Le record du photon gamma les plus énergétique détecté vient d'être battu grâce au détecteur Tibet AS-gamma : 450 TeV (téra-électronvolts). Ce photon gamma de l'extrême provient d'un pulsar situé au centre d'une nébuleuse très connue : la nébuleuse du Crabe. Une étude à paraître dans Physical Review Letters.
Plus qu'une nébuleuse, la nébuleuse du Crabe (M1) est ce qu'on appelle un résidu de supernova, l'une des plus ancienne supernova dont l'Humanité à gardé une trace de son observation en 1054. Le pulsar situé au centre a été détecté pour la première fois par ses ondes radio pulsées à la fin des années 1960. Et il émet également des photons gamma à l'occasion et des photons gamma très très énergétiques...
Pour comprendre comment des photons aussi énergétiques de l'ordre de 100 TeV peuvent être produits, il faut se souvenir que l'explosion d'une supernova comme celle de 1054, une supernova de type II, à effondrement de coeur, peut produire les conditions pour accélérer des particules chargées (électrons, protons, ou ions) jusqu'à des très hautes énergies, par un jeu subtil entre champs magnétiques et ondes de choc, une série d'accélérations successives très efficaces. Par la suite, les électrons accélérés jusqu'à plusieurs TeV peuvent transférer leur énergie cinétique à des photons de lumière "classique" qui se trouvent sur leur trajet par un processus qu'on appelle l'effet Compton inverse : une diffusion élastique d'un électron sur un photon. Se faisant, un photon de lumière visible se retrouve boosté en photon gamma. Vous connaissez peut-être mieux l'effet Compton "normal", que l'on apprend dans les cours de physique et qui est l'un des trois processus d'interaction des photons gamma avec la matière, un effet découvert par Arthur Compton en 1923.
Et quand un photon gamma de 100 TeV qui a voyagé depuis le pulsar du Crabe sur 6500 années-lumière vient s'écraser sur Terre, il est en fait arrêté par l'atmosphère, tout énergétique qu'il est. Ces photons ultra-énergétiques interagissent en produisant de grandes gerbes de particules secondaires (électrons, positrons, muons,...) et ce sont ces particules secondaires qui sont détectées par les détecteurs comme Tibet AS-gamma. Ce détecteur de gerbes atmosphériques doit avoir une très grande surface de détection, il est composé de près de 533 unités de détection à scintillation qui sont installées sur un terrain de 65000 mètres carrés à Yangbajing au Tibet depuis 1999. Les caractéristiques des particules détectées formant la gerbe atmosphérique permet ensuite de déduire quelle était l'énergie du photon gamma à son origine.
Et pour séparer les gerbes atmosphériques très similaires qui sont produites par des rayons cosmiques énergétiques et non par des photons gamma, l'astuce de la collaboration Tibet AS-gamma a été de mesurer simultanément le flux de muons en sous-terrain avec des détecteurs de type Cherenkov (du même type que HAWC ou Auger). Comme le nombre relatif de muons qui sont produits dans une gerbe atmosphérique est différent si la particule source est un photon gamma ou une particule chargée (rayon cosmique), les chercheurs peuvent faire la différence et affirmer que telle gerbe de particules a bien été produite par un photon gamma ou non.
En trois ans d'enregistrement de données, les chercheurs japonais et chinois menés par M. Amenomori (Université de Hirosaki, Japon) observent 24 photons gamma ultra-énergétiques de plus de 100 TeV, ce qui installe un nouveau record d'énergie pour des photons gamma provenant d'une source astrophysique, et donc pour des photons gamma tout court. Un des photons gamma extrêmes détectés avait même une énergie de 450 TeV!
Il doit évidemment exister une limite à l'énergie que des photons peuvent atteindre au voisinage d'un résidu compact de supernova, mais il semble que cette limite ne soit pas encore atteinte. La recherche des photons gamma les plus énergétiques et de cette fameuse limite supérieure aidera les astrophysiciens à déchiffrer les détails des processus d'accélération des particules chargées dans les grands accélérateurs cosmiques à côté desquels nos LHC et consorts sont assez ridicules.
Source
First detection of photons with energy beyond 100 TeV from an astrophysical source
M. Amenomori et al.
sous presse dans Physical Review Letters (july 2019)
Illustrations
1) Vue d'ensemble du réseau de détecteurs de Tibet AS-Gamma (collaboration Tibet AS-Gamma)
2) Schéma de la production de gerbes de particules par l'interaction d'un photon gamma primaire de 1 TeV et de 100 TeV (Université de New Mexico)
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