mercredi 23 novembre 2022

L'étoile ultra-lointaine Earendel observée avec le télescope Webb


Le 30 mars dernier, je vous relatais l'observation de l'étoile individuelle la plus lointaine, grâce au télescope Hubble et un gros effet de lentille gravitationnelle, une étoile dénommée Earendel, située 900 millions d'années après le Big Bang (épisode 1315). Aujourd'hui, c'est avec le télescope Webb qu'a été observée cette étoile singulière, qui confirme sa distance et son amplification tout en contraignant sa taille. L'étude est parue dans The Astrophysical Journal Letters.

Dans certains cas d'alignement précis, les amas de galaxies peuvent amplifier la lumière des étoiles individuelles par des facteurs de plusieurs milliers, permettant à ces étoiles d'être vues au-dessus de la lumière de leurs galaxies hôtes. Les premières d'entre elles ont été découvertes en 2018 et 2019  sous forme de transitoires dans les images du télescope spatial Hubble à des redshifts allant de 1 à 1,5 (Kelly et al. 2018 ; Rodney et al. 2018 ; Chen et al. 2019 ; Kaurov et al. 2019). Et récemment des étoiles lentillées à de plus grandes distances ont été observées avec Hubble à z = 2,37 (Diego et al. 2022), mais aussi avec le Webb (dans le champ de l'amas Abell 2744 là où a été découverte la galaxie la plus lointaine, à z = 2,65 par Chen et al. 2022, papier soumis, mais non encore publié). Mais Earendel bat les records de distance avec son redshift de 6,2.
WHL 0137-LS, surnommée Earendel, avait été identifiée il y a un peu moins d'un an par Brian Welch (Université Johns Hopkins) et son équipe avec un décalage vers le rouge photométrique de 6,2 ± 0,1 sur la base d'images prises avec le télescope spatial Hubble. Les chercheurs sont donc restés focalisés sur le même objet mais ont changé de monture et d'optique : ils ont obtenu du temps d'observation sur le télescope Webb pour faire des images dans le proche infra-rouge de Earendel, dans 8 bandes de longueurs d'ondes allant de 0,8 mm à 5 mm grâce aux huit filtres du télescope. 35 minutes d'exposition leur ont suffi. 
Dans ces images à plus haute résolution, Earendel reste une source ponctuelle non résolue qui se trouve sur la courbe critique de l'effet de lentille, ce qui a pour effet de produire une très forte amplification. Les astrophysiciens  donnent la plage du grossissement de l'effet de lentille, qui dépend du modèle de masse de l'amas-lentille : entre 6000 et 35000 ! Wech et ses collaborateurs, grâce à la très bonne résolution du télescope Webb, peuvent maintenant aussi donner une dimension maximale pour cette étoile : entre 0,005 pc et 0,02 pc (en fonction du modèle de lentille adopté), soit entre 1000 et 4000 unités astronomiques. Selon eux, cela renforce l'idée d'une étoile unique mais il pourrait aussi s'agir d'un système d'étoiles multiple. 
En ajustant les grilles de spectres stellaires à la photométrie mesurée, les chercheurs déduisent une température stellaire comprise entre 13 000 et 16 000 K, en supposant que la lumière est dominée par une seule étoile. La luminosité bolométrique dans ce cas varie de 5,8 à 6,6 L⊙, ce qui est dans la gamme des étoiles variables géantes bleues lumineuses (étoiles de type B). Mais les données photométriques (signal mesuré en fonction de la bande spectrale) sont un peu déroutantes et correspondent mal à des étoiles connues. Cela pourrait indiquer, selon Welch et ses collaborateurs, la présence d'un système de plusieurs étoiles massives : deux étoiles de 30 masses solaires ou quatre étoiles de 20 masses solaires, ou encore deux étoiles de température différente. Par exemple, un ajustement avec une étoile de 9000 K accompagnée par une seconde à 34000 K fonctionnerait bien. Mais il resterait beaucoup de paramètres libres et donc peu de contraintes. Et dans ce cas, l'analyse devient bien plus compliquée car les deux étoiles subiraient une amplification différente... 
Une autre explication possible de la distribution spectrale d'énergie quelque peu déconcertante d'Earendel serait que certains des flux observés à travers plusieurs filtres sont affectés par des raies d'émission (par exemple, la raie du Civ à 1549 Å dans le filtre F115W, ou celle de O iii à 5007 Å dans le filtre F277W, ou la raie Hα dans le filtre F444W). Ces raies d'émission pourraient provenir soit d'un vent entourant l'étoile, soit d'une région d'hydrogène ionisé plus étendue et moins amplifiée, produite par Earendel elle-même, ou bien par d'autres étoiles massives dans son environnement. 
Pour résoudre cette énigme une spectroscopie avec le spectrographe de Webb (JWST/NIRSpec) devrait être effectuée sur Earendel. Ca tombe bien, parce que des observations de suivi avec NIRSpec sont d'ores et déjà prévues pour la fin 2022. 
On en saura alors encore un peu plus sur la nature de cet objet, qui présente une opportunité unique d'étudier les étoiles massives dans le premier milliard d'années de l'univers.

Source

JWST Imaging of Earendel, the Extremely Magnified Star at Redshift z = 6.2
Brian Welch et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 940, Number 1 (14 november 2022)

Illustration

Earendel imagée par l'instrument NIRCam du télescope Webb (Welch et al.)

1 commentaire :

Pascal a dit…

Bonsoir,

"La luminosité bolométrique dans ce cas varie de 5,8 à 6,6 L⊙"
Plus précisément c'est le Log de cette luminosité qui varie de 5.8 à 6.6 : la luminosité est donc de l'ordre du million de L⊙, ce qui est cohérent avec les précédentes données du HST (et le type stellaire).