Un trio de chercheurs (un allemand, un autrichien et un suisse), a découvert pour la première fois le noyau dépouillé d'une étoile massive : l'étoile brillante γ Columbae. Dans leur article publié dans Nature Astronomy, Andreas Irrgang, Norbert Przybilla et Georges Meynet décrivent cet objet unique et le travail qu'ils ont effectué pour vérifier sa composition.
γ Columbae est une étoile brillante qui fait partie des quelques milliers d'étoiles que nous pouvons observer directement à l'œil nu, de magnitude 4,36 dans la constellation australe de la Colombe. Elle se trouve à une distance de 870 années-lumière (267 pc). Intuitivement, on pourrait penser qu'une étoile aussi brillante a été bien étudiée dans le passé et qu'elle est maintenant bien comprise. Mais pas du tout.... Bien que des spectres à haute résolution et avec un rapport signal/bruit élevé aient été enregistrés sur cette étoile, il n'existe aucun rapport dans la littérature scientifique sur leur analyse pour la détermination des paramètres stellaires et des abondances des éléments chimiques. Ces spectres ont uniquement été utilisés pour classer l'objet comme une étoile candidate à pulsation lente de type spectral B sur la base de distorsions dans les profils de raies ou pour effectuer des mesures du champ magnétique, ce qui a d'ailleurs conduit à des résultats contradictoires. L'analyse spectrale quantitative qui est présentée ici par Irrgang et ses collaborateurs révèle que γ Columbae, qui ressemble à première vue à une étoile typique du voisinage solaire, est tout sauf normale. Alors que les paramètres atmosphériques, température effective (Teff = 15570 ± 320 K) et gravité de surface, indiquent que l'étoile pourrait simplement être une sous-géante ordinaire de classe spectrale B, les chercheurs montrent qu'une histoire évolutive standard doit être exclue, sur la base des abondances de surface dérivées de l'hélium, du carbone et de l'azote, qui, contrairement à celles de plusieurs éléments chimiques plus lourds, sont complètement différentes des étoiles normales.
Irrgang et al. mettent en évidence que le modèle d'abondance particulier de γ Columbae est plutôt caractéristique du cycle carbone-azote-oxygène (CNO), qui est le mécanisme de génération d'énergie au cœur des étoiles plus massives que le Soleil. Ces étoiles fusionnent l'hydrogène en hélium par le biais de cycles de réaction qui impliquent des isotopes de carbone, d'azote et d'oxygène comme catalyseurs. Les signatures qualitatives typiques du cycle CNO sont des abondances accrues d'hélium et d'azote aux dépens d'abondances réduites d'hydrogène, de carbone et d'oxygène. Comme les rapports quantitatifs d'abondance de ces éléments sont très sensibles aux propriétés du plasma stellaire, en particulier à sa température, ils constituent d'excellentes sondes pour les conditions à l'intérieur des régions de combustion de l'hydrogène, c'est-à-dire pour les noyaux des étoiles.
Le noyau stellaire est la partie la plus interne d'une étoile. Le plus souvent, ces noyaux sont recouverts d'une enveloppe opaque. La théorie de l'évolution des étoiles a suggéré que de tels noyaux pouvaient parfois apparaître sans leur enveloppe si des conditions se présentent pour la disparition de cette enveloppe. Ce n'est que dans de très rares cas que les étoiles peuvent exposer ainsi leur cœur, par exemple lorsqu'une infime partie d'entre elles évoluent en étoiles dites de Wolf-Rayet ou en étoiles sub-naines chaudes à l'hélium. Mais jusqu'à présent, cela n'avait jamais été observé.
Irrgang et ses collaborateurs étudiaient un groupe d'étoiles et ils ont constaté par hasard dans leurs données spectroscopiques et photométriques que l'une d'entre elles, γ Columbae, était inhabituelle. Cela les a conduits à examiner de plus près le spectre lumineux émis par l'étoile et, ce faisant, à découvrir la preuve de l'absence d'enveloppe par l'observation des signatures du cycle CNO. Il s'agissait donc bien d'un coeur à nu. Ils observent par ailleurs une pulsation de cette étoile, qui montre qu'elle est encore dans une courte phase de réajustement structurel post-dépouillement.
