dimanche 18 juin 2023

Découverte d'une seconde naine blanche pulsar


Une équipe de chercheurs britanniques, allemands et sud-africains viennent de découvrir une seconde naine blanche pulsante en ondes radio et en rayons X, après avoir découvert la première du genre en 2016 (AR Sco). Cette seconde naine blanche "pulsar" est nommée J1912-4410. Ils publient deux articles, le premier dans Nature Astronomy, sur la découverte, et le second dans Astronomy&Astrophysics sur le rayonnement X de la naine blanche.

AR Scorpii (AR Sco) qui avait été découverte en juillet 2016 par l'équipe de Tom Marsh (université de Warwick), disparu prématurément en décembre 2022, était l'un des systèmes binaires à naine blanche les plus remarquables identifiés à ce jour. AR Sco est composé d'une étoile naine de type M (une naine rouge) et d'une naine blanche, en rotation rapide sur une orbite de 3,56 h. Et cette naine blanche montre une émission pulsée avec une période de 1,97 min sur une large gamme de longueurs d'onde, ce qui lui a valu d'être connue depuis sous le nom de "naine blanche pulsar". Mais le mécanisme d'impulsion et l'origine évolutive de AR Sco posent des défis aux modèles théoriques.
AR Sco est détectée sur une large gamme de longueurs d'onde, de la radio aux rayons X. Le ralentissement de la rotation de sa naine blanche en rotation rapide fournit suffisamment d'énergie pour alimenter les impulsions mais le mécanisme d'entraînement exact n'est pas entièrement compris. Contrairement à la situation des pulsars d'étoiles à neutrons, où aucune compagne n'est requise, la binarité semble ici jouer un rôle important dans les impulsions d'AR Sco. La périodicité observée de 1,97 min est cohérente avec la fréquence de battement entre la période de rotation de 1,95 min de la naine blanche et la période orbitale de 3,56 h. Cela suggère que c'est l'interaction entre la naine blanche et la naine rouge qui est à l'origine du mécanisme d'impulsion. Les modèles proposés pour l'origine de l'émission incluent la surface ou les boucles coronales de l'étoile naine compagne, la magnétosphère de la naine blanche, ou la surface de la naine blanche.
Bien que quelques systèmes aient été proposés comme naines blanches pulsars potentiels en 2020 et 2021 par l'équipe de Taichi Kato (université de Kyoto), aucun d'entre eux n'a pu être confirmé, et en tant que tel, AR Sco est resté unique depuis sa découverte. Pour remédier à ce manque, Ingrid Pelisoli (université de Warwick) et ses collaborateurs ont poursuivi le travail de Marsh et ont effectué une recherche ciblée de naines blanches pulsars dans des systèmes binaires. Ils ont recherché des objets qui présentaient des propriétés observationnelles similaires à celles d'AR Sco, en particulier les couleurs infrarouges non thermiques, la variabilité et la localisation dans le diagramme couleur-magnitude de Gaia. Quelques dizaines de candidats ont été identifiés, dont plus des deux tiers avaient déjà fait l'objet d'un suivi. Et c'est la photométrie de suivi à grande vitesse avec l'instrument ULTRACAM sur le New Technology Telescope de 3,58 m qui a finalement révélé que l'un des candidats, J1912-4410, montrait de fortes impulsions avec une période de 5,3 min. Ces découvertes ont donné lieu à un suivi ultérieur qui a permis à Pelisoli et ses collaborateurs de déterminer que J1912-4410, héberge une naine blanche dans une orbite de 4,03 h, elle aussi avec une naine de type M. 
Puis Pelisoli et ses collaborateurs ont obtenu du temps d'observation avec le réseau de radiotélescopes sud-africain MeerKAT. Ils ont observé J1912-4410 pendant environ 8 heures, en produisant des images toutes les deux secondes, ce qui leur a permis de détecter les impulsions particulièrement étroites qu'elle produit dans la bande radio. Ces observations ont révélé des nettes impulsions radio, à la même période de 5,3 min, mais seulement à des moments très spécifiques, coïncidant précisément avec la même phase orbitale du couple binaire. La courbe de lumière radio de J1912-4410 apparaît remarquablement différente de celle de AR Sco, avec seulement une très brève période où les impulsions très étroites sont vues. 

Et indépendamment, J1912-4410 a été détectée comme une source de rayons X avec eROSITA lors de ses relevés de tout le ciel, ainsi qu'avec XMM-Newton. Elle a été identifiée comme une candidate binaire compacte en raison de ses propriétés optiques et X combinées. La nouvelle source avait été découverte lors du premier relevé de eROSITA sur tout le ciel à un niveau de flux (entre 0,2 et 2,3 keV) de 3,3 × 10-13  erg cm-2 s-1 et s'est avérée coïncider spatialement avec une étoile vue par Gaia à une distance de 237 pc. Avec XMM-Newton, des pulsations d'une période de 319 s (5,3 minutes) ont été trouvées en rayons X, se produisant simultanément dans avec le signal ultra-violet et visible, confirmant ainsi la nature de J1912−4410 en tant que deuxième naine blanche pulsar. Les chercheurs indiquent que les impulsions de rayons X correspondent à de larges impulsions optiques. La variabilité orbitale du signal de rayons X avec une forme à peu près sinusoïdale a été observée avec une fraction pulsée d'environ 28 % et une émission maximale à la phase orbitale d'environ 0,25. Le spectre des rayons X peut être décrit par la somme d'un spectre de loi de puissance et d'une composante thermique avec une luminosité moyenne de 1,4 × 1030 erg s-1. Selon Pelisoli et ses collaborateurs, les propriétés spectrales et la variabilité observées pourraient indiquer une certaine accrétion résiduelle, contrairement au cas de AR Sco.
L'un des principaux défis pour expliquer AR Sco était de concilier la rotation rapide du couple avec la rotation intrinsèque elle aussi rapide de la naine blanche. Et on est dans le même cas de figure avec J1912-4410. La période de rotation de la naine blanche observée nécessite une accélération préalable via une accrétion de masse. En effet, les étoiles de la séquence principale sans interaction ralentissent leur rotation à mesure qu'elles vieillissent, ce qui entraîne des périodes de rotation de l'ordre de quelques jours pour leurs résidus sous forme de naines blanches. Or, seules les naines blanches dans les variables cataclysmiques ont des périodes de rotation comparables à celle de AR Sco et J1912-4410 (quelques minutes), ce qui s'explique par le gain de moment cinétique via l'accrétion de masse de la compagne. Pour AR Sco, son taux de ralentissement suggère qu'un champ magnétique puissant de 50 à 100 MG est présent, car si le champ magnétique était beaucoup plus petit (~ 1 MG), une rotation rapide ne pourrait être atteinte qu'avec des taux de transfert de masse impliquant le débordement du lobe de Roche. Avec un fort champ magnétique, un très grand taux de transfert de masse allant jusqu'à 10-4 M par an serait nécessaire pour arriver à une période de rotation de 1,95 min.


