02/11/19

Découverte d'un très petit trou noir : 3,3 masses solaires


Les systèmes binaires comportant un trou noir ou une étoile à neutrons sont généralement trouvés via l'émission de rayons X qu'ils produisent par l'accrétion de matière de l'étoile compagne vers l'objet compact qui est en train de la dévorer peu à peu. Aujourd'hui une équipe américaine vient de découvrir un tel système binaire mais sans aucune émission de rayons X, uniquement en observant les mouvements de l'étoile compagne et ses variations de luminosité. La découverte est de taille car le trou noir serait le plus petit que l'on n'est jamais mis en évidence, avec environ 3 masses solaires. A moins que ce soit une très grosse étoile à neutrons défiant la théorie... Cette étude américaine est parue dans Science.




Les astrophysiciens appellent ces systèmes binaires discrets des "binaires sans interaction". Les deux composantes interagissent pourtant, mais uniquement par gravitation. Todd Thompson (Université de l'Ohio) et ses collègues ont utilisé deux techniques pour mettre en évidence la présence d'un astre sombre aux côtés de l'étoile 2MASS J05215658+4359220 ( J0521+4359 pour faire court) : la mesure de sa vitesse radiale (et comment elle varie dans le temps), et des mesures photométriques, ou comment varie sa luminosité. 
Thompson et son équipe étaient partis à la recherche de petits trous noirs en étudiant les spectres de 100 000 étoiles de la Voie Lactée à la recherche de décalages Doppler périodiques indiquant des systèmes binaires, avec le spectrographe APOGEE (Apache Point Observatory Galactic Evolution Experiment). Cela leur a permis de sélectionner 200 étoiles potentiellement intéressantes, qu'ils ont ensuite passées au crible du All-Sky Automated Survey for Supernovae (ASAS-SN) afin de trouver des variations d'intensité dans leur luminosité. A la fin, il ne leur restait plus que J0521+4359.

J0521+4359 est une étoile géante brillante, située à 12 000 années-lumière, qui montre une variation de luminosité avec une période d'environ 83 jours. Or, la mesure de la vitesse radiale de l'étoile indique qu'elle se trouve en orbite d'un autre astre, invisible, avec une période orbitale elle aussi de 83 jours. 
Les astrophysiciens ne croient pas au hasard, ils attribuent cette coïncidence au fait que l'étoile géante possède un certain nombre de taches sur sa surface, ce qui diminue sa luminosité, et qu'en plus elle serait en rotation synchrone avec un autre astre, invisible (à la manière de la Lune qui est en rotation synchrone autour de la Terre, lui montrant toujours la même face). De fait, au cours de ses orbites, J0521+4359 nous montrerait successivement sa face "claire" et sa face "tachée", plus sombre. Ensuite, à partir des contraintes imposées par la masse et le rayon de l'étoile géante, les chercheurs peuvent déterminer quelle doit être la masse de l'astre invisible autour duquel elle tourne. Ils obtiennent une valeur de 3,3 +2,8 −0,7 masses solaires. Le trou noir ou l'étoile à neutrons qui est là, car il ne peut s'agir que de ces deux types d'objets compacts, aurait donc une masse comprise entre 2,6 et 6,1 masses solaires, avec comme valeur la plus probable à peine plus de 3 masses solaires. Quant à l'étoile compagne, sa masse serait presque identique avec 3,2 masses solaires.

Disons le tout de suite, la théorie des étoiles à neutrons stipule que leur masse ne peut pas dépasser 2,5 masses solaires. Si l'astre invisible était une étoile à neutrons et faisait la masse minimale de la plage, soit 2,6 masses solaires, il s'agirait d'une découverte majeure. Il est plus raisonnable de penser que ce dont J0521+4359 tourne autour est un trou noir. Mais alors, au contraire, il s'agirait ici d'un tout petit trou noir, le plus petit trou noir stellaire que nous ayons mis en évidence à ce jour. En janvier 2018, un autre trou noir stellaire évoluant dans un système binaire sans interaction avait été déniché au sein de l'amas globulaire NGC 3201 (voir ici) mais il faisait déjà 4,3 masses solaires. 
Tous les autres trous noirs stellaires qui ont pu être trouvés via le rayonnement X de systèmes binaires avaient tous une masse comprise entre 5 et 15 masses solaires, et on se souvient que les trous noirs fusionnant qui ont été détectés par leurs ondes gravitationnelles à partir de 2015, eux, avaient des masses plutôt de l'ordre de 20 à 30 masses solaires. Mais il n'y a aucune raison physique pour que des trous noirs aussi petits que 3 voire 2,5 masses solaires puissent exister. Il est d'ailleurs intéressant de se rappeler que l'événement de fusion de deux étoiles à neutrons du 17 août 2017 a produit un objet compact de 2,7 masses solaires, mais nous n'avons pas encore de preuve absolument irréfutable qu'il s'agisse bien d'un trou noir, qui serait donc le détenteur du record du plus petit de son espèce. 
La découverte de Todd Thompson et ses collègues est donc à ce jour officiellement le plus petit trou noir stellaire que nous connaissons. Pour tenter de visualiser la chose, il faut se dire que le rayon de l'horizon des événements de ce trou noir est de 10 kilomètres seulement...

