samedi 5 novembre 2022

Découverte d'un trou noir en orbite d'une étoile de type solaire, à 1565 années-lumière


Le trou noir stellaire le plus proche de la Terre vient d'être identifié à 1565 années-lumière (480 pc), grâce à l'observation du mouvement de l'étoile qui l'accompagne dans un système binaire. Cette identification a été rendue possible grâce aux données de haute précision du télescope Gaia. L'étude est parue dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.

Ce trou noir a été baptisé Gaia BH1. Il est en orbite autour d'une étoile similaire au Soleil et il est du type "dormant", c'est à dire qu'il n'accrète pas de matière et n'est donc pas visible par le rayonnement d'échauffement de cette dernière. La seule façon de déceler ce type de trou noir, c'est d'avoir la chance qu'il forme un couple avec une autre étoile dont on pourra observer les mouvements en détail. Et l'observation d'un mouvement de rotation autour de rien de visible indique la présence possible d'un astre compact. Ensuite, les paramètres orbitaux de cette étoile ainsi que la détermination de sa masse via son rayonnement propre, permettent de déterminer quelle doit être la masse de l'objet invisible autour duquel elle évolue. Et si la masse est supérieure à 2,5 masses solaires et qu'on n'observe aucun rayonnement dans n'importe quelle longueur d'onde, il ne peut s'agir que d'un trou noir. 
C'est ce qu'ont fait Kareem El-Badry (Max Planck Institut für Astronomie) et ses collaborateurs. Parmi les quelques dizaines de trous noirs stellaires qui ont été détectés à l'aide de télescopes, la plupart orbitent autour d'une étoile compagne suffisamment proche pour qu'un disque d'accrétion se forme et émette des rayons X. Il existe 20 binaires à rayons X connues de ce type, et 50 autres objets candidats. Quant aux trous noirs quiescents (ou dormants), plusieurs découvertes ont été annoncées au cours des dernières années, mais une seule (le système binaire VFTS 243, en juin 2022 dont El-Badry est le coauteur), a survécu aux vérifications. C'est l'utilisation des mesures de vitesse de Gaia associées aux mesures de décalages spectraux avec les télescopes Keck, Magellan et Gemini Nord, qui a permis aux chercheurs de déterminer précisément les paramètres du couple. Gaia fournit des données de haute qualité pour 168065 systèmes binaires dans son troisième catalogue, ce qui donnent un espoir de trouver les rares binaires à trou noir parmi les nombreuses binaires ordinaires.
En appliquant des critères de sélection particulièrement drastiques, les chercheurs ont réduit leur ensemble à six candidats possibles. Ces six candidats ont été examinés de plus près, avec l'aide des mesures de vitesse radiale dérivées des spectres des étoiles. A partir des données spectrales existantes, disponibles dans les archives, El-Badry et al. ont pu écarter d'emblée trois des six binaires candidates. Pour elles, les données de vitesse radiale disponibles contredisaient la reconstruction de l'orbite par Gaia.
Puis une autre candidate a pu être exclue en raison du mauvais ajustement des données Gaia à l'orbite reconstruite, qui donnait une période orbitale si longue que Gaia n'aurait pas dû être en mesure de la mesurer. La cinquième candidate est encore à l'étude, dans l'attente de mesures spectrales supplémentaires. Et la sixième était la bonne.  Son nom officiel, c'est Gaia DR3 4373465352415301632, que les chercheurs ont judicieusement baptisée Gaia BH1. La reconstruction orbitale est conforme, Gaia BH1 est un système avec un objet invisible d'une masse de 9,62 masses solaires orbitant autour d'une étoile très similaire au Soleil (type G de masse 0,93 masses solaires, et température de 5850 K), avec une période orbitale de 185,6 jours. La distance séparant le trou noir et la compagne est à peu près égale à la distance moyenne Terre-Soleil. C'est la plus longue période orbitale observée pour un couple comportant un trou noir, et de loin, puisque cette orbite est 10 fois plus grande que toutes les binaires à trous noirs connues.
