jeudi 17 novembre 2022

PSR J1311-3430, un pulsar aux éruptions X déroutantes


L'analyse des données archivées du télescope spatial XMM-Newton a dévoilé une variabilité très inhabituelle dans l'émission en rayons X mous de PSR J1311-3430, un pulsar milliseconde veuve noire en couple serré avec une étoile compagne de très faible masse (M ∼ 0,01 
M). Une périodicité de 2h transitoire est observée alors que la période orbitale du couple est de 1,5 heure. Aucun modèle n’explique cette observation… L’étude est publiée dans Astronomy&Astrophysics.

La population des pulsars millisecondes comporte une fraction non négligeable de systèmes binaires (un peu moins de 60 %, selon la base de données de pulsars ATNF). Parmi eux, ceux dont les orbites sont très serrées (période orbitale ≪ 1 jour) présentent un grand intérêt, surtout lorsqu’ils contiennent une étoile compagne de très faible masse, on parle alors de " veuves noires " (masse de l'étoile compagne < 0,1 M) et de " dos rouges " (masse de l'étoile compagne entre 0,1 et 0,3 M). Les veuves noires ont des étoiles compagnes fortement dégénérées, en cours d'évaporation par le rayonnement du pulsar, qui sont donc en train de devenir des pulsars millisecondes isolés, tandis que les dos rouges ont des étoiles compagnes partiellement dégénérées et sont supposés être des systèmes en transition, dans lesquels le transfert de masse depuis la compagne s'est temporairement arrêté. Tous ces systèmes sont cruciaux pour comprendre le scénario global du recyclage des pulsars et le processus d’ablation de l’étoile compagne. Ils sont aussi de formidables laboratoires pour étudier l'accélération, la composition et la dynamique des chocs des vents hautement relativistes des pulsars.

PSR J1311-3430 est un pulsar binaire qui est connu pour présenter une émission éruptive dans l'optique et dans les rayons X. PSR J1311-3430, a été découvert en 2012 en rayons γ (E > 100 MeV) avec Fermi/LAT et peu après, en 2013, il a également été détecté comme un pulsar radio. Ce pulsar est de type milliseconde avec une période de rotation de 2,5 ms, dans un système binaire serré (période orbitale de 93,8 min) avec une étoile de très faible masse (M ∼ 0,01 M). La rotation de l'étoile compagne est verrouillée à la période orbitale par effet de marée. Le côté de l'étoile faisant face au pulsar est chauffé à 14 000 K, tandis que le côté opposé est beaucoup plus froid (4500 K). Couplé aux variations ellipsoïdales dues à la déformation de marée de l'étoile, cela produit une modulation très importante (4 mag) du flux et de la couleur de la contrepartie optique visible, qui suit la période orbitale. Le rayonnement du pulsar alimente également un vent évaporatif intense et très variable sur l'étoile compagne, qui semble être entièrement dépourvue d’hydrogène.

Mais ce qu’ont observé Andrea De Luca (INAF) et ses collaborateurs italiens dans les données de XMM-Newton du 9 février 2018, c’est une série de six impulsions de rayons X avec un temps de récurrence régulier de 124 min, qui étaient visibles dans la gamme 0,2-10 keV. Le système a également présenté une éruption initiale brillante et une phase de quiescence de plusieurs heures. Les chercheurs italiens montrent que le spectre des rayons X ne change pas pour les différentes impulsions et il est conforme à une loi de puissance avec un indice Γ ∼ 1,6. Or, les observations simultanées dans la bande optique avec le moniteur optique à bord de XMM et au sol à l'observatoire de Las Cumbres ne montrent pas de contrepartie optiques de ces impulsions X, elles affichent uniquement la modulation orbitale bien connue du système. Le fait qu’une émission ne soit pas associée à la variabilité orbitale, est généralement interprété comme étant le produit de chocs intra-binaire entre les vents du pulsar et de l'étoile compagne. Mais le mystère ici c’est la structure temporelle de ces éruptions X, qui montre une période décorrélée de la période orbitale ou de la période de rotation de l’une ou l’autre des deux composantes.