La raison pour laquelle γ Columbae se retrouve dans cet état est probablement que c'était une étoile massive qui avait épuisé son hydrogène. Son enveloppe se serait alors dilatée et l'interaction avec une compagne aurait pu conduire à l'éjection de l'enveloppe. Les chercheurs rappellent que l'on connaît depuis longtemps deux classes d'étoiles massives qui présentent des signatures CNO hautement transformées : les étoiles ON dans la gamme de masse d'environ 20-25 M⊙, et les étoiles Wolf-Rayet qui représentent le stade évolutif tardif d'étoiles initialement très massives (genre 60 M⊙) dont les vents puissants sont capables de dépouiller leurs enveloppes et d'exposer leurs noyaux, mais le mécanisme précis d'enrichissement en CNO pour les étoiles ON n'est toujours pas clair. Comme les membres de ces deux classes sont beaucoup plus massifs et plus chaudes (Teff ≳ 30 000 K) que γ Columbae, et qu'elles présentent une signature complète du cycle du CNO, une origine commune avec γ Columbae est hautement improbable selon les chercheurs.
C'est ce qui les fait d'avantage pencher vers un processus de dépouillement par transfert de masse dans un système binaire. La classe des étoiles sous-naines chaudes à l'hélium a été suggérée comme étant le résultat d'une telle interaction binaire qui transforme une étoile donneuse de faible masse en un objet chaud (Teff ≳ 35 000 K) et compact d'environ 0,5 M⊙ dont les abondances de surface montrent de lourdes empreintes du cycle CNO. Bien que γ Columbae soit clairement différente d'une étoile sous-naine chaude en termes de paramètres atmosphériques, elle pourrait encore être une étoile dépouillée dans un système binaire, à condition que l'étoile donneuse de faible masse soit remplacée par une étoile plus massive.
Si l'expansion de l'enveloppe se produit dans un système binaire, cette expansion peut en effet conduire à un échange de masse entre les deux composantes, qui est dynamiquement stable pour des rapports de masse qui ne sont pas trop extrêmes, par exemple pour des masses de 12 M⊙ pour la composante primaire et 5 M⊙ pour la composante secondaire. Un modèle d'évolution binaire adapté pour un tel système montre que le dépouillement peut effectivement conduire à un coeur exposé d'environ 4 M⊙, qui serait alors la composante la moins lumineuse du système binaire. Et comme il n'y a pas d'indications pour une compagne lumineuse à proximité de γ Columbae, ce scénario ne peut pas être valable ici, remarquent les auteurs. Mais si la masse de la compagne est inférieure à 3 M⊙, le transfert de masse devient instable, ce qui donne lieu à une phase dite d'enveloppe commune, dans laquelle les deux composantes orbitent l'une autour de l'autre à l'intérieur de l'enveloppe étendue de l'étoile donneuse. Bien que la physique détaillée de cette phase complexe ne puisse pas encore être modélisée avec précision, la conservation de la quantité de mouvement et de l'énergie impose que les deux composantes entrent en spirale et que l'enveloppe commune soit finalement expulsée du système, laissant derrière elle un noyau dénudé dont la compagne de faible masse, toujours là, est suffisamment faible pour passer inaperçue à côté de lui. Bien que ce scénario ne soit pas improbable étant donné que les rapports de masse extrêmes sont assez courants pour les systèmes binaires qui contiennent des étoiles massives, aucun système de ce type n'a encore été signalé.
Pour tester ce scénario, Irrgang et ses collaborateurs ont suivi l'évolution d'un modèle stellaire de 12 M⊙ en supposant que l'éjection de l'enveloppe commune est enclenchée peu après l'épuisement de la fusion de l'hydrogène central. Le résultat qu'ils obtiennent est en accord qualitatif avec des modèles d'évolution binaire plus sophistiqués. Avant de se terminer comme un objet chaud et compact, ce qui est le destin typique des étoiles dénudées, le modèle stellaire devient sensiblement plus froid et moins lumineux, en conséquence des réajustements structurels déclenchés par la chute soudaine de masse, reproduisant la position actuellement observée de γ Columbae dans le diagramme de Hertzsprung-Russell (luminosité en fonction de température).
