vendredi 3 décembre 2021

Sonder la structure interne des neutrons avec des électrons et des positrons


Les propriétés fondamentales du neutron sont très importantes à connaître car elles ont des implications cruciales en astrophysique, depuis l'Univers primordial et la nucléosynthèse du même nom, jusqu'aux étoiles à neutrons aux propriétés déconcertantes, et à la production des noyaux atomiques les plus lourds, lors de fusions d'étoiles à neutrons ou d'explosions de supernovas. Des mesures précises de l'annihilation d'une paire électron-positron en une paire neutron-antineutron permettent aujourd'hui de "voir" à l'intérieur du neutron pour mieux comprendre sa structure complexe. L'étude de la collaboration internationale BESIII à l'origine de cette expérience inédite est publiée dans Nature Physics.

Notre compréhension de la structure du neutron reste incomplète près d'un siècle après sa découverte en 1932 par James Chadwick. En particulier, on sait que le neutron a une charge électrique nulle et un moment magnétique important, mais la façon dont la charge et le moment magnétique sont répartis dans son volume est toujours mal connue comme il en est de même de sa taille et sa durée de vie lorsqu'il est isolé.  La collaboration Beijing Spectrometer III (BESIII) rapporte des mesures des facteurs de forme électriques et magnétiques du neutron, ce qui permet de mieux comprendre la structure interne du neutron. En termes d'interaction forte, les neutrons et les protons (les nucléons) sont presque indiscernables. Les nucléons ne sont pas des particules ponctuelles comme les électrons. Il s'agit de systèmes liés comprenant trois quarks de valence légers, les quarks up et down, ainsi qu'une mer neutre de paires quark-antiquark et de gluons. C'est la dynamique de l'interaction forte des quarks et des gluons qui détermine la structure complexe des nucléons. 
Bien que la chromodynamique quantique, la théorie de l'interaction forte, ait été confirmée par de nombreuses expériences au fil des décennies, elle ne peut pas être appliquée facilement à un certain nombre de problèmes car les outils mathématiques ne sont pas encore disponibles. L'un des problèmes non résolus, c'est justement la description exacte de la structure des nucléons, dont le neutron. Cette difficulté est due principalement à la grande charge de couleur des quarks et à l'auto-interaction qui existe entre les gluons.

Une façon de comprendre cette structure est d'exploiter des expériences fondées sur des processus qui incluent des nucléons. Les premières du genres avaient été effectuées par le nobélisé Robert Hofstadter (1961) qui avait fait de la diffusion électron-deutéron et électron-proton, où les électrons étaient suffisamment énergétiques pour pénétrer à l'intérieur d'un nucléon et interagir avec ses composantes internes, ouvrant la voie au développement de la chromodynamique quantique et au monde des quarks.
 
Il existe une autre façon de voir les choses pour sonder les nucléons, toujours en utilisant des électrons, mais en y associant leurs antiparticules les positrons : c'est celle qui consiste à créer de toute pièces des neutrons (et des antineutrons). C'est la technique qu'ont utilisée les physiciens de BESIII. En faisant s'annihiler des paires d'électrons/positrons suffisamment énergétiques, ils arrivent à produire des paires de neutrons/antineutrons. Le gros avantage de cette méthode, c'est que la partie électromagnétique du processus, qui précède tout juste la production des neutrons et antineutrons, possède une description mathématique très rigoureuse. D'autre part, en choisissant bien l'énergie des faisceaux d'électrons et positrons, on peut produire des neutrons qui sont quasi au repos, avec une très faible énergie cinétique, environ comparable aux conditions que l'on trouve dans les noyaux atomiques.
Dans ce type de réactions d'annihilation, la probabilité de production d'une paire neutron-antineutron est décrite par la section efficace dite de Born, qui est liée à ce qu'on appelle les "facteurs de forme" électriques et magnétiques des particules produites. Et ces facteurs de forme électromagnétiques caractérisent la structure des nucléons. Ils représentent la distribution moyenne de la charge électrique et du moment magnétique. En mesurant donc finement l'évolution de la section efficace d'annihilation en fonction de l'énergie, on obtient alors des informations précieuses sur les facteurs de formes et donc sur la structure interne du neutron.

L'expérience BESIII a lieu auprès du collisionneur électron-positron BEPCII (Beijing Electron-Positron Collider II). L'énergie dans le référentiel du centre de masse des faisceaux en collision a été varié sur une large gamme d'énergie allant de 2,0 GeV à 4,6 GeV, divisée en 18 points de mesure. Au point d'interaction, le détecteur BESIII, très efficace, enregistre les particules directement produites par l'annihilation électron-positron ou leurs produits de désintégration. Les physiciens ont ainsi observé l'évolution en énergie des facteurs de forme des neutrons. La précision statistique est telle qu'elle permet une amélioration par un facteur 60 par rapport aux données précédentes.

Mais les chercheurs ont aussi eu une petite surprise lors de ces expériences et c'est ce qui donne du piment parce que c'était inattendu : les mesures montrent que les résultats pour le facteur de forme ne présentent pas une pente cohérente en fonction de l'énergie, mais plutôt un modèle oscillant dans lequel les fluctuations deviennent plus petites à mesure que le niveau d'énergie augmente. Ils avaient observé un comportement similaire (et surprenant) dans le cas du proton, mais ici, les fluctuations sont inversées, c'est-à-dire déphasées. Les physiciens de BESIII peuvent juste dire à partir de ces observations que les nucléons n'ont pas une structure simple, et ils renvoient la patate aux théoriciens qui vont devoir travailler avec ces nouvelles données pour construire un modèle cohérent.



Ce qui est sûr en tous cas, c'est que le rapport des facteurs de forme entre neutrons et protons doit bien être inférieur à 1 selon ces résultats. Cela confirme la théorie qui dit que le facteur de forme d'une particule chargée doit être supérieur à celui d'une particule neutre. Or l'expérience FENICE il y a quelques années avait trouvé bizarrement l'inverse. BESIII rétablit donc les choses.



Source

Oscillating features in the electromagnetic structure of the neutron
The BESIII Collaboration
Nature Physics volume 17 (8 november 2021)


Illustrations

1. Schéma de principe de la production de neutrons-antineutrons par l'annihilation d'électrons-positrons (Nature Physics)
2. Evolution de la section efficace de Born et du facteur de forme effectif du neutron en fonction de l'énergie dans le centre de masse mesurés par BESIII (The BESIII Collaboration)
3. Ratio des facteurs de forme proton/neutron et écart du facteur de forme effectif par rapport à une fonction dipolaire, montrant une oscillation, qui est déphasée entre proton et neutron (The BESIII Collaboration).

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