L'écart de masse existant entre les plus grosses étoiles à neutrons (2,1 masses solaires) et les plus petits trous noirs (5 masses solaires) est appelé dans le jargon des astrophysiciens, le "mass gap", une terra incognita activement explorée depuis de longues années. Il se pourrait bien que la zone vide du "mass gap" disparaisse très vite maintenant. 


Source

A noninteracting low-mass black hole–giant star binary system. 
Todd A. Thompson et al.
Science 366 (01 november 2019)


Illustration

Mesures de la variation de luminosité de J0521+4359 (en haut) et de la variation de sa vitesse radiale (en bas), montrant une périodicité identique, preuve d'une rotation synchrone autour d'un astre invisible dont la masse peut être calculée (Todd A. Thompson et al.)

4 commentaires :

Mariya a dit…

Merci pour cet article très complet.

Bruno a dit…

Merci pour vos articles toujours passionnants

Nick a dit…

Quelle pourrait être la grandeur de la sphère d’influence gravitationnelle d’un si petit TN ? Ma vraie question étant à savoir si un de ses semblables pourrait traverser ou s’approcher de notre système solaire sans que nous nous en rendions compte. Est-ce possible ?

Pascal a dit…

Bonjour,

Du point de vue newtonien, les effets gravitationnels à distance d'un TN isolé de 3 masses solaires (Mo) seraient exactement ceux d'une étoile de même masse. Il y a plusieurs façons de définir une sphère d'influence gravitationnelle d'un corps, mais elle est toujours relative à un autre ; par exemple on considère le soleil et un corps bien moins massif en orbite peri-solaire, + une masse test dans ce potentiel, et on définit une sphère d'influence et une sphère de Hill .

Mais ici, le soleil et un TN de 3 Mo, les masses sont comparables, et ne sont pas liées gravitationnellement. Le plus simple est de considérer les points ou la force/accélération par les 2 corps est la même ; comme elle est en m/d², le rapport des distances du point aux 2 corps est 1.7 ; ce point est situé à la limite du nuage de Oort, à 1 al du soleil, si le TN est à D=2.7 al du soleil. Au delà, par exemple à 4.2 al comme alpha centauri (de masse globale 2 Mo), peu d'influence ; pour D < ou= 2.7 al, les corps du nuage de Oort sont perturbés, certains éjectés, d'autre propulsés vers le soleil avec une pluie de comètes quelques milliers d'années plus tard ; les astronomes pourraient alors, en analysant les orbites cométaires, reconstituer la position et la trajectoire du TN. Si la distance d'approche est plus courte, il risque de perturber les TNO de Kuiper, puis, vers 100 ua, les planètes géantes, avec des conséquences bien plus immédiates pour nous...Mais on aura eu quelques millénaires pour s'y préparer si la vitesse d'approche n'est pas trop grande.

Bien sur, si le TN est en couple avec une étoile ou une naine brune, on le décèlera par la trajectoire de celle-ci dès qu'elle sera visible (comme dans l'article) ; et si en plus il accrète, on ne risque pas de rater la binaire x !

On pourrait aussi en principe observer un TN proche par microlentille gravitationnelle (photométrie) ; avec beaucoup de chance (alignement précis avec une source lumineuse)?

Mais la probabilité d'une approche serrée par un TN stellaire est sans doute bien plus faible que par une étoile. les estimations du nombre de TN dans la galaxie vont de 10^6 à 10^8, pour 10^11 étoiles ; de même seule 1 étoile sur 10 000 est assez massive pour finir en TN. Ainsi la distance typique du plus proche TN serait de l'ordre de 100 al (le plus proche connu est à plus de 1000 al). Pas de quoi avoir des insomnies !