Une équipe d'astrophysiciens a réussi une belle prouesse : en imageant à très haute résolution le jet émanant du trou noir M87*, ils parviennent à déceler une forme en double hélice à l'intérieur du plasma formant le jet. Ils publient ces superbes images dans The Astrophysical Journal Letters.
C'est avec le VLA (Very Large Array) que Alice Pasetto (Institut de radioastronomie et astrophysique de Mexico) et ses collaborateurs en Espagne, Irlande, Etats-Unis et Australiens ont produit cette image du jet de M87* où l'on distingue très nettement une forme torsadée en double hélice, qui s'étend sur plusieurs milliers d'années-lumière.
Plus exactement, la matière du jet, du plasma fortement magnétisé, s'étend de 300 années-lumière jusqu'à 3300 années-lumière du trou noir géant (qui est situé à 55 millions d'années-lumière). C'est la première fois que l'on peut voir un effet du champ magnétique sur aussi longue distance.
Pasetto et ses collaborateurs ont réalisé des images radio avec le VLA à plusieurs longueurs d'onde différentes (entre 4 et 18 GHz.), ce qui permet de révéler pour la première fois la structure tridimensionnelle du champ magnétique dans ce jet. Ils ont également exploité la polarisation des ondes radio et mesuré l'intensité du champ dans différentes parties du jet, entre l'axe et les bords du jet. Il faut dire qu'ils atteignent une résolution spatiale de seulement 10 pc!... (32,6 années-lumière, alors qu'on se trouve à 55 millions d'années-lumière).
Les spécialistes s'attendaient certes à trouver un champ magnétique hélicoïdal dirigeant le jet de matière, mais ils ne s'attendaient pas à voir cette structure sur une distance aussi grande. Pour les astrophysiciens, des instabilités dans le flux de matière à l'intérieur du jet pourraient rendre le champ magnétique plus ordonné aux distances observées. On les appelles des instabilités de Kelvin-Helmholtz. Ces instabilités produisent en effet des régions de plus haute pression qui compriment les lignes du champ magnétique.
Les chercheurs pensent que cette interaction entre les instabilités de Kelvin-Helmholtz et le champ magnétique est à l'origine de la structure en double hélice qui est observée.
La polarisation de la lumière (les ondes radio ici en l'occurrence) est très utile pour étudier le champ magnétique. En effet, la matière des jets relativistes émet beaucoup d'énergie par le biais de l'émission synchrotron (produite par l'accélération ou freinage des électrons dans un champ magnétique). Or cette émission est intrinsèquement polarisée linéairement, et l'analyse de ses propriétés permet d'effectuer des études détaillées de la configuration du champ magnétique présent. L'intensité totale du rayonnement synchrotron radio est liée à l'intensité du champ magnétique, tandis que la direction de la polarisation est, elle, liée à l'orientation du champ magnétique projeté sur le plan du ciel. De plus, à partir de l'analyse des variations spatiales et spectrales des propriétés de polarisation, il est également possible de déduire la configuration 3D du champ magnétique. En particulier, pour un champ magnétique hélicoïdal, on s'attend à trouver des gradients de la "profondeur de Faraday" (ce qui provoque une rotation de la polarisation différente en fonction de la longueur d'onde) ainsi que des gradients du degré de polarisation (la fraction de l'émission polarisée dans l'émission totale).
C'est ce que Pasetto et son équipe ont exploité à partir de leurs observations à très haute résolution. Ils arrivent ainsi à mesurer un gradient de la profondeur de Faraday ainsi que du degré de polarisation à l'intérieur du jet, dans sa largeur. Ils trouvent un minimum au niveau de l'axe et des maxima sur les bords du jet. Pasetto et ses collaborateurs expliquent que le comportement de ces propriétés de polarisation dans la large gamme de fréquences observée est tout à fait compatible avec ce qu'on appelle une "dépolarisation interne de Faraday". Et selon eux, toutes ces caractéristiques soutiennent fortement la présence d'un champ magnétique hélicoïdal dans le jet de M87 jusqu'à 1 kpc du trou noir central, bien que le jet soit très probablement dominé par des particules à ces grandes échelles.
Les images antérieures du jet de M87 montraient des sortes de noeuds à intervalles réguliers. Les nouvelles images obtenues aujourd'hui avec le VLA dans sa configuration offrant la plus haute résolution confirment que ces noeuds ne sont rien d'autre que les zones de croisement de deux filaments structurés en double hélice. L'analyse des chercheurs indique que c'est cette structure hélicoïdale particulière issue d'instabilités de Kelvin-Helmholtz qui permet de maintenir un champ magnétique hélicoïdal à des échelles très grandes. Bien sûr, le jet de M87* n'est pas unique, et il est tentant de penser que le phénomène de torsade qui est vu ici existe dans les jets similaires d'autres galaxies à trou noir actif.
Avec l'instrumentation actuelle, seuls les objets les plus brillants et les plus proches pourraient être des cibles appropriées pour une telle étude. Mais les futurs radiotélescopes très sensibles, tels que SKA ou ngVLA, permettront d'explorer le lien existant entre les instabilités et les champs magnétiques dans les jets d'AGN. Les beaux indices fournis ici par M87 nous aident déjà à mieux comprendre les phénomènes magnétiques très importants autour des trous noirs supermassifs actifs, car omniprésents .
Source
Reading M87's DNA: A Double Helix Revealing a Large-scale Helical Magnetic Field
Alice Pasetto et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 923, Number 1 (7 december 2021)
Illustrations
1. Image radio à différentes longueurs d'ondes du jet de M87, la forme en double hélice est visible sur la moitié du jet qui s'étend sur 8000 années-lumière. (Pasetto et al., Sophia Dagnello, NRAO/AUI/NSF)
2. Image de propriétés de la polarisation révélant l'intensité et la direction des lignes de champ magnétique (Pasetto et al., Sophia Dagnello, NRAO/AUI/NSF)
1 commentaire :
Bonjour,
Quand on parle de double hélice, comment ne pas penser à la structure de l'ADN, découverte majeure de Watson et Crick en 1953 ? Je trouve fascinant l'identité de forme de 2 structures très organisées, mettant en jeu des objets si différents et à des échelles aussi éloignées ; une similitude toutefois : dans les 2 cas le maitre d'œuvre est la force électro-magnétique.
Même non significatives, comme c'est probablement le cas ici, la constatation des régularités du monde m'est une source d'émerveillement enfantin, et de gratitude à la science.
Bonne soirée
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