Pour De Luca et son équipe, l'interprétation des impulsions périodiques de rayons X de PSR J1311-3430 est un défi. En plus de la périodicité de 124 min qu’il faut pouvoir expliquer, il y a aussi le fait que le phénomène observé soit de nature transitoire. La série d'impulsions commence au milieu de l'observation XMM-Newton de 2018, après une phase d'émission de rayons X quiescente de plusieurs heures. Mais elle n'était pas observée dans une observation plus longue de XMM-Newton réalisée en 2014. Troisièmement, les impulsions sont observées dans des configurations géométriques très différentes du système binaire, se produisant soit à la conjonction supérieure de l'étoile compagne, à la conjonction inférieure, au nœud ascendant ou au nœud descendant. Quatrièmement, l'énergie des impulsions est très élevée. En supposant une distance de 1,4 kpc, on obtient un pic de luminosité de l'ordre de 3,3 × 1032 erg s-1 (soit près de 1% de la perte d’énergie de rotation du pulsar mesurée par la dérivée de sa période de rotation) et cela fait une énergie intégrée de plus de 1035 erg par impulsion. Cinquièmement, malgré une très grande variation du flux de rayons X, la forme du spectre d'énergie ne change pas dans les impulsions, l'émission étant toujours bien décrite par une loi de puissance plate avec un indice Γ ∼ 1,6.

Comme on l’a dit, PSR J1311-3430 était déjà connu pour avoir produit en 2012 de grandes éruptions (jusqu'à 1033 erg s-1) dans les domaines d'énergie optique et X. Et ce comportement avait également été observé au début de l'observation de 2018 par XMM-Newton, mais jamais de façon périodique.

De Luca et ses collaborateurs posent sur la table plusieurs explications possibles mais aucune d’entre elles ne permet d’expliquer pleinement ce qui est observé. La première explication est qu’il pourrait s’agir simplement d’une série (quasi-) périodique des types d’éruptions précédentes. Mais le problème ici c’est que ces éruptions X étaient corrélées avec une émission optique via l’échauffement de la photosphère de l’étoile compagne, ce qui n’était pas vu ici. Une certaine variation spectrale des rayons X associée aux impulsions serait également attendue (comme observé pour les éruptions de rayons X déjà connues du système).

La deuxième idée repose sur l'analogie possible des impulsions de PSR J1311-3430 avec le comportement d'éruption observé dans d'autres pulsars millisecondes binaires. Les systèmes binaires transitoires montrent une commutation particulière entre différents modes d'émission de rayons X pendant leur phase LMXB (accrétion), l'un des modes consistant en l'émission de séries d'éruptions erratiques. De telles éruptions se produisent sur des échelles de temps variées, de quelques secondes à environ 1 h, et présentent parfois un modèle quasi périodique, ce qui rappelle la série d'impulsions observées dans le PSR J1311-3430. Mais là encore, De Luca et son équipe expliquent que les pulsars transitoires de ce type, dans leur mode d'éruption, montrent une émission corrélée dans les rayons X et dans le domaine de l'infrarouge proche à l'ultraviolet proche, ce qui n'est pas le cas de leurs observations. Et puis la luminosité des éruptions de rayons X des pulsars transitoires est de l’ordre de  2 à 7 × 1034 erg s-1, comme l’ont montré Papitto & de Martino récemment, donc 100 fois plus élevée que celle des impulsions de PSR J1311-3430…

La troisième idée évoquée fait intervenir l’émission synchrotron produite lors du choc des vents intra-binaires (entre les deux étoiles). L'interprétation des impulsions dans le cadre de ce scénario n'est pas facile, selon les auteurs. De grandes inhomogénéités dans le vent de l'étoile compagne seraient nécessaires pour déclencher des changements majeurs dans la luminosité du choc des vents et/ou dans son modèle d'émission. De plus, l'explication de la périodicité est encore plus difficile : d'une part, un mécanisme inconnu (et transitoire) produisant des variations périodiques dans les propriétés du vent de l'étoile compagne serait nécessaire ; d'autre part, il semble difficilement concevable d'observer des impulsions avec des propriétés similaires mais associées à des phases orbitales totalement différentes du système, compte tenu du rôle majeur de la géométrie de visée.

