mardi 14 décembre 2021

La Relativité Générale testée comme jamais avec un couple de pulsars


Le pulsar double nommé PSR J0737-3039A/B est un laboratoire astrophysique unique. Il vient d'être utilisé durant 16 ans d'affilée pour étudier très finement comment se comporte la gravitation dans sa forme "Relativité Générale en champ fort". L'équipe de Mickael Kramer parvient à mesurer 7 paramètres relativistes, dont certains pour la première fois. La théorie d'Einstein en ressort à nouveau infalsifiée comme jamais. L'étude est parue dans Physical Review X

Michael Kramer (Max Planck Institut für radioastronomie) et ses collègues ont exploité seize années de données de chronométrage du double pulsar. PSR J0737-3039A/B est une paire d'étoiles à neutrons en rotation, détectée en 2003 et qui sont toutes deux des pulsars. Leur période orbitale est de 2,45 heures. Le pulsar A a une période de rotation intrinsèque de 23 ms tandis que le pulsar B possède lui une période de rotation 1000 fois plus longue, de 2,8 s. Les spécialistes estime que le pulsar A est né en premier, accompagné par une étoile compagne massive qui lui a permis d'accélérer fortement sa rotation par accrétion de matière, avant que celle-ci n'explose à son tour pour former le pulsar B, qui n'a pas eu la chance de pouvoir être "recyclé" et atteindre des vitesses folles comme son acolyte. 
Sur Terre, nous voyons les faisceaux radio des pulsars sous forme de flashs à intervalles réguliers. En enregistrant les flashs de ces pulsars, les radioastronomes peuvent déduire certaines propriétés physiques des étoiles à neutrons, comme leur masse ou certains paramètres de le structure interne. La propriété très utile des pulsars pour tester la Relativité Générale est qu'ils sont des horloges ultra précises. La rotation des étoiles à neutrons est remarquablement stable, ce qui signifie que les tics d'une horloge de pulsar ont une cohérence à long terme comparable à celle des meilleures horloges atomiques sur Terre. Or, les étoiles à neutrons étant très denses, l'espace-temps est très courbé autour d'elles. Et lorsqu'un pulsar est situé dans une binaire, les temps d'arrivée de ses impulsions aux radiotélescopes sont modifiés par le mouvement orbital de la binaire d'une manière caractéristique. Des mesures précises de ces temps d'arrivée sur des années ou des décennies permettent de détecter d'infimes changements dans le mouvement orbital. Par exemple, les observations du pulsar de Hulse-Taylor (alias PSR B1913B16), la première binaire stellaire connue contenant un pulsar, avaient révélé dès la fin des années 1970 un rétrécissement du rayon orbital et une accélération de la vitesse de révolution, une preuve que de l'énergie orbitale était perdue sous forme d'ondes gravitationnelles.
En termes d'étude des effets gravitationnels, le double pulsar PSR J0737-3039A/B, est beaucoup plus intéressant que d'autres binaires. Premièrement, il a l'avantage d'être la seule binaire dont les deux composantes sont visibles en tant que pulsars. Et puis il est relativement proche, à seulement environ 2400 années-lumière (735 pc). Enfin, son inclinaison orbitale par rapport à nous est presque "sur la tranche" (à 89,5°), les signaux du pulsar que nous voyons passent donc par le plan orbital où ils peuvent être soumis à une plus grande partie de l'espace-temps courbé par le couple. L'excentricité de l'orbite est d'ailleurs très faible (0,088), très proche d'une orbite circulaire. 

Pour faire ce suivi temporel minutieux, Kramer et ses collaborateurs ont utilisé un réseau de 6 radiotélescopes disséminés en Australie (Parkes), aux États-Unis (Green Bank), aux Pays-Bas (WSRT), en France (Nançay), en Allemagne (Effelsberg) et au Royaume-Uni (Jodrell Bank). avec des radiotélescopes qui observaient le double pulsar à des fréquences différentes, à des jours différents et avec une sensibilité différente, le tout en devant synchroniser les mesures très précisément durant plus de 15 ans. 
Le résultat le plus significatif des observations du double-pulsar est le test de la formule du quadrupôle qui décrit la perte d'énergie due à l'émission d'ondes gravitationnelles dans la Relativité Générale d'Einstein. Lorsque les ondes gravitationnelles "absorbent" l'énergie orbitale, la taille de l'orbite devient plus petite et la révolution s'accélère. Cette accélération est observable dans le raccourcissement des intervalles entre les approches successives du périastre (le point où les pulsars en orbite sont les plus proches les uns des autres). Les observations de Kramer et ses collaborateurs donnent une précision record de seulement 0,013 % pour la perte d'énergie rotationnelle après correction des effets du mouvement des pulsars par rapport au Soleil ainsi que d'un effet du ralentissement des pulsars (un ralentissement extrêmement faible de la rotation causé par la perte d'énergie par le rayonnement électromagnétique). Cette précision sur la perte d'énergie induite par l'émission d'ondes gravitationnelles est bien meilleure que celle qui avait été obtenue avec le pulsar de Hulse-Taylor (0,3 %), et que celle mesurée par la collaboration LIGO et Virgo dans la phase précédent tout juste la fusion de deux étoiles à neutrons et l'événement GW170817 (une précision de 20 %).

