27/11/19

Découverte du plus gros trou noir stellaire de notre galaxie : 68 masses solaires


Un trou noir de 68 masses solaires vient d'être identifié dans notre galaxie grâce à la mesure de l'évolution de la vitesse d'une étoile qui lui tourne autour. La présence d'un tel trou noir stellaire aussi massif est difficilement explicable dans une galaxie comme la nôtre. Les chercheurs chinois à l'origine de cette découverte publient leur résultat dans Nature.




On se souvient que les premières ondes gravitationnelles qui ont été détectées en septembre 2015 avaient signé la fusion de deux trous noirs de respectivement 29 et 36 masses solaires, qui avaient produit un trou noir résultant de 62 masses solaires. Mais cela se passait dans une galaxie lointaine, a priori peuplée de jeunes étoiles massives de première ou deuxième génération, qui peuvent donc être très massives et produire des trous noir de près de 10 masses solaires ou plus en explosant en supernova. Mais notre galaxie est ce qu'on appelle une galaxie à forte métallicité, ses étoiles sont principalement des étoiles de troisième génération qui comportent une quantité non négligeable d'éléments lourds (au delà de l'hélium, ce que les astronomes appellent des métaux). Et dans un tel environnement riche en métaux, les étoiles massives qui se forment ne peuvent pas rester très massives avant d'exploser : elles doivent produire de puissants vents et disperser de grandes portions de leur enveloppe gazeuse, à l'image d'étoiles comme Eta Carinae. La probabilité de trouver des trous noirs de 30 et a fortiori de 68 masses solaires dans notre galaxie est donc extrêmement faible.
C'est pourtant ce que Jifeng Liu (Académie des Sciences Chinoise) et ses collaborateurs viennent de trouver et dont ils publient la découverte dans Nature cette semaine.

La quasi totalité des trous noirs stellaires qui ont été détectés dans notre galaxie l'ont été grâce à l'émission X qu'ils produisent indirectement via leur disque d'accretion de matière au sein d'un système binaire. Tous ont une masse de quelques masses solaires, 15 tout au plus. Mais la théorie prédit que les trous noirs qui émettent des rayons X dans de tels systèmes binaires doivent être très minoritaires. La grande majorité est silencieuse car n'accrétant pas de gaz. La seule façon de débusquer ces trous noirs, dont la quantité dans notre galaxie est estimée à plusieurs dizaines de millions, c'est de mesurer le mouvement de l'étoile qui les accompagne. Les deux astres se tournant l'un autour de l'autre, la compagne est vue avec un mouvement anormal puisque l'autre partie du couple est invisible. La vitesse radiale d'une étoile, qui est la vitesse d'éloignement ou de rapprochement dans la ligne de visée, est relativement aisée à mesurer grâce aux décalages spectraux produits par la vitesse. 

L'étoile en question, nommée LB-1, se trouve à "seulement" 15000 années-lumière et les chercheurs chinois, européens et américains ont suivie sa raie d'émission Hα (hydrogène) avec les télescopes Lamost, Keck et Gran Telescopio Canarias durant près de 2 ans. Ils trouvent qu'elle tourne autour d'une masse invisible en 78,9 jours. C'est un système binaire éloigné, et la masse du second membre du couple que les astrophysiciens trouvent vaut 68 +-12 masses solaires. Cela ne peut évidemment être qu'un trou noir. 
Ce qui est notable, c'est la forme de l'orbite du couple : elle est très circulaire. Cela signifie qu'il est très improbable que le trou noir (ou l'étoile) ait été capturé en provenance d'ailleurs. Il se serait donc formé in situ, au sein du couple. Mais c'est là que ça se corse. 
Les astrophysiciens estiment que c'est tout de même possible, mais avec de sévères conditions. Il faut d'une part que la quantité de perte de masse par vent stellaire soit extrêmement réduite par un mécanisme qui reste à définir et que d'autre part la supernova qui se produit soit une supernova de type "instabilité de paires". Dans ce cas, une étoile de 200 masses solaires peut produire ce trou noir de 68 masses solaires.

