jeudi 29 juin 2023

Détection du fond diffus d'ondes gravitationnelles à basse fréquence


NANOGrav (North American Nanohertz Observatory for Gravitational Waves) a pour objectif de détecter des ondes gravitationnelles de basse fréquence, comme celles qui sont émises par les trous noirs supermassifs, grâce à la mesure précise des variations des temps d’arrivée des pulses d’un réseau de pulsars. C’est une collaboration qui a été fondée en octobre 2007 et compte aujourd'hui plus de 170 membres répartis dans plus de 70 institutions. Ils annoncent aujourd’hui les résultats obtenus durant les quinze années écoulées : le fond diffus d'ondes gravitationnelles est détecté ! La découverte fait l'objet de quatre articles parus dans The Astrophysical Journal Letters.

Outre les expériences de chronométrage en cours, le NANOGrav coopère avec d’autres expériences de chronométrage de pulsars, en Australie (le Parkes Pulsar Timing Array), en Europe (le European Pulsar Timing Array) et en Inde (l'Indian Pulsar Timing Array). Ensemble, ils forment l'International Pulsar Timing Array, ou IPTA. Le principe de cette détection est relativement simple : puisque les pulsations des pulsars sont théoriquement très stables dans le temps (la période augmente très légèrement lorsque le pulsar vieillit, mais à l’échelle d’une année, c’est imperceptible, lorsqu’une onde gravitationnelle venant d’une direction quelconque fait vibrer l’espace-temps qui se trouve sur le trajet des ondes radio pulsées entre le pulsar et la Terre, le pulse prendra un peu plus ou un peu moins de temps à nous parvenir, par rapport au pulse précédent et au pulse suivant, sachant que les pulsars les plus rapides ont une période de pulsation de l’ordre de 1 ms et les plus lents de plusieurs dizaines de secondes. Mais l’observation d’une seule variation de période sur un seul pulsar n’est pas suffisante pour déterminer que l’on a bien détecté l’effet d’une onde gravitationnelle et surtout pour la caractériser. On a besoin de nombreux pulsars formant un maillage de l’espace-temps, ce qui permet de déterminer à la fois l’amplitude des ondes gravitationnelles et leur direction de propagation. Et il faut pouvoir suivre ces nombreux pulsars tous ensemble au même moment et sur des longues durées en continu pour espérer déceler des variations significatives signant la présence d’une onde gravitationnelle de basse fréquence. Les résultats que vient d’annoncer la collaboration NANOGravbet qui sont publiés aujourd’hui dans The Astrophysical Journal Letters sont une nouvelle percée dans l’astrophysique gravitationnelle. Même si on ne peut pas encore identifier précisément l’origine du signal détecté, le signal est bien là ! Sept ans après la première détection des vibrations de l’espace-temps produites par une coalescence de trous noirs stellaires, nous assistons aujourd’hui à la première détection du fond diffus d'ondes gravitationnelles, potentiellement issues de fusions de trous noirs supermassifs, ou bien d'autres sources plus exotiques.
Les chercheurs de la collaboration NANOGrav ont suivi 67 pulsars avec les radiotélescopes d'Arecibo (RIP) de Green Bank, et le Very Large Array pendant 15 ans pour arriver à ce résultat. Pour rechercher le fond diffus des ondes gravitationnelles, les chercheurs ont développé des logiciels pour comparer la synchronisation des paires de pulsars dans leur réseau. Les ondes gravitationnelles modifient cette synchronisation à des degrés différents en fonction de la proximité des pulsars dans le ciel, un schéma qui avait initialement calculé théoriquement par Ron Hellings et George Downs au JPL au début des années 1980. Pour la première fois, les astrophysiciens trouvent des preuves convaincantes de corrélations interpulsars de type Hellings-Downs, en utilisant à la fois des statistiques de détection bayésiennes et fréquentistes, avec des probabilités de fausse alarme respectives de p = 10-3 et p = 5 × 10-5 à 1,9 × 10-4. 


Le fond d'ondes gravitationnelles (le GWB) doit être un signal persistant qui devrait augmenter en importance avec le nombre de pulsars et avec la durée d'observation. C'est en effet ce qui est observé en analysant des tranches du jeu de données. Pour démêler ce fond d'ondes gravitationnelles de basse fréquence, les chercheurs de NANOGrav ont dû identifier des effets tels que le mouvement propre des pulsars, les perturbations dues aux électrons libres dans notre galaxie, les instabilités des horloges de référence des observatoires radio, et même l'emplacement précis du centre du système solaire, qui a été déterminé avec l'aide des missions Juno et Cassini de la NASA.

L'amplitude du GWB est déterminée principalement par les masses des trous noirs supermassifs et par le taux d'occurrence de systèmes binaires de trous noirs supermassifs proches, qui à son tour dépend du taux de fusion des galaxies, de la fraction d'occupation des trous noirs et de l'échelle de temps d'évolution binaire. Les modèles de population prédisent des amplitudes s'étendant sur plus d'un ordre de grandeur, sous diverses hypothèses. Les chercheurs de NANOGrav remarquent un point intéressant : bien que l'amplitude obtenue dans leur analyse soit cohérente avec les modèles dérivés de notre compréhension des trous noirs supermassifs et de l'évolution des galaxies, elle se situe néanmoins vers l'extrémité supérieure des prédictions, ce qui implique une combinaison de masses de trous noirs et de fractions binaires relativement élevées... 
Du coup, les astrophysiciens se prennent à rêver un peu en conclusion, en rappelant que les trous noirs supermassifs ne sont les seuls objets qui peuvent produire des ondes gravitationnelles de fréquence de l'ordre du nanoHertz. En plus des trous noirs supermassifs binaires, des sources cosmologiques plus exotiques telles que l'inflation, les cordes cosmiques, des transitions de phase, des "parois de domaine" peuvent également produire ce type d'ondes gravitationnelles. Les similitudes dans les formes spectrales de ces signaux cosmologiques et des signaux astrophysiques rendent difficile la détermination de l'origine du GWB à partir de sa caractérisation spectrale seule. La question pourrait être réglée par la détection de signaux provenant de couples de trous noirs supermassifs individuels bruyants ou par l'observation d'anisotropies spatiales, puisque les anisotropies attendues des trous noirs supermassifs binaires sont des ordres de grandeur plus grands que ceux produits par la plupart des sources cosmologiques. Mais la première analyse de l'anisotropie du signal détecté, qui fait l'objet d'un des quatre papiers, indique l'absence d'anisotropie... 


Sources 

The NANOGrav 15 yr Data Set: Evidence for a Gravitational-wave Background
Gabriella Agazie et al 
Astrophysical Journal Letters 951 L8 (29 june 2023)

The NANOGrav 15 yr Data Set: Observations and Timing of 68 Millisecond Pulsars
Gabriella Agazie et al 
Astrophysical Journal Letters 951 L9 (29 june 2023)

The NANOGrav 15 yr Data Set: Detector Characterization and Noise Budget
Gabriella Agazie et al 
Astrophysical Journal Letters 951 L10 (29 june 2023)

The NANOGrav 15 yr Data Set: Search for Signals from New Physics
Adeela Afzal et al
 Astrophysical Journal Letters  951 L11 (29 june 2023)

Illustration

Vue d'artiste (Aurore Simonnet for the NANOGrav Collaboration)

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