Mais Kramer et son équipe vont bien plus loin. Outre le test de la formule du quadrupôle, les chercheurs ont considérablement amélioré la précision d'autres tests de gravitation, tels que le test de l'effet de retard de Shapiro, selon lequel un espace-temps courbé fait voyager les signaux radio plus longtemps. L'équipe a aussi  réalisé des tests de la RG qui n'avaient jamais été effectués auparavant sur un double pulsar. Ils ont par exemple mesuré une déformation relativiste de l'orbite, l'existence d'un couplage spin-orbite relativiste entre les rotations propres des pulsars et leur mouvement orbital, ainsi qu'une déviation des signaux radio dans l'espace-temps courbé des pulsars. 
Les astrophysiciens mesurent les effets de la propagation de la lumière dans les champs gravitationnels forts, qui ne peuvent actuellement être testés par aucune autre méthode. En plus des effets de retard, ils observent les effet d'aberration de la lumière dus à la courbure de l'espace-temps, ce qui leur permet de déterminer la direction de la rotation des pulsars. Au total, ce sont pas moins de sept paramètres post-Keplériens (c'est à dire relativistes) que Kramer et son équipe mesurent dans ce système, plus que pour tout autre pulsar binaire connu. Pour certains de ces effets, la précision des mesures est si élevée que, pour la première fois, les chercheurs doivent prendre en compte des contributions d'ordre supérieur, comme par exemple la contribution de la perte de masse du pulsar A à la diminution observée de la période orbitale, ou bien les effets de l'équation d'état de la matière superdense sur les paramètres observés via un couplage spin-orbite relativiste. 
Et toutes ces mesures apparaissent parfaitement cohérentes avec les prédictions de la théorie d'Einstein... 
Si on fait la liste des paramètres relativistes avec pour chacun le ratio de la valeur mesurée/valeur prédite par la théorie de la RG, on obtient : 
  • Forme du délai de Shapiro :  1,00009
  • Gamme du délai de Shapiro : 1,0016
  • Dilatation temporelle :  1,00012
  • Avance du périastre :  1,000015
  • Perte d'énergie par ondes gravitationnelles :  0,999963
  • Déformation orbitale :  1,3
  • Précession du spin : 0,94
Kramer et ses collègues ont même examiné deux classes de théories de gravité alternatives qui augmenteraient la Relativité Générale d'Einstein en ajoutant un champ scalaire sans masse. En général, ces théories prédisent un décalage du temps du périastre d'un double pulsar qui est plus important que celui observé. Les chercheurs sont donc en mesure d'exclure une grande partie de l'espace des paramètres pour ces théories alternatives. Ils fournissent également une nouvelle falsification de la théorie TeVes après celle obtenue à partir de l'événement GW170817, mais d'une autre manière. 
A partir de la détermination très précises de ces nombreux paramètres, Kramer et ses collaborateurs obtiennent bien évidemment une évaluation elle aussi ultra-précise de la masse des deux étoiles à neutrons. Le couple ensemble a une masse de 2,587052 (± 0,000009) M⊙, qui se répartit en  1,338185  (± 0,000014)  M⊙ pour le pulsar A et 1,248868 (± 0,000013) M⊙ pour le pulsar B.

Le système à double pulsar PSR J0737-3039A/B est, jusqu'à présent, le seul système où les orientations des deux spins par rapport au vecteur moment cinétique total peuvent être mesurées. Combiné à une connaissance détaillée de la vitesse des composantes du système et à des mesures de très haute précision des deux masses, ce système est de fait un laboratoire unique pour étudier l'évolution des systèmes binaires, les mécanismes des supernovas à effondrement de coeur, ainsi que la formation et la structure des étoiles à neutrons. Le double pulsar est certes un laboratoire riche pour une grande variété d'études astrophysiques, mais surtout pour tester la RG et ses alternatives. Pour cette dernière application, les observations passées et futures du système fournissent des contraintes qui se révèlent très complémentaires à d'autres méthodes, telles que les observations avec les détecteurs d'ondes gravitationnelles par interférométrie laser, l'imagerie des trous noirs supermassifs en interférométrie radio à très longue base, ou l'étude à haute résolution des orbites d'étoiles au plus près de Sgr A*. 

Pour l'instant, la théorie d'Einstein reste donc incontestée, mais les tests vont se poursuivre, que ce soit avec ce double pulsar en voie de devenir un archétype de laboratoire relativiste, ou avec d'autres cibles et d'autres méthodes, jusqu'à ce qu'on trouve la faille ! 

Source

Strong-Field Gravity Tests with the Double Pulsar
M. Kramer et al.
Physical Review X 11, 041050 (13 december 2021)


Illustrations

1. Vue d'artiste de PSR J0737-3039A/B (Michael Kramer (Jodrell Bank Observatory, University of Manchester))
3. Evolution du décalage du périastre cumulé en fonction du temps et comparaison avec la prédiction de la Relativité Générale (en rouge) et du cas sans ondes gravitationnelles (en pointillés) (Kramer et al.)

1 commentaire :

Julien Bernon a dit…

"Le pulsar A a une période de rotation intrinsèque de 23 ms tandis que le pulsar B possède lui une période de rotation 1000 fois plus longue, de 2,8 s."
Ne vouliez vous pas plutôt écrire "100 fois plus longue" ?