Les chercheurs mentionnent également une alternative : le gros trou noir aurait pu être le produit d'une fusion de deux plus petits, ou de deux grosses étoiles, qui formaient donc une système triple au départ. On peut dès lors se demander si l'orbite finale serait restée circulaire dans le cas d'une fusion de deux des composantes du trio. Il semble que ce ne soit pas possible s'il s'agissait d'un couple de trous noirs d'une trentaine - quarantaine de masses solaires. En revanche, cela devient un peu plus possible si il y avait un trou noir et deux étoiles massives, le trou noir ayant dévoré entièrement l'étoile massive, et également si deux des trois compagnes étaient des étoiles très massives qui aurait fusionné puis se seraient effondrées en trou noir. Les astrophysiciens spécialistes des trous noirs ne manquent habituellement pas d'imagination. C'est heureux car il va falloir en trouver un peu pour donner une explication convaincante pour expliquer ce trou noir stellaire le plus massif connu à ce jour dans notre Galaxie!

Source

A wide star–black-hole binary system from radial-velocity measurements
Jifeng Liu et al
Nature volume 575 (27 november 2019)


Illustration

Vue d'artiste d'un couple binaire trou noir - étoile sans disque d'accrétion (ESO/L. Calçada/spaceengine.org)

5 commentaires :

Youx a dit…

Bonjour Eric,
Juste en mesurant le décalage spectral, ils arrivent à déterminer le rayon de l'orbite, son excentricité et l'angle sous lequel il est vu?
Il ne leur manque pas une information?
Une plus petite orbite, vue sous un angle plus important ne pourrait-elle pas présenter les mêmes décalages?
Vous dites aussi qu'à son âge, notre galaxie a du mal à produire des trous noirs stellaires aussi gros.
Mais avant d'être vieille, la galaxie a été jeune, non?

Dr Eric Simon a dit…

Il n'y a pas que des mesures spectrométriques, aussi des mesures photométriques. Mais globalement oui, l'ecentricité est mesurée précisément : e = 0.03 ± 0.01 et l'inclinaison, je cite in extenso : "The line profile is distinctly different from a simple double-horned profile for a Keplerian disk viewed at high inclinations. It shows a wine-bottle shape with multiple peaks in the line center, which correspond to substantial non-coherent scattering components from a disk viewed at low inclinations".

Et en fait, c'est la masse du trou noir qui fournit une estimation de l'inclinaison de l'orbite, ce qui confirme la forme du spectre en "bouteille de vin" : "Such a BH mass corresponds to an inclination of i ≈ 15◦–18◦, fully consistent with the wine-bottle shape of the Hα emission line"

Les auteurs calculent ce que ça donnerait pour la masse du trou noir pour différentes inclinaisons : 7.8/20/84/245 M⊙ pour des inclinaisons i = 60◦/30◦/15◦/10◦...

Nicolas a dit…

Je relance la question de Youx : Est-ce que ce TN aurait pu se former alors que notre galaxie était jeune ? Ce qui permettrait de simplifier les hypothèses quand à sa formation !

Dr Eric Simon a dit…

L'origine de ce trou noir, si ça en est vraiment un (de plus en plus de papiers (à trouver sur arxiv, liens ci-dessous) tendent à dire que la variation observée de la vitesse radiale n'est pas dûe à ça..., d'autres disent que ça pourrait être un couple de TN de ~30 masses solaires), serait locale-locale, il serait né au même endroit (en même temps) que son étoile compagne, à cause de leur orbite qui n'indique pas de capture. Or comme l'étoile compagne est jeune, le trou noir serait "jeune" aussi.
Après, oui, il aurait très bien pu se former il y a 10 milliards d'années, âge approximatif du disque galactique, mais quid de l'étoile qui lui tourne autour dans une orbite quasi circulaire ?
https://arxiv.org/abs/1912.04185
https://arxiv.org/abs/1912.04092
https://arxiv.org/abs/1912.03599

Youx a dit…

On ne doit pas non plus trop s'étonner de devoir expliquer une observation exceptionnelle par des phénomènes rares?
Si on pouvait l'expliquer par un processus banal, on devrait alors s'inquiéter de n'en observer que si peu!
Un couple de trous noirs n'aurait-il pas plus facile à capturer une étoile et 'circulariser' son orbite autour de l'un des deux?