Enrico Di Teodoro (Johns Hopkins University) et ses collaborateurs internationux se sont intéressés à des très grosses galaxies, 43 galaxies spirales dont la masse stellaire dépasse 100 milliards de masses solaires et dont le disque est observable dans le visible jusqu'à un rayon de 80 kpc, des beaux bébés. Ils ont étudié quelle était leur cinématique de rotation en mesurant la raie d'émission Hα pour en déduire les courbes de rotation et la relation que l'on peut en extraire entre masse et vitesse de rotation.
Les astrophysiciens constatent que toutes les galaxies de leur échantillon produisent des courbes de rotation qui s'aplatissent avant d'atteindre le rayon maximal observable. Ils peuvent alors déterminer pour chaque galaxie la valeur de la vitesse de rotation asymptotique. Di Teodoro et son équipe ne se sont pas limités à construire la courbe de Tully-Fisher pour ces galaxies, ils ont également mesuré une autre relation galactique, appelée relation de Fall, définie en 1983, qui donne la fonction liant le moment cinétique de la galaxie à sa masse. La relation de Tully-Fisher (stellaire ou baryonique) comme la relation de Fall sont des lois de puissance : m = Vα pour Tully-Fisher, et J= mγ+1 pour Fall.
Toutes les galaxies de l'échantillon à l'exception des deux galaxies qui tournent le plus vite (et qui sont les deux plus massives), se retrouvent en parfait accord avec ces deux relations d'échelle qui ont pourtant été déterminées avec des galaxies moins massives. Aucune rupture ou courbure dans la fonction de puissance n'est observée par l'ajout de cette quarantaine de spécimens à très forte masse. Les chercheurs refont donc le fit (l'ajustement) des deux fonctions de puissance qui lient la masse à la vitesse : m = Vα et le moment cinétique à la masse J= mγ+1: ils obtiennent une valeur α = 4.25 ± 0.19 (pour la relation de T-F stellaire (prenant en compte que la masse des étoiles sans le gaz froid) et γ = 0.64 ± 0.11.
On l'a dit, les deux plus grosses galaxies de l'échantillon 2MFGC08638 et 2MFGC12344, sont les seules aberrations significatives dans les relations d'échelle. Les vitesses de rotation extrêmes (458 et 530 km s-1) de ces deux galaxies les placent du côté haut des relations de Tully-Fisher et du côté haut de la relation de Fall. Elles ont également la particularité d'avoir des disques stellaires exceptionnellement grands qui s'étendent jusqu'à 200 kpc de diamètre, en plus de leur masse considérable (389 et 549 milliards de masses solaires en étoiles), ainsi que de leur taux de formation stellaire soutenu de respectivement 24 et 22 étoiles par an. Les chercheurs indiquent que ces deux galaxies sont difficiles à réconcilier avec les relations déterminées à des masses plus faibles : elles devraient montrer soit une masse stellaire significativement plus importante, soit une vitesse asymptotique significativement plus petite. Mais Di Teodoro et ses collègues indiquent que ces deux galaxies spirales géantes sont des systèmes fortement inclinés et on peut donc s'attendre à une certaine absorption de poussière non prise en compte, ce qui impliquerait un rapport 𝑀★/luminosité plus grand que la valeur supposée de 0,6. Un rapport 𝑀★/L égal à 1,5 ramènerait mécaniquement ces deux galaxies sur les relations de Tully-Fisher et Fall.
Il y aurait bien une autre possibilité pour ramener les deux galaxies sur les lois de puissance de Tully-Fisher et Fall : il faudrait que ces galaxies aient des courbes de rotation qui diminuent fortement au-delà du rayon visible : une diminution de 20-30% de la vitesse asymptotique les rendrait compatibles avec la relation de Tully-Fisher. Mais les auteurs précisent que ce type de déclin extrême (oui, 30% c'est extrême ici) a rarement été observé, même dans les disques massifs de galaxies jeunes. Il semble donc peu probable que cela puisse se produire dans des disques galactiques de type tardif comme 2MFGC08638 et 2MFGC12344.
Même si ils concèdent qu'il pourrait bien exister d'autres spécimens au delà de 300 milliards de masses solaires qui briseraient les lois de puissance comme semblent le faire 2MFGC08638 et 2MFGC12344, la conclusion de Enrico Di Teodoro et ses collaborateurs est que la plupart (sinon toutes... ) les galaxies spirales géantes sont juste des versions agrandies des disques moins massifs et que les galaxies spirales constituent donc une population d'objets autosimilaires, qui suivent les mêmes relations, de 100 millions jusqu'à 350 milliards de masses solaires en étoiles...
Source
Rotation curves and scaling relations of extremely massive spiral galaxies
Enrico M Di Teodoro, et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (11 September 2021)
https://doi.org/10.1093/mnras/stab2549
Illustrations
1. La relation de Tully-Fisher stellaire et baryonique déterminée avec les anciennes données et les nouvelles de l'échantillon à très grande masse (Di Teodoro et al.)
2. La relation de Fall déterminée avec les anciennes données et les nouvelles de l'échantillon à très grande masse (Di Teodoro et al.)