Une solution à cette énigme de l'existence d'un fort champ magnétique et d'un important transfert de masse a récemment été proposée par Schreiber et al. en 2021 (voir ép. 1172). Dans le modèle proposé, la naine blanche d'AR Sco devait être non magnétisée à l'origine, ce qui permettait une simple rotation induite par l'accrétion. Lorsque la cristallisation a commencé à se produire au cœur de la naine blanche au cours du refroidissement, une stratification à forte densité combinée à la convection a créé les conditions d'une dynamo, générant le champ magnétique. Avec un champ suffisamment puissant, le transfert rapide du moment cinétique dans l'orbite provoque alors le détachement du système binaire et l'arrêt bref du transfert de masse, conduisant à un système rare tel que AR Sco. Après quelques millions d'années, le système entre à nouveau en contact en raison d'un freinage magnétique et d'un rayonnement gravitationnel réduits, donnant naissance à une naine blanche magnétique à rotation rapide. En plus d'aborder la question de la formation d'un système tel que AR Sco ou J1912-4410, le modèle proposé fournit également une solution à un problème de longue date dans le domaine des binaires de naines blanches : l'existence d'un écart dans les fractions de naines blanches magnétiques entre les binaires détachées par rapport aux binaires en accrétion. Les naines blanches fortement magnétisées sont presque absentes des binaires détachées, tandis que plus d'un tiers de celles des systèmes en accrétion sont magnétisées. Le mécanisme de la dynamo de Schreiber et al. peut naturellement expliquer cela, car les naines blanches à accrétion magnétique sont généralement assez vieilles et suffisamment froides pour avoir été cristallisées, et elles ont été accélérées par accrétion sur de courtes périodes, de sorte que l'effet dynamo est intensifié. Sur la base de la population observée de systèmes d'accrétion, le modèle prédit également que les naines blanches pulsars devraient avoir des périodes orbitales de l'ordre de 3 à 5 h.
La découverte de Ingrid Pelisoli et ses collaborateurs de cette seconde naine blanche pulsar très similaire à AR Sco est importante car elle confirme les prédictions du modèle de dynamo pour décrire l'évolution des naines blanches dans des systèmes binaires serrés, basé sur la rotation et la cristallisation comme origine des variables cataclysmiques magnétiques. En raison de leur âge avancé, les naines blanches du système devraient être froides. Leurs compagnes doivent également être suffisamment proches pour que l'attraction gravitationnelle de la naine blanche ait été, dans le passé, suffisamment forte pour accréter de la masse, ce qui les a fait accélérer. Toutes ces hypothèses sont valables pour J1912-4410 : la naine blanche est plus froide que 13 000 K, a une période de rotation d'environ 5 minutes (environ 2 minutes pour AR Sco), avec une période orbitale de 4,03 h (3,56 h pour AR Sco), et l'attraction gravitationnelle et le rayonnement de la naine blanche ont un effet important sur l'étoile compagne. Les chercheurs estiment que l'étoile naine compagne remplit presque son lobe de Roche, en accord avec le modèle, et explique le transfert de masse résiduel.
La limite supérieure de la température de la naine blanche est cohérente avec le début de la cristallisation, suggérant un champ magnétique émergent qui fournit un couple de synchronisation qui détachera complètement le système une fois que suffisamment d'énergie sera transférée du spin de la naine blanche à l'orbite. La période orbitale du système est également en accord avec les prédictions du modèle de Schreiber et al.. En supposant que AR Sco et J1912-4410 sont les deux seuls naines blanches pulsars dans le disque galactique mince, une limite inférieure pour leur densité spatiale est calculée et vaut  0,15 ± 0,10 kpc-3. Mais ce chiffre pourra évoluer au gré des recherches en cours qui pourraient révéler d'autres membres de cette désormais nouvelle classe d'objets...

Sources

A 5.3-min-period pulsing white dwarf in a binary detected from radio to X-rays
Ingrid Pelisoli et al.
Nature Astronomy (15 june 2023)
X-ray properties of the white dwarf pulsar eRASSU J191213.9−441044⋆
Axel Schwope et al.
Astronomy&Astrophysics Volume 674 (15 June 2023)


Illustrations

1. J1912-4410 et son signal (Ian Heywood)

2. Vue d'artiste du système AR Scorpii (M. Garlick / University of Warwick / ESO)

3. Flux mesurés en ondes radio, visible et rayons X (Ingrid Pelisoli et al.) 

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