lundi 13 septembre 2021

La supernova qui doit réapparaître dans 16 ans par effet de lentille gravitationnelle


Il y a environ 10 milliards d'années, une étoile a explosé dans une galaxie lointaine appelée MRG-M0138. Une partie de la lumière de cette explosion a ensuite subit un effet de lentille gravitationnelle, produit par un amas de galaxies massif dont la gravité a envoyé la lumière sur de multiples chemins. En 2016, la supernova nous est apparue sous la forme de trois points lumineux distincts séparés temporellement, chacun marquant trois chemins empruntés par la lumière pour arriver jusqu'ici. Après analyse fine de la lentille, des astrophysiciens états-uniens prédisent que deux nouvelles images de cette supernova vont apparaître... dans 16 ans et dans 21 ans! Ils publient leur étude aujourd'hui dans Nature Astronomy.

L'astrophysique est une science du long terme. Il faut souvent être très patient avant de pouvoir arriver à ses fins. C'est ce qui va encore se passer ici avec cette prédiction fort intéressante. Le décalage temporel prévu pour cette lentille gravitationnelle de supernova est le plus long jamais calculé pour une telle configuration.
Les trois premières images de la supernova lentillée par l'amas de galaxies MACS J0138.0-2155 ont été repérées par hasard dans des images du télescope Hubble de 2016 et 2019 par Steven Rodney (Université de Caroline du Nord) et ses collaborateurs. En 2016, trois points brillants étaient visibles à la périphérie de ce gros amas déflecteur et la même image trois ans plus tard ne montrait plus ces trois points. Il s'agissait donc bien du même objet démultiplié 3 fois, une supernova.
L'amas de galaxies MACS J0138-2155 est déjà très éloigné, avec une distance de l'ordre de 4 milliards d'années-lumière, mais la supernova, elle, se situe encore beaucoup plus loin, près de 10,3 milliards d'années-lumière (un redshift de 1,95). Cette supernova porte le nom de AT 2016jka mais Rodney et son équipe ont préféré lui donner le surnom de 'SN Requiem’. Selon eux, il s'agit très probablement d'une supernova de type Ia, l'explosion d'une naine blanche qui a dépassé sa masse critique de 1,44 masses solaires. Les trois première images de la supernova ont simplement été dénotées SN1, SN2 et SN3.
Parmi les trois images, celle qui est arrivée la première, qui montre la supernova le plus tôt dans son histoire est SN2, 24 jours avant le pic de luminosité, elle est suivie de l'image SN1 qui avait 114 jours de retard, donc vue après le pic de luminosité, puis de SN3 avec 17 jours de retard supplémentaires. 

A partir de là, Rodney et ses collègues ont calculé très précisément la forme de la distribution de masse de l'amas MACS J0138.0-2155 qui a dévié la trajectoire de la lumière par la courbure de l'espace-temps qu'il produit. Connaissant la "forme" de la déformation spatio-temporelle autour de l'amas et la localisation des trois images de la supernova, les chercheurs déduisent que deux nouvelles images de SN Requiem vont apparaître dans le futur. La quatrième devrait apparaître du côté opposé de l'amas par rapport aux trois premières et ce serait en 2037 ± 2 ans, tandis que la cinquième devrait apparaître très près du centre de l'amas, avec une luminosité trop faible pour pouvoir être observée, même avec les télescopes qui seront les nôtres en 2042  ± 4 ans...
Si la prédiction des astrophysiciens s'avère exacte, elle permettra d'obtenir une valeur très précise du délai temporel puisque les chercheurs, même si ils n'arriveront certainement pas à observer en direct l'apparition de SN4, pensent pouvoir l'observer avec un écart maximal de 7 jours. La précision correspondante sera alors de 7 jours sur 21 ans, donc très inférieure à 1%. On connaîtra donc la distance de la galaxie hôte de la supernova avec la même précision de la supernova, ce qui sera exploité immédiatement par les astrophysiciens pour déterminer la valeur de la constante de Hubble avec autant de précision. 

A ce jour, il n'y a eu seulement que deux supernovas lentillées observées avec des images multiples. La  première, SN Refsdal, en 2014 et 2015, était une SN de type II particulière dont l'image avec le plus long retard a hélas été manquée. La seconde, SN 2016geu, en 2016, était une SN de type Ia avec des retards courts qui avaient rendu impossibles les mesures de haute précision des retards temporels. Une découverte antérieure d'une supernova exceptionnellement lumineuse s'est également avérée a posteriori être une SN de type Ia fortement lentillée, mais ses images multiples n'avaient pas été résolues. AT 2016jka est donc la troisième découverte d'une supernova  avec une lentille résolue en images multiples.

Les spécialistes estiment qu'un futur échantillon de plus de 100 retards temporels de lentille bien mesurés serait un outil crucial pour les études sur l'énergie sombre et la constante de Hubble-Lemaître.  Or les futures études à grande échelle telles que celles de l'Observatoire Vera Rubin et celles du télescope spatial Nancy Grace Roman, observeront des dizaines ou des centaines de supernovas lentillées pendant la durée de leur mission. Mais la grande majorité d'entre elles seront des lentilles par des galaxies et auront de ce fait des délais beaucoup trop courts (de l'ordre de 10 à 100 jours).

Les retards extraordinairement longs des supernovas lentillées par des amas très massifs, comme AT 2016jka, permettent d'obtenir une précision bien meilleure, avec un coût d'observation comparable. Rodney et ses collaborateurs rappellent l'investissement qui avait été fourni pour l'étude du cas de SN Refsdal, qui avait été suivie avec le télescope Hubble durant 75 orbites sur 3 ans. L'observation des quasars à images multiples a également mobilisé de nombreuses ressources sur plus de 10 ans pour en déduire des délais temporels des fluctuations de luminosité.  Les chercheurs estiment qu'une surveillance de la réapparition de AT 2016jka pourrait être développée grâce à un suivi régulier de toutes les lentilles à l'échelle de l'amas.

En conclusion de leur article, les chercheurs expliquent pourquoi ils ont surnommé AT 2016jka 'SN Requiem' : il se trouve que le télescope spatial devrait être désorbité et tombera dans l'atmosphère terrestre pour y brûler aux alentours de 2037, au moment même où devrait réapparaître la supernova. Rodney explique qu'ils ont, je cite, choisi 'SN Requiem' comme une ode au vaste espace de découvertes que le télescope Hubble continue à dévoiler...


Source

A gravitationally lensed supernova with an observable two-decade time delay
Rodney et al. 
Nature Astronomy. (13 septembre 2021)


Illustration

Images de MACS J0138.0-2155 en 2016 et 2019 où les trois images de la supernova apparaissent puis disparaissent. Les deux prochaines localisations (SN4 et SN5) sont indiquées (Joseph DePasquale (STScI))

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