4 commentaires :
Bonjour,
Je reste assez perplexe en comparant l'étude rapportée ici le 22/10/2019 de PM Ogle sur les "super-spirales", et celle concernée par ce billet, signée Di Teodoro, mais aussi le même PM Ogle : en gros c'est la même population de très grosses spirales avec des masses, rayons et vitesses de rotation comparables, or la conclusion est opposée ; dans le premier cas, rupture de la pente de la TFR pour des vitesses > 340 km/s, dans le deuxième confirmation aux grandes masses de la TFR (stellaire ou baryonique), avec un exposant à 4.25 (contre 3.75 retenu en 2019). Pourtant à bien y regarder les diagrammes vitesse/masse baryonique sont proches, avec simplement 2 galaxies en "survitesse" en 2021 contre 6 ou 7 en 2019, parmi les plus massives.
Quoiqu'il en soit, il ne faut pas perdre de vue que la TFR est bel et bien valide sur plus de 3 ordres de grandeur de masse, et que cela reste une épine dans le pied du modèle standard avec matière noire, alors que cela est prévu par la phénoménologie Mond, et tous les modèles qui en reproduisent le comportement, dont bien sûr la cosmologie de Dirac-Milnes. Outre ses évidentes qualités d'économie au sens du rasoir d'Occam, cette dernière a le bon gout d'être parfaitement falsifiable dans un avenir proche, et on attend avec impatience le verdict du CERN. Avec prudence aussi, à l'image de G. Chardin, et c'est tout à son honneur, si j'en crois son excellent livre sur le sujet (l'insoutenable gravité de l'univers, 2018).
Bonjour Pascal,
J'aurais dû parler de ce papier de 2019 de Ogle et al., c'est vrai, d'autant que dans ce nouveau papier les auteurs y font bien sûr référence (mais j'avais un peu oublié que j'en avais parlé ici il y a 2 ans), je cite ce qu'ils écrivent dans l'intro, en gros, ils ont fait cette nouvelle étude pour confirmer ou infirmer leurs résultats "potentially tranformational" de 2019:
A break in the scaling relations might still be present at higher masses than those explored by Posti et al. (2019b), i.e. at log M?/M & 11.2. Finding such a feature would imply that the self-similarity of discs breaks at a larger mass scale than expected, suggesting that some physical process, such as inefficient cooling of proto-galactic gas, feedback from active galactic nuclei (AGN) or galaxy merging, are becoming important at that mass scale. Ogle et al. (2019b) recently found indications for such a break in the Tully Fisher and Fall relations of super-luminous spiral galaxies, a rare population of giant, star-forming discs with stellar masses M? ' 2 − 7 × 1011M (Ogle et al. 2016, 2019a).
This study relied on long-slit Hα spectra for 23 massive spirals, from which they derived rotation velocities typically out to the optical radii. Since this result is potentially transformational for our understanding of disc galaxies, in this paper we set out to scrutinise in detail these findings through a more accurate characterisation of the kinematics and the dynamics of a larger sample of extremely massive spiral galaxies. We develop a new technique to derive robust rotation curves through modelling of long-slit Hα-[N ii] emission-line observations. We use this technique to investigate the very highmass ends of the Tully-Fisher and Fall relations and their connections to the relations at lower masses from previous works.
On peut noter un truc intéressant aussi dans le tableau descriptif des galaxies qu'ils ont utilisées, ils mettent en dessous un tableau des galaxies qui ont été écartées de l'échantillon, et ils précisent quelles sont les galaxies qui sont en commun avec l'étude de 2019. Il n'y en a 3 sur les 9 non retenues, les raisons données sont
Highly asymmetric kinematics
Asymmetric: approaching side not well defined
Low S/N + anomalous emission
Merci Eric pour ces précisions ; il faut dire que j'avais eu la flemme de lire l'article sur ArXiv, alors que c'est bien expliqué : ils ont rajouté une vingtaine de galaxies à l'échantillon initial de Ogle, en ont éliminé 3 pour données incertaines ou insuffisantes, et réévalué les autres avec des techniques sensées être plus précises ; du coup, sur les 6 "outlaws" de Ogle, 2 sont éliminés, 2 autres rentrent dans le rang, et ne restent que 2 récalcitrantes, insuffisantes pour parler d'une rupture de la TFR. A noter que toutes les nouvelles galaxies respectent la TFR.
Ils discutent aussi de la similarité des lois de puissance pour le halo (de matière noire), et pour la matière baryonique (la TFR baryonique), la première étant naturelle contrairement à la seconde qui implique une loi de puissance également entre fM (rapport masse stellaire / masse du halo) et la masse stellaire ; donc une coévolution masse baryonique /matière noire, et c'est bien le problème ; on évoque des phénomènes baryoniques complexes tel le feed back des étoiles jeunes...
Ce qui est remarquable est que les deux articles ont des co-auteurs communs, que le premier annonçait avoir réfuté MOND mais que le second n'en dit pas un mot ; c'est pourtant une confirmation de MOND !
A vous
Paul
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