Gaia BH1 avec sa distance de 1565 années-lumière (480 pc), devient le trou noir le plus proche de nous, battant le record de son prédécesseur par un facteur 3 (dans la binaire X A0620-00 située à 1440 pc). Mais il est aussi un peu déroutant, ce trou noir dans ce système binaire...  Les chercheurs notent que pour produire un trou noir aussi massif, l'étoile progénitrice aurait dû avoir une masse d'au moins 20 masses solaires, ce qui signifie que sa durée de vie aurait été très courte, de l'ordre de quelques millions d'années. Si les deux étoiles du couple s'étaient formées en même temps, cette étoile massive se serait transformée en supergéante, gonflant et engloutissant l'espace bien au-delà de l'orbite commune des deux étoiles, avant même que l'autre étoile ait eu le temps de devenir une véritable étoile brûlant de l'hydrogène, ce qu'on appelle une étoile de la séquence principale. Cette étoile compagne n'aurait tout simplement pas pu survivre à cet épisode et se retrouver aussi apparemment normale que l'indiquent les observations actuelles. 
Plusieurs scénarios sont donc mis sur la table. Les deux étoiles originelles auraient pu se former au sein d'un amas d'étoiles, par exemple. Dans ce cas, au départ, elles auraient été considérablement plus éloignées les unes des autres, de sorte que la phase supergéante de l'étoile massive n'aurait pas perturbé l'évolution de l'étoile de masse solaire. Des rencontres rapprochées du système avec d'autres étoiles de l'amas auraient pu par la suite modifier l'orbite pour la ramener à sa taille actuelle, beaucoup plus petite.
Une autre hypothèse qui est suggérée est que le système pourrait en fait avoir non pas deux, mais trois composantes : Deux étoiles massives au lieu d'une, en orbite étroite l'une par rapport à l'autre, et l'étoile de masse solaire unique en orbite autour de la paire massive, à une plus grande distance. Les deux étoiles massives se seraient mutuellement empêchées de se transformer en supergéantes. Dans ce cas, ce qu'on croit être un trou noir de 10 masses solaires pourrait en fait être une paire de trous noirs en orbite étroite l'un autour de l'autre de 10 masses solaires au total. Des observations futures pourraient confirmer ou infirmer cette possibilité, une paires d'objets compacts en rotation n'exerçant pas tout à fait les mêmes forces gravitationnelles qu'un objet unique.
Statistiquement parlant, la proximité de ce trou noir implique qu'il devrait exister de nombreux systèmes similaires dans la galaxie. El-Badry et ses collègues estiment que la prochaine publication des données Gaia, la Data Release 4, qui est attendue fin 2025, devrait permettre la découverte de dizaines de systèmes similaires.
Selon les chercheurs, Gaia BH1 restera probablement l'un des trous noirs les plus proches avec une période orbitale inférieure à 1000 jours, mais des trous noirs binaires encore plus proches de nous peuvent être découverts avec des orbites à plus longue période, qui n'ont pas encore pu être caractérisées avec les données du 3ème catalogue de Gaia.
Pour conclure leur article, El Badry et ses collaborateurs s'amusent à raconter ce que va devenir cette binaire dans quelques milliards d'années : l'étoile de type G deviendra une géante rouge (à l'image du Soleil). Après une période brillante en rayons X au cours de laquelle elle transférera de la masse au trou noir (ou aux trous noirs), le système terminera son évolution en tant que binaire trou(s) noir(s) + naine blanche. Si le système s'avère être l'hôte d'un couple de trous noirs, cette évolution pourrait être brutalement interrompue par la fusion des deux trous noirs : le recul du trou noir résultant de la fusion pourrait expulser la naine blanche, la laissant seule, et restant seul, assurément bien seul cette fois.

Source

A Sun-like star orbiting a black hole 
Kareem El-Badry et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, stac3140  (02 November 2022)


Illustration

Orbite du système binaire de BH-1 (T. Müller (MPIA), PanSTARRS DR1 (K. C. Chambers et al. 2016), ESA/Gaia/DPAC)

2 commentaires :

Unknown a dit…

Bonjour,

Un paramètre de ce système me surprend car il est très inhabituel, il me semble :
" Gaia BH1 est un système avec un objet invisible d'une masse de 9,62 masses solaires orbitant autour d'une étoile très similaire au Soleil (type G de masse 0,93 masses solaires(...)"

Comment se fait-il que ce soit l'objet de 9 masses solaires qui orbite autour d'un objet de 1 masse solaire ? Ne devrait-il pas orbiter autour d'un barycentre commun très proche du trou noir de 9 masses ??

Dr Eric Simon a dit…

Techniquement, si on se place du point de vue du trou noir, l'étoile tourne autour, et si on se place du point de vue de l'étoile, le trou noir tourne autour. Evidemment les deux tournent autour du barycentre.