Après la publication l'année dernière de leurs premiers résultats sur la composante nucléaire du rayonnement cosmique, des noyaux d'atomes allant jusqu'au silicium, les chercheurs de la collaboration internationale AMS-02 publient de nouveaux résultats sur les rayons cosmiques de grande masse, cette fois-ci concernant les noyaux d'atomes de fer, qui seront les noyaux les plus lourds qui seront caractérisés par le gros détecteur à bord de l'ISS. L'étude est parue dans Physical Review Letters, comme toujours avec AMS-02.
AMS-02 est une expérience dont on parle fréquemment ici. Dès avril 2013 les résultats de ce gros détecteur de particules et antiparticules composant le rayonnement cosmique avaient montré des choses inattendues concernant les positrons. Il y en a trop par rapport à ce qu'on attendait, et ces résultats furent affinés l'année suivante comme nous l'avions également relaté. Puis en décembre 2016 ce fut au tour d'un autre excès d'antiparticules d'attirer l'attention de la communauté, un excès d'antiprotons dont l'origine reste aujourd'hui encore mystérieuse et qui pourrait être lié de très près à la matière noire. En 2019, l'excès de positrons fut mieux caractérisé, les chercheurs de AMS montrant l'existence de deux populations bien distinctes de positrons, la première étant bien comprise mais pas la seconde. Mais le détecteur AMS-02 caractérise également les composantes plus massives du rayonnement cosmique : le noyaux d'atomes, moins abondant et donc nécessitant plus de temps d'exposition pour présenter des résultats de précision. Il aura ainsi fallu attendre près de 10 ans pour que soient publiés en mai de l'année dernière les résultats sur les flux et les spectres en énergie des noyaux atomiques allant jusqu'au silicium. Cette nouvelle publication vient donc prendre la suite de l'article de l'année dernière avec cette fois-ci le noyau le plus lourd qui pourra être étudié par AMS-02, et qui est aussi le moins abondant de tous ceux qui ont pu être détecté jusqu'à aujourd'hui : le fer.
En tout, c'est 620 000 noyaux de fer qui ont été collectés par AMS-02 depuis 2011. On se souvient que pour le néon, le magnésium et le silicium, le nombre s'élevait à environ 2 millions. Les noyaux les plus lourds sont les moins nombreux dans le rayonnement cosmique, et parmi eux, le fer (Z=26) est le plus abondant au-delà du silicium (Z=14). Et le nombre de ces noyaux atomiques décroit également en fonction de leur énergie. Les plus énergétiques sont les moins nombreux et montrent donc des incertitudes plus importantes lorsque l'on trace leur flux en fonction de l'énergie.
La plupart des rayons cosmiques qui ont une énergie supérieure à 1 GeV ont une origine au delà de notre système solaire, une origine galactique. Ces particules chargées sont à 99% des protons et des noyaux d'hélium, de loin les plus abondants. Les noyaux plus lourds sont bien plus rares avec à peine 1%. Les noyaux d'atomes plus lourds sont estimés être produits dans les étoiles et éjectés et accélérés dans l'espace lorsque les étoiles explosent en supernovas. Mais lors de leur trajet jusqu'à la Terre, ces particules chargées électriquement peuvent être déviées par des champs magnétiques qu'elles rencontrent ou même être fragmentées lors d'interactions dans le milieu interstellaire pour devenir des "rayons cosmiques secondaires". C'est pour ces raisons que la direction d'où nous parviennent les rayons cosmiques galactiques ne nous dit rien sur leur lieu d'origine, au contraire des photons et encore plus des neutrinos.
Du fait de ces multiples déviations magnétiques, un détecteur comme AMS-02 (Alpha Magnetic Spectrometer) installé à bord de l'ISS depuis 10 ans, voit des noyaux d'atomes arriver de toutes parts, avec des contributions de très nombreuses supernovas qui ont pu exploser depuis des millions d'années. Ces rayons cosmiques contiennent donc une information sur les supernovas, sur les processus de nucléosynthèse des étoiles, et sur la structure de notre Galaxie et du milieu interstellaire. Ce sont toutes ces informations que les astrophysiciens espèrent extraire à partir des spectres des rayons cosmiques traçant la répartition de leur flux en fonction de leur énergie.
