Les chercheurs de la collaboration internationale menée par le prix Nobel 2020 Reinhard Genzel ont utilisé l'interféromètre du Very Large Telescope de l'Observatoire européen austral (VLTI de l'ESO) pour obtenir des images qui permettent de zoomer 20 fois plus que ce qui était possible avant le VLTI. Les résultats publiés aujourd’hui s'appuient sur une étude de longue haleine sur les étoiles en orbite autour du trou noir supermassif de la Voie lactée, au cours de laquelle les astrophysiciens ont grandement amélioré leurs techniques d’analyse. Ils ont utilisé une technique d'apprentissage automatique, qui est basée sur ce qu'on appelle la « théorie des champs d'information » : l’idée est de créer un modèle de l'apparence des étoiles, de simuler la façon dont GRAVITY les verrait et ensuite de comparer cette simulation aux observations réelles de GRAVITY pour éliminer le plus de bruit possible. Le code développé que les chercheurs ont baptisé GRAVITY-RESOLVE est ainsi fondé sur une interprétation Bayesienne du processus d'imagerie. Les données d'entrée sont spécifiquement adaptées au centre galactique et prennent par exemple en compte une potentielle variabilité de Sgr A*.
Ces améliorations méthodologiques permettent de trouver plus d'étoiles à proximité du trou noir, en produisant les images les plus profondes et les plus nettes à ce jour de notre centre galactique.
Il faut dire que la tâche est rendue extrêmement difficile du fait que la zone ultra-centrale de la galaxie est surpeuplée d’étoiles.
Les observations rapportées ici dans ces deux papiers ont été effectuées entre mars et juillet 2021. L'étoile qui est nommée S29 détient un nouveau record, celui de l’étoile qui s’approche le plus près de Sgr A*. Son périastre a eu lieu en mai 2021. Elle est passée à une distance du trou noir de seulement 13 milliards de kilomètres, soit environ 90 unités astronomiques (la distance Terre-Soleil). Et vous vous doutez que lors d’un passage au périastre, la vitesse est maximale. Les chercheurs de la collaboration GRAVITY peuvent mesurer cette vitesse en comparant la position de S29 d’une image à l’autre au cours des quelques mois d’observation. A côté d’elle, les autres étoiles du champ ont l’air immobiles… S29 a atteint la vitesse stupéfiante de 8740 km/s, soit 2,9% de la vitesse de la lumière ! Aucune autre étoile n'a jamais été observée avec une telle vitesse. L'orbite de S29 est très excentrique : elle plonge littéralement vers le trou noir pour en repartir ensuite très loin : son excentricité vaut 0,97, pour une période de 90 ans.
En plus des étoiles du groupe S déjà connues qui entourent Sgr A*, une nouvelle étoile a été détectée sur les images, qui se déplace vers l'ouest à une vitesse angulaire élevée de 66 ms d'arc/an. Elle est détectée de manière très significative dans les observations de mars, mai et juin, mais n'est que faiblement reconnaissable dans l'exposition centrée sur Sgr A* de juillet, où elle est située à la plus grande distance du centre de l'image. Mais après avoir effectué des ajustements instrumentaux dans lesquels les fibres de GRAVITY sont décalées par rapport à Sgr A* les chercheurs ont retrouvé l'étoile à l'endroit attendu.
La nouvelle source ne correspond à aucune des étoiles S connues et n'est pas non plus présente dans le catalogue Gaia, elle a été baptisée S300. A partir du rapport de flux avec les étoiles connues dans le champ, en particulier S29 et S38, les astrophysiciens estiment sa magnitude entre 19,0 et 19,3.
Le suivi des étoiles du groupe S sur des orbites rapprochées permet de sonder avec précision le champ gravitationnel autour du trou noir supermassif, et donc de tester la Relativité Générale en même temps que de déterminer les propriétés du trou noir. L'une des plus célèbres étoiles du groupe est S2, dont l'orbite elliptique de 16 ans a été observée dans de nombreuses campagnes, notamment avec GRAVITY entre 2017 et 2019, l'étoile étant passée à son périastre en mai 2018. Outre les déterminations directes de la masse de Sgr A* et de sa distance, les données interférométriques ont fourni des preuves définitives des effets relativistes causés par le trou noir massif central sur S2, à savoir le décalage vers le rouge gravitationnel et la précession relativiste prograde.
En raison de sa courte période et de sa luminosité, S2 est l'étoile la plus proéminente du groupe S, mais l'imagerie et la spectroscopie à haute résolution, de qualité toujours plus élevée, de l'amas d'étoiles nucléaires au cours de presque trois décennies, ont tout de même livré une détermination précise de l'orbite d'environ 50 étoiles.
Les mouvements de S2 indiquent un périastre de 14 ms d'arc, soit 120 UA (ou encore 1400 fois le rayon de l'horizon de Schwarzschild. Sa vitesse maximale avait atteint 7700 km/s (2,6% de la vitesse de la lumière). S29 l'a donc détrônée de plus de 1000 km/s! En 2021, S2 s'était déplacée suffisamment loin de Sgr A* sur son orbite pour que GRAVITY puisse détecter des étoiles moins lumineuses dans le champ, comme S29, S38 et S55, dont les paramètres orbitaux ont ainsi pu être mesurés plus précisément .
Ces nouvelles observations, combinées aux données antérieures de la collaboration GRAVITY, confirment que les étoiles suivent exactement les trajectoires prédites par la Relativité Générale, si le trou noir a une masse de 4,297 ± 0,012 millions de masses solaires. C’est une nouvelle évaluation de la masse de Sgr A* qui est désormais la plus précise que nous ayons.
Les données ont également permis aux astrophysiciens de déterminer avec une meilleure précision la position du point central qui est le foyer de l’orbite elliptique des étoiles du groupe S, donc la distance qui nous sépare de Sgr A*. Cette nouvelle valeur de distance est 8277 ± 9 pc (26983 ± 29 années-lumière).
Les astrophysiciens travaillent déjà sur une version encore améliorée de l’instrument GRAVITY, qui est appelé GRAVITY+, toujours prévu pour pour faire interférer la lumière des 4 télescopes de 8,2 m du VLT en de l’ESO. L'équipe a pour objectif de trouver des étoiles si proches du trou noir que leurs orbites ressentiront les effets gravitationnels causés par la rotation de Sgr A*. Sans oublier le télescope ELT (Extremely Large Telescope), encore en cours de construction et qui permettra lui aussi d'observer les étoiles faiblement lumineuses à proximité du trou noir.
Sources
Deep Images of the Galactic Center with GRAVITY
GRAVITY Collaboration
à paraître dans Astronomy&Astrophysics (december 2021)
The mass distribution in the Galactic Centre from interferometric astrometry of multiple stellar orbits
GRAVITY Collaboration
à paraître dans Astronomy&Astrophysics (december 2021)
Illustrations
Images du centre galactique obtenues avec GRAVITY en mars, mai, juin et juillet 2021. On voit le mouvement rapide de l'étoile S29 (GRAVITY Collaboration)
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