Une quatrième idée est proposée par De Luca et ses collaborateurs, celle de la présence d’un troisième corps dans le système. Il pourrait s’agir d’une planète, comme dans le cas de PSR B1257-20 autour duquel ont été découvertes les deux premières exoplanètes en 1992, même si des planètes autour d’étoiles à neutrons sont très rares. Une planète pourrait interagir avec le rayonnement et le vent du pulsar et produire les impulsions de rayons X observées (par un choc ou par bremsstrahlung non-thermique). Cette planète devrait donc avoir une période orbitale de 124 min, ce qui impliquerait une orbite seulement 20% plus grande que celle de l'étoile compagne connue. Les chercheurs relèvent que cela poserait de graves problèmes pour expliquer la stabilité à long terme du système. Par ailleurs, l'absence de toute preuve directe d’un troisième corps putatif dans le proche infrarouge et l'optique est un autre problème de cette idée, sans compter le comportement transitoire des impulsions, difficilement compatible avec une planète en orbite.

Les astrophysiciens italiens dégainent une cinquième idée alternative : la présence d’un "blob" dense de gaz ablaté en orbite. Un tel blob, provenant d'inhomogénéités dans le vent de l'étoile compagne et/ou d'instabilités dans le flux post-choc, devrait être confiné dans la région occupée par le vent de l'étoile compagne choqué et il participerait au mouvement vers l'extérieur du vent choqué à une vitesse comparable à la vitesse orbitale de l'étoile. Les pulsars veuves noires et dos rouges montrent en effet à la fois des éclipses régulières qui se produisent à des phases orbitales sporadiques, leur phase orbitale n'est pas stable d'une orbite à l'autre, indiquant probablement de tels blobs de matière intra-binaire. Mais De Luca et al. précisent qu’il serait quand même difficile d'expliquer la forte production de rayons X dans un flux aussi lent et la persistance d'une périodicité régulière dans l'émission sur environ huit révolutions du système. Pour évaluer la viabilité réelle de cette hypothèse, des calculs et une modélisation détaillée seraient nécessaires, selon les auteurs.

Pour comprendre l’origine de ces éruptions X périodiques, peut-être faut-il chercher dans d’autres données. Les astrophysiciens Romani et al. ont publié en 2015 des spectres de PSR J1311-3430 pour montrer son évolution spectrale dans le domaine optique en fonction de la phase orbitale, des données obtenues avec le télescope Keck en février 2013, et qui couvraient environ trois périodes orbitales. De Luca et ses collaborateurs notent une caractéristique très intéressante dans ces spectres. Il existe une série de trois "éruptions" brillantes, consistant en une émission de la raie He I uniquement (donc, provenant du gaz circumstellaire), qui est clairement apparente dans la partie rouge du spectre. Et on peut facilement voir que leur espacement temporel est à peu près le même que celui qui est observé entre les impulsions de rayons X. Il est très tentant de relier ces trois éruptions d'émission de la raie He I au même phénomène que De Luca et al. ont observé dans les données de XMM-Newton de  2018. L'émission de la raie He I pourrait possiblement être excitée par des impulsions périodiques de rayons X. Dans cette hypothèse, d'une part, l'étude et la modélisation des données optiques de Keck de 2013 pourraient contraindre la position du gaz illuminé par les impulsions de rayons X, et donc contraindre la région émettrice des impulsions elles-mêmes. D'autre part, cela indiquerait que le mécanisme périodique déclenchant les impulsions aurait un cycle de fonctionnement important, s’il existait déjà en 2013, et il qu’il y aurait donc de grandes chances de l'observer à nouveau.

Des nouvelles observations simultanées en rayons X et en spectroscopie optique de PSR J1311-3430 pourraient donc faire la lumière sur ce phénomène déroutant, qui est potentiellement très intéressant pour notre compréhension des systèmes veuves noires et de l'évolution globale des pulsars millisecondes.

 

Source

A puzzling 2-hour X-ray periodicity in the 1.5-hour orbital period black widow PSR J1311−3430

Andrea De Luca et al.

Astronomy&Astrophysics 667 L7 (11 November 2022)

https://doi.org/10.1051/0004-6361/202244643


Illustrations

1. Vue d'artiste d'un pulsar binaire de type veuve noire (Knispel/Clark/Max Planck Institute for Gravitational Physics/NASA GSFC)

2. Pulsations en rayons X comparées aux pulsations optiques de PSR J1311−3430 (De Luca et al.)


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