver d'autres pour savoir si le phénomène est commun à toutes les galaxies.
Source
Fast Molecular Outflow from a Dusty Star-Forming Galaxy in the Early Universe
Justin Spilker et al.
Science Vol. 361, Issue 6406, (07 September 2018)
Illustration
Image de ALMA (cercle) montrant les zones d'émission de la molécule d'hydroxyle, traçant la localisation du gaz, la forme en lobes est dûe au phénomène de lentille gravitationnelle. L'image de fond, par le télescope du Blanco Telescope Dark Energy Survey, indique la localisation de la galaxie SPT2319-55 (ALMA (ESO/NAOJ/NRAO), J. Spilker/UT-Austin; NRAO/AUI/NSF, S. Dagnello; AURA/NSF)
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