Le détecteur AMS-02 est un gros détecteur qui permet de compter les particules qui arrivent sur lui en les triant en fonction de leur énergie, de leur masse et de leur charge électrique. Il peut ainsi mesurer les flux de particules et d'antiparticules diverses, depuis les électrons et positrons jusqu'aux noyaux atomiques lourds en passant par les simples protons ou antiprotons. L'information cruciale qui intéresse les physiciens des astroparticules pour tenter de comprendre au mieux l'origine de ce rayonnement cosmique, c'est comment ce répartit le flux de ces particules en fonction de leur énergie cinétique. Pour construire ce type de courbe (leur spectre), on a besoin de beaucoup de particules détectées, afin d'avoir des incertitudes les plus petites possibles.
Mais les physiciens des astroparticules, lorsqu'ils parlent de noyaux atomiques, ne parlent en fait pas d'énergie des particules, mais de rigidité. La rigidité est égale à l'énergie divisée par la charge électrique (c'est à dire le nombre de protons constituant le noyau), elle s'exprime en V (eV/e). Tracer les flux de ces rayons cosmiques nucléaires en fonction de la rigidité permet ainsi de les comparer entre eux facilement, ce qui ne serait pas possible si on utilisait l'énergie, qui dépend du nombre de nucléons constitutifs. Le flux de noyaux de fer qui est détecté par AMS-02 s'étale entre 2,65 GV et 3000 GV, ce qui correspond à une plage d'énergie comprise entre 69 GeV et 78 TeV.
En traçant comment se distribue ce flux en fonction de la rigidité et en le comparant avec celui des autres noyaux atomiques, les chercheurs de AMS observent qu'au delà de 80,5 GV, la forme du spectre des noyaux de fer est identique à celle des noyaux d'hélium, de carbone et d'oxygène (normalisé à leur nombre total).
Ce comportement est inattendu. En effet, les résultats de l'année dernière montraient que les noyaux les plus lourds : néon, magnésium et silicium ont une dépendance de leur flux en fonction de la rigidité qui diffère de celle qui est observée pour les noyaux plus légers (de hélium à oxygène) : le flux des noyaux légers augmente plus vite en fonction de la rigidité que celui des noyaux lourds, laissant entrevoir l'existence de deux classes de rayons cosmiques primaires, discriminées par la masse des noyaux.
On pouvait donc s'attendre à ce que le flux des noyaux de fer suive la même courbe que celle des noyaux lourds, magnésium, néon ou silicium. Mais ce n'est donc pas le cas. Le fer semble appartenir à la même classe de rayons cosmiques primaires que l'hélium, le carbone et l'oxygène. Les physiciens montrent même que le ratio de flux Fe/O reste toujours constant au delà de 80 GV, égal à 0,155 ± 0,006.
Les noyaux situés entre l'oxygène (Z=8) et le fer (Z=26) semblent donc montrer une anomalie, qui peut se traduire par l'appartenance à une autre classe rayons cosmiques, avec à la clé pourquoi pas des sources potentiellement différentes pour ces deux classes.
Les chercheurs de la collaboration AMS ne s'aventurent pas (encore) dans des tentatives d'explications de ces différences : dans leur conclusion, ils mentionnent simplement qu'ils ont mesuré des propriétés inattendues dans les rayons cosmiques primaires de fer et c'est tout. Rendez-vous l'année prochaine pour les prochains résultats de AMS-02... et d'ici là, que les théoriciens fassent chauffer leurs craies!
Source
Properties of Iron Primary Cosmic Rays: Results from the Alpha Magnetic Spectrometer
M. Aguilar et al. (AMS Collaboration)
Physical Review Letters 126 (28 January 2021)
Illustration
Le détecteur AMS-02 à bord de l'ISS (Collaboration AMS-02)
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