Les chercheurs précisent que l'échelle de temps de cette restructuration dynamique et thermique est de l'ordre de 10 000 ans, soit seulement un millième de la durée de vie totale d'une étoile de 12 M⊙. En raison de la rareté des étoiles massives, on s'attendrait donc à ne trouver que très peu d'objets dans cette phase évolutive extrêmement brève parmi les étoiles massives connues dans la Voie Lactée. Cela fait de l'étoile brillante γ Columbae un banc d'essai unique pour l'évolution stellaire (binaire). A l'heure actuelle, très peu de systèmes stellaires ont été découverts comme pouvant accueillir une étoile dépourvue d'hélium. Et γ Columbae avec une masse comprise entre 4 M⊙ et 5 M⊙ se distingue par sa masse plus importante que celle de ces candidates (d'environ 1 M⊙).
Les signatures observationnelles possibles pour un tel scénario d'enveloppe commune pourraient inclure des variations de vitesse radiale et une rotation stellaire prononcée, qui n'ont pas encore été observées dans le cas de γ Columbae. L'intensité des changements de vitesse dépend de l'inclinaison entre l'axe orbital du système binaire et la ligne de visée, ainsi que de la masse de l'étoile compagne, deux paramètres inconnus. L'absence de variations notables de la vitesse radiale observée pourrait aussi être expliquée par le fait que la compagne engloutie ait été soit évaporée, soit fusionnée avec l'étoile primaire. Pour les chercheurs, ce scénario n'est pas improbable. Ils estiment que la séparation orbitale originale devait être très petite, ce qui augmente la probabilité d'une fusion pendant la phase d'enveloppe commune. De plus, l'énorme quantité de masse qui a été expulsée pendant la phase d'enveloppe commune a également emporté beaucoup de moment cinétique du système, ce qui expliquerait la faible valeur de la vitesse de rotation projetée.
Intuitivement, on pourrait s'attendre à ce que l'éjection de 7 à 8 M⊙ d'enveloppe stellaire il y a moins de quelques milliers d'années laisse derrière elle une signature observationnelle facilement détectable sous forme, par exemple, d'émission de poussière infrarouge. Mais aucun indice de matière circumstellaire n'est trouvé dans les images infrarouges enregistrées par la mission WISE (Wide-field Infrared Survey Explorer). Comme l'éjection d'une enveloppe commune se produit à peu près à la vitesse d'échappement de la surface de l'objet, on peut s'attendre à ce que le matériau éjecté s'étende aujourd'hui sur une région de plusieurs parsecs, ce qui se traduit par un diamètre de quelques dizaines de minutes d'arc à la distance de l'étoile, ce qui conduit à une densité moyenne de quelques particules par centimètre cube, à peine supérieure à la densité ambiante du milieu interstellaire. Dans le scénario d'éjection de l'enveloppe décrit par les chercheurs, la composition chimique des éjectas serait également de composition vierge, c'est-à-dire principalement de l'hydrogène et de l'hélium. La faible densité du matériau et la composition chimique rendrait l'éjection difficile à détecter, en particulier parce que γ Columbae n'est pas encore assez chaude pour photoioniser et exciter ce matériau...
A l'heure actuelle, γ Columbae brûle de l'hélium, mais à un moment donné, elle commencera à fusionner des éléments plus lourds jusqu'à ce qu'elle explose sous la forme d'une supernova à noyau dénudé, une supernova de type Ib, pour former une étoile à neutrons. γ Columbae ouvre la voie à l'obtention d'informations précieuses sur la physique des étoiles (uniques et binaires), plus particulièrement en ce qui concerne l'astrophysique nucléaire et l'évolution des enveloppes communes. Et elle fournit surtout des contraintes observationnelles sur la structure et l'évolution des étoiles massives dépouillées de leur enveloppe.
Source
γ Columbae as a recently stripped pulsating core of a massive star
Andreas Irrgang, Norbert Przybilla & Georges Meynet
Nature Astronomy (31octobre 2022)
Illustrations
1. Gamma Columbae (DSS2)
2. Schéma du dépouillement d'enveloppe après une phase d'enveloppe commune (YAO)
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