dimanche 3 janvier 2021

Nouvelle explication pour l'excès de positrons dans le rayonnement cosmique

L'excès de positrons dans le flux de rayons cosmiques a été mis en évidence il y a plus de 10 ans (en 2009) par l'expérience PAMELA. Depuis, cette anomalie a été confirmée par d'autres expériences comme Fermi-LAT (indirectement) et surtout par les détecteurs spatiaux AMS-02 et DAMPE (directement). L'origine de cet excès est recherchée activement, avec deux principaux coupables potentiels identifiés : des pulsars proches ou la matière noire. On comprend l'importance du sujet et pourquoi nous en avons beaucoup parlé ici depuis 2011[ici] []. Aujourd'hui, une équipe indienne jette un pavé dans la mare en proposant une nouvelle possibilité pour expliquer cet excès d'antiélectrons. Une étude publiée dans le Journal of High Energy Astrophysics.


C'est sans conteste l'expérience AMS-02 qui a documenté l'excès de positrons avec le plus de précision, en déterminant le spectre en énergie de nombreuses particules du rayonnement cosmique, des électrons aux noyaux atomiques en passant par les protons et bien sûr toutes leurs antiparticules. Pour les positrons (antiélectrons), le flux mesuré s'étend jusqu'à des énergies considérables de plus de 1 TeV. Le spectre en énergie mesuré par AMS-02 montre une montée en fonction de l'énergie jusqu'à quelques centaines de GeV puis une décroissance. C'est cette augmentation du flux de positrons qui est considéré comme un excès car ne pouvant pas être expliqué simplement par un processus classique de production de particules secondaires par des interactions de rayons cosmiques énergétiques dans le gaz d'hydrogène du milieu interstellaire. 
Agnibha De Sarkar (Raman Research Institute, Bangalore) et ses collaborateurs ont exploré une alternative aux deux scénarios envisagés qui ne sont à l'heure actuelle pas entièrement convaincants pour les spécialistes des astroparticules. Comme il se trouve que le Soleil est entouré de nuages de gaz d'hydrogène moléculaire relativement proches (qu'on appellera des GMC, Galactic Molecular Clouds), les chercheurs indiens ont étudié ce qu'il se passerait si des rayons cosmiques primaires (des protons) interagissaient avec les protons "froids" de ces nuages. 
Une étude datant de 2015 par deux théoriciens israéliens avait montré que l'interaction de protons de 1 TeV sur le gaz du milieu interstellaire pouvait produire des réactions hadroniques produisant des mésons pi se désintégrant finalement en électrons et positrons, avec une augmentation du flux en fonction de l'énergie. Mais encore fallait-il disposer de suffisamment de noyaux d'hydrogène à proximité de la Terre. Or c'est ce que les GMC peuvent fournir selon Agnibha De Sarkar et ses collègues Raman Research Institute.
Les progrès de l'astronomie à multi-messagers ont permis de découvrir récemment de nombreux GMC dans notre galaxie : 1064 GMC ont été trouvé dans le plan du disque galactique grâce à des relevés traquant les ondes radio émises par le traceur CO (le monoxyde de carbone, présent dans ces nuages moléculaires avec l'hydrogène). Parmi ceux-ci, 567 GMC se trouvent à mois de 4 kpc de la Terre (13200 années-lumière). De Sarkar et ses collègues notent également que des études antérieures ont montré que certains GMC pouvaient produire une réaccélération de rayons cosmiques à la faveur de turbulences dans leur champ magnétique. Ils ont donc sélectionné 7 GMC parmi les 567 proches en leur attribuant ces propriétés particulières. Ces rayons comiques réaccélérés produisent au final une petite composante de positrons secondaires plus énergétique que la moyenne de ceux qui sont produits dans tous les GMC. Car les astrophysiciens indiens montrent grâce à leurs simulations de la propagation des rayons cosmiques dans la galaxie que les interactions de protons énergétiques primaires dans les GMC (des protons dont l'origine serait pour l'essentiel des résidus de supernovas) produisent bel et bien un flux de positrons fortement augmenté, et ce sur une plage en énergie s'étalant entre 1 GeV et 1000 GeV, ce qui couvre exactement la zone de l'excès qui est mesuré par AMS-02.
Et les chercheurs indiens font même mieux : leur modèle cohérent de propagation de rayons cosmiques fondant un code de simulation qu'ils ont baptisé DRAGON (Diffusion of cosmic RAys in Galaxy modelizatiON) leur permet de retrouver les données de flux mesurées par AMS-02 et PAMELA concernant les électrons, la fraction e+/(e+ + e-),  les protons, les antiprotons, le rapport Bore/Carbone ainsi que le rapport 10Be/9Be... Rien que ça.
De Sarkar et ses collègues concluent que les positrons issus de réactions de rayons cosmiques primaires sur le milieu interstellaire doivent avoir une contribution significative sur l'excès de positrons qui est observé, et que les nuages de gaz moléculaires proches du système solaire doivent jouer un rôle très important dans la forme du spectre en énergie des positrons sur la plage comprise entre 1 GeV et 1000 GeV.

Source

Positron excess from cosmic ray interactions in galactic molecular clouds
Agnibha De Sarkar, Sayan Biswas et Nayantara Gupta
Journal of High Energy Astrophysics Volume 29 (16 december 2020)


Illustrations

1) Spectre en énergie du flux de positrons : en rose le flux produit par la somme des GMC, comparés aux points mesurés par PAMELA et AMS-02 (De Sarkar et al.)

2) Distribution spatiale en 2D des GMC autour du Soleil dans notre galaxie (De Sarkar et al.)

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